le plan des frères trafiquants de cocaïne et du douanier de Ripou – .

le plan des frères trafiquants de cocaïne et du douanier de Ripou – .
Descriptive text here

Les valises défilent lentement sur le carrousel à bagages. Ce 8 mars 2023, à l’aéroport de Roissy (Val-d’Oise), Philippe A., 26 ans, scrute la sienne. Deux valises à roulettes Samsonite noires apparaissent sur le tapis. En réalité, ils ne lui appartiennent pas. Philippe A. n’était pas à bord de ce vol en provenance de Mexico City (Mexique). Le matin même, il est venu chercher un chargement dans les Caraïbes. Le passager fantôme attrape les bagages encombrants et se dirige vers la sortie.

Au passage, Bocar M., chef d’équipe à la douane de Roissy, n’a pas bronché. Quelques minutes plus tôt, Philippe A. lui avait envoyé un selfie dans les toilettes de l’aéroport via l’application Signal pour que l’officiel le reconnaisse au passage. Le douanier laisse donc tranquillement l’intrus opérer son jeu. Le rituel est bien établi.

Cependant, ces valises auraient dû être contrôlées par les douanes. Lorsque des policiers de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) de Versailles arrivent à l’aéroport pour interpeller Philippe A. dans l’ascenseur, ils découvrent le jackpot. Chaque chargement contient 25 pains de cocaïne (60 kg) enveloppés dans des couvertures, une puce de géolocalisation AirTag et un pistolet 9 mm à trois chargeurs. Bocar M., 37 ans, a été interpellé dans la foulée, ainsi que tous les autres suspects de l’affaire en Essonne.

C’est la fin d’une aventure extraordinaire pour le douanier de Ripou, maillon essentiel du trafic international de drogue, entre l’Amérique du Sud et la France, dans une affaire digne d’un scénario de film.

Des centaines de kilos redistribués dans toute la France

Dans cette enquête tentaculaire menée par la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Paris, onze suspects ont été mis en examen le 12 mars 2023, notamment pour “importation et trafic de stupéfiants en bande organisée”, “blanchiment”, “corruption”, ” transport d’armes » et « association de malfaiteurs ».

Tous les suspects ont été incarcérés, y compris le douanier corrompu, à l’exception d’une femme, placée sous contrôle judiciaire. Les manœuvres des trois frères D., soupçonnés d’être des commanditaires de drogue à Grigny (Essonne), et du douanier ont permis de faire passer au moins 14 valises remplies de cocaïne, dont les centaines de kilos ont été redistribués dans toute la France entre 2021 et 2023. Soit près de 6 millions d’euros en valeur de revente…

Et encore, ce ne sont là que les expéditions repérées par la PJ de Versailles, le bilan étant sans doute plus lourd. En plus d’eux-mêmes, les frères D. auraient bénéficié à plusieurs autres équipes de concessionnaires, implantées dans toute la France et en passe d’être repérées, de cette faille à l’aéroport de Roissy, moyennant une commission.

Un petit conseiller devenu un rouage central

Le rouage essentiel du système s’appelle Bocar M. Cet ancien militaire vit avec sa femme dans une petite ville du Val-d’Oise et a travaillé pendant treize ans à la douane, dont neuf à Roissy en tant que chef d’une équipe de recherche à borne 2E. Bien vu par sa direction, il défilera même sur l’avenue des Champs-Élysées (Paris VIII) le 14 juillet 2022.

Lors de virées nocturnes en 2020, il aurait été approché par une connaissance mutuelle par des trafiquants. Il sympathise, se fait payer les consommations. Et se voit offrir sa première mission : donner de simples “conseils” sur le passage des valises à Roissy. Cela va du choix du créneau de vol le moins contrôlé à l’alerte en cas de contrôle inopiné.

De précieuses informations rémunérées par de petites enveloppes entre 600 et 1 000 euros. Mais, après avoir été contrôlés par un passeur, les frères D. ont besoin de plus de sécurité. Qui mieux que le chef d’équipe pour assurer les passages en personne ? Bocar M. accepte. Une fois que vous avez mis le doigt sur l’engrenage, il est difficile de s’arrêter. Et cela ira beaucoup plus loin.

