Le socialiste, décédé à l’âge de 98 ans mercredi 27 décembre 2023, avait ses habitudes dans l’Yonne. Propriétaire depuis les années 1980 d’une maison à Fontaine-la-Gaillarde, dans le Sénonais, Jacques Delors aimait s’y réfugier, pour retrouver sa famille. Il se trouve même que le « Bruxellois » participe à la vie locale. En août 1994, c’est sans doute dans cette maison familiale qu’a eu lieu le rendez-vous manqué avec les Français en 1995.
L’ancien président de la Commission européenne, père de l’euro et figure de la gauche française, Jacques Delors, décédé mercredi 27 décembre 2023 à l’âge de 98 ans, entretenait une relation singulière avec le département de l’Yonne. Et plus particulièrement avec un petit village situé non loin de Sens : Fontaine-la-Gaillarde.
Dans les années 1980, Jacques Delors achète une petite maison où il aimait passer des journées tranquilles, entouré de sa famille. « C’était bien sa résidence secondaire où toute la famille Delors, sa fille, ses petits-enfants, venait passer les mois d’été, confirme Michel Papinaud, le maire du village. C’était un citoyen comme les autres. Il vivait simplement.
Dans son ouvrage publié en 1994, Jacque Delors, l’homme qui dit nonGabriel Milesi, journaliste et écrivain qui fut notamment rédacteur en chef de Parisien quotidiennement puis sur Europe 1, consacre plusieurs chapitres à cette vie à la campagne. Un véritable refuge, pour celui qui, à cette époque, était encore quelques mois président de la Commission européenne, et « celui que la gauche attend comme le messie ».
L’auteur décrit Jacques Delors comme « un paroissien discret ». » Les quatre cent quatre-vingt-dix habitants de cette petite commune, située à une dizaine de kilomètres de Sens, ont également adopté la même discrétion. Ils parlent peu de leur célèbre voisin, comme s’ils voulaient protéger la tranquillité à laquelle le Bruxellois vient goûter ».
Jacques Delors, ancien ministre et président de la Commission européenne, est décédé
Plus loin, la plume de Gabriel Milesi dessine « une demeure, plantée au milieu de la verdure, modeste, mais confortable. Depuis près d’un quart de siècle, elle protège les joies et les peines de la famille Delors. Le président de la Commission y vient dès que son emploi du temps chargé lui donne un répit.» Et n’hésitez pas à participer à la vie locale. Ce que le maire de l’époque, Gérard Froissart, confirmait au journaliste : “Quand nous l’invitons, et s’il est disponible, il vient volontiers à nos soirées.” « Jacques Delors assiste aux offices religieux, parcourt la campagne sénonnaise, reçoit des amis et fréquente régulièrement le centre équestre de Saligny, commune voisine, où est inscrite sa petite-fille. L’été, il n’est pas rare de le croiser à l’aube, un panier à la main, dans les rues commerçantes de Sens”, ajoute Gabriel Milesi.
« La maison familiale »
À moins d’un an de l’élection présidentielle de 1995, celui considéré comme le favori de la gauche est l’objet de toutes les attentions. La presse nationale scrute les allées et venues de Jacques Delors entre Paris, Bruxelles et l’Yonne. Dans un ouvrage publié en 2016 chez Grasset, L’homme qui ne voulait pas être roi : conversations avec Jacques Delors, Cécile Amar, grand reporter de Journal du dimanche, revient sur cette période mouvementée et se concentre sur l’été 1994, à Fontaine-la-Gaillarde, où Jacques Delors prépare une « singulière rentrée politique ». Sa dernière, puisque le 11 décembre 1994, Jacques Delors, invité d’Anne Sinclair dans l’émission 7 sur 7, annonçait qu’il ne serait pas candidat à l’élection présidentielle de 1995. » Début août, il a élu domicile dans l’Yonne, dans ce qui est devenu la maison familiale depuis une quinzaine d’années, comme la surnomme sa fille, Martine Aubry. La maison où le 20 juillet, le père fête son anniversaire. Où la tribu se réunit le week-end. Où débarquent les amis. La maison des joies et des peines”, écrit Cécile Amar.
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Dans « cette maison familiale » à Fontaine-la-Gaillarde, « la très grande pièce est remplie de livres et de disques, du sol au plafond, elle s’ouvre sur la campagne. Patiemment disposée, toute la collection du magazine se côtoie Espritla totalité de la Cahiers de cinémades livres sur le sport, sur l’Europe, la sociologie et bien sûr des vinyles de jazz, résumé des passions de Delors.
Le quotidien d’un « homme simple »
Le quotidien de Jacques Delors tel que le raconte le journaliste est celui d’un « homme simple ». « Les vacances dans le petit village se succèdent et se ressemblent. L’ancien ministre lit les journaux, à commencer par L’équipeBien sûr, il lit, écoute ses jazzmen préférés, se promène, fait ses courses au marché, discute avec les voisins ». Mais son avenir politique est évidemment au cœur des discussions, avec Martine Aubry qui l’a rejoint dans l’Yonne. “Va là-bas? Vous n’y allez pas ? Il voyait bien ce qu’il fallait faire pour la France, mais il se demandait s’il aurait une majorité pour mettre en œuvre son projet », confiera plus tard Martine Aubry à Cécile Amar.
La vie de Jacques Delors à Fontaine-la-Gaillarde n’a pas toujours été aussi paisible. La pelouse de sa maison a longtemps conservé les vestiges d’une manifestation paysanne au plus fort de l’hostilité contre les accords du GATT en 1992. « Un groupe d’agriculteurs était passé par là avec leurs bidons de désherbant », se souvient encore Christian Couronner, directeur de l’agence Yonne Républicaine à Sens à la fin des années 1980.
Franck Morales