Depuis près d’un mois, une famille de six personnes, dont une jeune femme de 18 ans enceinte de sept mois et une femme souffrant d’une déficience intellectuelle grave, vit sous l’autoroute métropolitaine à Montréal. Malgré une cinquantaine de visites d’appartements et l’aide de travailleurs de rue, elle ne trouve pas de logement.
Publié à 1h34
Mis à jour à 5h00
«On commence vraiment à perdre espoir», affirme Mélanie Leclerc, 45 ans, la matriarche du clan.
Sa famille est à la rue depuis le 11 janvier. Elle a été expulsée de son domicile de Montréal-Est après un conflit avec le propriétaire.
« Ils sont unis et veulent rester ensemble », explique Sevarina DiPaolo, intervenante en itinérance au CIUSSS du Nord-de-l’Île, qui vient en aide au groupe. « Ils sont refusés partout. C’est très urgent. Il y a une femme enceinte dans le groupe », souligne-t-elle.
Du jour au lendemain, Mélanie, son conjoint Médérick Huard, ses filles Kassandra, 26 ans, Nikyta, 18 ans, enceinte de sept mois, et la ami Parmi ces derniers, Pascal Cauvier, 22 ans, est devenu SDF. Les deux jeunes femmes vivent avec une déficience intellectuelle, l’une sévère, l’autre légère.
L’ex-partenaire de Mélanie, Stéphane Frereault, fait également partie du groupe. Il avait un lit avec sa mère, mais il a cédé sa place à son fils, qui s’est également retrouvé à la rue. Et il veut rester avec ses filles « pendant [s’]assurez-vous que tout va bien », a déclaré l’homme.
Une situation « sans précédent »
Les premières nuits, le groupe squattait le Stade olympique. Ses membres ont ensuite trouvé une place dans un refuge mixte du quartier Villeray. Ils l’ont quitté il y a trois semaines à cause d’une dispute.
Ne sachant plus où aller, ils se sont retrouvés un matin au centre de loisirs et d’entraide Patro Villeray, rue Christophe-Colomb, qui offre douches et repas aux personnes dans le besoin. «C’est la première fois qu’on a une famille, surtout avec une femme enceinte», raconte le directeur général des lieux, Daniel Côté. Cette situation est sans précédent pour nous. »
Mélanie dit qu’elle était complètement désespérée.
Il faisait très froid. Nous ne savions pas quoi faire.
Mélanie Leclerc
C’est Jean-René Bernier, dont l’organisme Nourrir la rue distribue des repas préparés par le Patro Villeray, qui a fourni le matériel de camping et qui les a dirigés vers un petit espace gazonné sous l’autoroute Métropolitaine.
Depuis, le clan y dort, à l’exception de Kassandra, qui a obtenu il y a deux semaines une place dans un foyer pour femmes pour un mois. ” [Avec sa déficience], c’était très difficile pour elle. Elle n’avait plus de repères», raconte M. Bernier.
Les cinq autres membres de la famille partagent deux tentes et quelques sacs de couchage dans la poussière et le bruit des voitures. Ils disposent d’un petit réchaud pour faire le café et préparer les repas, qui sont souvent apportés par M. Bernier.
Par temps froid, ils sont allés à l’hôtel.
Ils sont confus.
Nous ne sommes pas de vrais itinérants. Nous n’avons tout simplement pas d’endroit où vivre.
Médérick Huard
Pour eux, la situation actuelle n’est que la continuation d’une vie déjà semée d’embûches. Parents, enfants et conjoints sont tous passés par le système de protection de la jeunesse durant leur enfance ou leur adolescence. Seule Nikyta possède l’équivalent d’un cinquième enseignement secondaire. Elle a quitté la maison des jeunes à l’âge de 18 ans et s’est retrouvée à la rue avec sa famille quelques mois plus tard. Avec sa légère déficience, elle est vulnérable et sa mère doit la surveiller en permanence.
Des dizaines de visites
Depuis janvier, Mélanie estime avoir répondu à environ 150 annonces et visité une cinquantaine d’hébergements. En vain. Elle et ses proches recherchent à Montréal, mais aussi à Laval et plus loin si nécessaire. Même un quatre et demi fera l’affaire.
« Nous ne recevons jamais de retour d’appel. Et quand on nous rappelle, les gens nous disent que c’est déjà loué», résume Stéphane Frereault.
«Mais nous sommes capables de payer», assure Médérick Huard.
Ensemble, les six membres de la famille reçoivent environ 4 000 $ par mois de l’aide sociale. « Ce qui nous bloque, c’est qu’on n’a pas de crédit, estime Mélanie.
«C’est dur pour le moral, surtout quand on n’a jamais vécu ça», estime Stéphane Frereault, qui estime que c’est surtout par discrimination que les propriétaires ne rappellent pas.
[Les propriétaires] je ne veux pas de gens sur la BS.
Stéphane Fréreault
Sevarina DiPaolo a été témoin des efforts de la famille. Elle voit également de la discrimination dans ce qui leur arrive. « Les gens pensent qu’ils ne vont pas payer. »
Mmoi Dipaolo a contacté la Ville de Montréal pour obtenir l’aide de l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM) et pour demander, sans succès, un hébergement temporaire d’urgence le temps que les démarches soient complétées.
Contacté par La presse, l’OMHM a indiqué n’avoir aucune trace de cette demande. Théoriquement, la famille répond aux critères d’éligibilité du service de référence de l’organisme, qui aide les ménages vulnérables dans leur recherche de logement et qui peut proposer un hébergement temporaire d’urgence « dans certaines situations exceptionnelles et pour des considérations humanitaires ».
L’urgence de trouver
Pour le groupe, il y a urgence. Nikyta donnera naissance à une petite fille d’ici mai. Elle ne peut pas garder le bébé si elle n’a pas d’endroit où vivre et si elle ne veut pas quitter ses parents.
La jeune femme, suivie à l’hôpital Notre-Dame pour sa grossesse et par une assistante sociale, s’est vu proposer des places après son accouchement dans le cadre de programmes destinés aux mères vulnérables. «Si on n’a toujours rien trouvé, on va la forcer à partir», a déclaré sa mère, Mélanie Leclerc.
Pour la famille, c’est un dernier recours. « Nous sommes très soudés et nous ne voulons pas nous séparer. »