A Istanbul, l’orphelinat de la discorde entre la France et la Turquie – .

A Istanbul, l’orphelinat de la discorde entre la France et la Turquie – .
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Les yeux perdus au fond de sa tasse de thé, Cemal Cinbiz parle avec un débit de cascade, qu’une oreille fraîchement posée a du mal à suivre. Son ton est glacial, ses propos pas toujours assurés. Trois mois après avoir été expulsé sans ménagement de son lieu de travail par une dizaine d’hommes de la mairie du quartier de Beyoglu, à Istanbul, une forme de colère encore sourde dans la voix de cet artisan, créateur et fabricant de stucs de 56 ans, ornements et moulures, quand il évoque la “violence infligée”LE “dommages au bâtiment et au jardin”l’absence aussi de “Réaction française”. Tout cela le plonge dans un vertigineux sentiment d’abandon, lui qui a passé la quasi-totalité de sa vie derrière cette grande porte métallique aujourd’hui fermée et condamnée, gardée par un vigile.

Il vient chaque jour s’asseoir, seul, sur ce trottoir de la rue Bogazkesen, en signe de protestation, sous le regard indifférent des badauds et des touristes. Au-dessus de sa tête, une plaque vieillie, à peine moins grise que la façade, écrit en français : « Orphelinat Saint-Joseph ». Il a griffonné une pancarte au feutre bleu sur laquelle est coché le temps passé dehors. “Aujourd’hui, 87 jours. » C’est sa façon de faire entendre sa voix et de se battre pour récupérer son atelier, ses outils et surtout les œuvres réparties sur les quatre étages de la demeure du XIXe siècle.e siècle, caché derrière cette maudite porte. Un bâtiment dans son jus, historique, spectaculaire même, avec ses hauts murs, ses pièces aux parquets fissurés et parfois défoncés, sa façade néoclassique jouxtant une chapelle et un jardin verdoyant, le tout sur un terrain de plus de 5 000 mètres carrés.

Cemal Cinbiz, sculpteur, à l’ancien orphelinat Saint-Joseph d’Istanbul le 30 mars 2023. NICOLE TUNG POUR « LE MONDE »

Nous sommes ici au cœur d’Istanbul, côté européen, dans l’un des quartiers les plus chics et gentrifiés de la ville, filant tout droit des collines de Pera aux rives du Bosphore. Et ce lieu extraordinaire, surnommé par les Stambouliotes « l’orphelinat français », est le théâtre d’une histoire singulière : la réquisition sans ménagement, par le maire de l’arrondissement, d’une propriété vendue il y a plus d’un siècle et demi, par l’Empire ottoman à France, par ordre impérial. Un titre réfuté par le maire de Beyoglu, Haydar Ali Yildiz. Cet ancien boxeur critique l’absence d’inscription de la propriété au cadastre public. Jugeant l’occupation de la propriété illégale, il dénonce également la vétusté du bâtiment et le non-respect des normes parasismiques.

Demandé par Le monde, l’ambassade de France à Ankara assure suivre l’affaire de près et évoque les nombreuses et complexes procédures judiciaires en cours. Une des actions lancées par le Consulat d’Istanbul avec le 13e La chambre du palais de justice devait s’ouvrir le 21 février, mais l’audience a été reportée à l’automne, sans plus de détails. A Paris, on refuse de faire le moindre commentaire public sur l’affaire, comme s’il ne fallait surtout pas faire de vagues, se garder d’alourdir un dossier déjà très compliqué. “Un parfait révélateur des relations entre la France et la Turquie, qui sont ce qu’elles sont, c’est-à-dire pas très bonnes”reconnaît un ancien consul en poste à Türkiye.

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