quand la France, sous le regard bienveillant des États-Unis, obligeait les esclaves haïtiens à indemniser leurs anciens propriétaires

quand la France, sous le regard bienveillant des États-Unis, obligeait les esclaves haïtiens à indemniser leurs anciens propriétaires
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Correspondance new-yorkaise

3 avril 2024

Haïti a payé un prix élevé pour sa liberté. Dans le 19ème sièclee siècle, la France impose une dette colossale à son ancienne colonie. Et le pays en subit encore aujourd’hui les conséquences.

Tout au long du XIXe sièclee siècle puis le 20èmee siècle, les esclaves haïtiens affranchis par eux-mêmes suite à plusieurs révoltes et leurs descendants furent contraints de payer une dette envers leurs anciens maîtres français et leurs familles, afin de les dédommager de la perte causée. Un paiement exorbitant qui a condamné d’emblée la première république noire à la pauvreté et au sous-développement chronique.

Dans un article publié en août 2022, Culture française nous fournit une excellente chronologie des événements dont je résume brièvement ici les principaux points :

En 1791, les esclaves de Saint-Domingue, colonie française des Antilles, se révoltent sur l’île et abolissent l’esclavage.

En 1804, les esclaves – Bonaparte vient de restaurer l’odieuse institution – repoussent les Français et proclament l’indépendance de l’île qui deviendra Haïti.

Le 17 avril 1825, une flotte de navires français arrive au large de Port-au-Prince. L’escadre menace l’ancienne colonie d’un blocus et d’une intervention militaire. Après de longues négociations, un accord fut finalement trouvé : Haïti devrait verser une somme à la France pour qu’elle éloigne ses navires et n’entre pas sur l’île afin d’en reprendre possession et d’y rétablir l’esclavage.

Le montant fixé par la France de Charles X est astronomique : 150 millions de francs-or, soit 10 fois le budget annuel du petit État.

La jeune république, n’ayant pas les moyens de payer une telle somme, fut donc contrainte d’emprunter à des taux d’intérêt très élevés… et auprès des banques françaises. Non seulement Haïti doit payer cette somme, mais aussi les taux d’intérêt prohibitifs associés au prêt qui va avec. Il s’agit d’un asservissement économique sans précédent d’une ancienne colonie qui a osé se révolter.

Pour payer cette dette, le gouvernement haïtien prélève de lourdes taxes. Mais l’obligation assèche rapidement les finances de l’île qui investit ce qui reste dans des forts militaires, pour faire face à la menace d’une potentielle invasion française en cas de non-respect des délais… De l’argent que le gouvernement aurait pu utiliser dans des infrastructures vitales pour le développement du pays.

En 1838, Louis-Philippe, « plus généreux » que son prédécesseur Charles X, accepte de réduire la dette de 150 à 90 millions de francs-or dans un accord baptisé « Traité d’amitié ».

L’argent haïtien sert donc à indemniser les grands propriétaires français de l’ancienne colonie qui ont perdu leurs esclaves, mais une partie rentre également dans les caisses de l’État français. Le reste est capté par les banques via prêts toxiques.

Haïti ne finira de payer lui-même sa dette qu’en 1888, mais les intérêts ne seront entièrement remboursés que dans les années 1950 !

Il s’agit d’une amie, Michaëlle Jean, ancienne gouverneure générale du Canada et ancienne patronne de la Francophonie, elle-même d’origine haïtienne, et à qui j’ai dédié un livre centré sur son mandat à la tête de l’OIF.[1]ce qui m’a permis de mieux comprendre ce scandale historique, aujourd’hui largement oublié des Français.

Jean, qui se souvient des exécutions publiques à Port-au-Prince sous la dictature de François Duvalier et du visage horriblement tuméfié de son père torturé par les Tontons Macoutes, se souvient aussi très bien des discussions de ses parents sur cette dette. que leur génération a dû payer.

En 2001, le président Aristide évoquait un déficit total de 21,6 milliards de dollars pour Haïti, soit près de deux fois le PIB annuel de l’île au début des années 2020.

Les États-Unis, malgré leur soutien déclaré à l’indépendance d’Haïti et malgré la doctrine Monroe, ne sont jamais intervenus dans cette affaire, même une fois leur puissance devenue hégémonique sur le continent américain. Le maintien d’Haïti dans une situation économique précaire, correspondant à leurs intérêts économiques et géopolitiques dans la région Caraïbe.

Il y a quelques années, une annonce laissait entendre que le Quai d’Orsay allait restituer aux Haïtiens les compensations que la France leur avait refusées. Il s’agissait bien sûr d’une supercherie, puisque les Français n’avaient pas encore honoré leur engagement dans le fonds mis en place par les Nations Unies pour la reconstruction d’Haïti après le séisme. du 12 janvier 2010. Cette supercherie a néanmoins eu le mérite de relancer un minimum le débat sur un sujet qu’il faut qualifier de fraude historique et pour lequel une réparation reste, aujourd’hui encore, une exigence légitime.

Évidemment, la crise sans précédent que connaît aujourd’hui Haïti ne trouve pas seulement sa Source dans le racket imposé par la France depuis plus d’un siècle. La plupart des gouvernements qui se sont succédés au cours des dernières décennies à Port-au-Prince ont une lourde part de responsabilité. Leur gestion inefficace et la corruption généralisée au sein des institutions haïtiennes ont contribué de manière significative à la perpétuation d’une pauvreté endémique dans le pays. Il est cependant crucial de ne pas négliger le rôle de la France, pays des droits de l’homme, qui a persisté à bénéficier, au détriment des Haïtiens, d’indemnisations pour la perte de ses esclaves jusqu’au IVe siècle.e République.

Il est curieux de constater que les médias américains semblent aujourd’hui non seulement plus préoccupés par l’effondrement d’Haïti que leurs homologues français, mais aussi plus conscients des responsabilités occidentales dans cette situation, comme l’a récemment démontré CNN en abordant justement ce scandale des esclaves haïtiens contraints d’indemniser leurs anciens maîtres.

Il est également regrettable que la plupart des intellectuels français, occupés par les différentes crises internationales que nous traversons actuellement, ne trouvent pas le temps de tourner leur regard vers les Caraïbes. Tout cela n’est probablement que du menu fretin pour eux.

Certains d’entre eux parlent de la « solitude d’Israël ». Pour ma part, j’aimerais qu’on parle un peu plus de la solitude d’Haïti.

[1] Romuald Sciora, Femme vaillante – Michaëlle Jean dans la Francophonie, (Montréal : Éditions du CIDIHCA, 2021).

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Romuald Sciora dirige l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis à l’IRIS, où il est chercheur associé. Essayiste et politologue franco-américain, il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et documentaires et apparaît régulièrement dans les médias internationaux pour commenter l’actualité. Il vit à New York.

 
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