Bocar M. aurait alors construit un plan incroyable avec les trois frères D., dont la réputation criminelle dépasse l’Essonne. L’idée est simple : pendant qu’un trafiquant gère l’arrivée des valises d’Amérique du Sud, des « passeurs » sont envoyés les récupérer aux créneaux choisis, sous l’œil complaisant de Bocar M. qui ne les contrôle jamais. .

Les cargaisons de cocaïne partent de San Martin ou de Bogota (Colombie), de Lima (Pérou), de Punta Cana (République dominicaine) ou encore des îles de Saint-Domingue et Saint-Martin. Bocar M. s’assure simplement d’être présent le jour J à la douane.

Dans un premier temps, les passeurs réservaient des allers-retours courts vers Saint-Martin. Pour faire des économies, Bocar M. aurait proposé un meilleur plan : prendre un aller simple depuis un aéroport plus proche pour se rendre directement aux arrivées de Roissy. D’abord, ils se rendent aux toilettes pour prendre un selfie et l’envoyer à leur contact, surnommé “Ligue” ou “Ange Gardien”, qui n’est autre que le douanier. Bocar M. les reconnaît et assure ainsi que personne ne les contrôlera.

Les barons de la drogue de Grigny

En 2020, les frères D. recrutent plusieurs Monsieur ou Madame Tout le monde, payés en théorie 5 000 euros par “bébé” récupéré. Sur les applications de messagerie sécurisée, ils sont surnommés “Mr. Cohen » ou « la Reuss ». Ces passagers fantômes, qui dorment désormais presque tous en détention, ont récupéré tantôt une valise, tantôt deux ou trois. Parfois rien.

Au total, selon nos informations, les enquêteurs de la PJ de Versailles ont pu détecter le passage d’au moins 14 valises récupérées pour le compte des frères D. Chacun contenait au moins 20 à 30 kg de cocaïne. Mais étant donné que d’autres trafiquants travaillaient avec Bocar M., le nombre d’expéditions est sous-estimé. L’un des contrebandiers, une femme accusée d’avoir “épinglé” les frères D, aurait même été forcée de travailler pour une équipe rivale afin de rembourser sa dette.

Cette « mule » a subi la pression des dealers. Parce qu’on ne « le fait pas à l’envers » avec les frères D. Les sommes astronomiques engrangées par leur trafic leur permettent de montrer la voie à Grigny et de consolider leur réputation de barons de la drogue locaux.

En Essonne, ils gèrent leurs activités illicites d’une main de fer et inspirent la terreur. Officiellement chômeurs ou en arrêt maladie, ils portent Rolex au poignet tout en vivant des pensions de Pôle Emploi ou en ne déclarant aucun revenu. Les frères et sœurs roulent dans des berlines de luxe à Grande-Borne, où leur aura leur permet d’envoyer des « petits » faire leurs courses. Quand ils ne sont pas en vacances au Sénégal ou à Dubaï.

Amadou D., l’aîné de 41 ans, possède des appartements au Maroc et des terrains à Dakar (Sénégal). Yaya D., 40 ans, vit des allocations et des revenus de la Française des jeux. En moins d’un an, il a empoché près de 44 000 euros. Leur petit frère, âgé de 27 ans, vivait uniquement de paris grâce à sa “chance”. En 2023, il a gagné près de… 190 000 euros. Un prétendu hasard inattendu qui révélerait surtout, selon les enquêteurs, un système de blanchiment de l’argent de la drogue.

Un grain de sable dans la machine

De son côté, Bocar M. mène aussi une belle vie. Dans le Val-d’Oise, le douanier a offert un Range Rover Evoque cash de 16 000 euros à sa femme en cadeau pour la Saint-Valentin. Alors qu’il investit plus de 300 000 euros dans une maison en Mauritanie où vit sa deuxième femme… cachée.

S’il affirme ne pas avoir perçu toutes les sommes dues, le douanier a empoché 40 000 euros par valise qu’il a laissé passer. Les enveloppes en espèces lui ont été remises par des intermédiaires des frères D. en Île-de-France. Entre janvier 2022 et mars 2023, le douanier rencontre quinze fois les trafiquants pour se faire payer. L’enquête estime ses bénéfices à un minimum de 400 000 euros sur la période, mais, là encore, le montant est probablement sous-estimé.

Mais chaque rêve a une fin. En janvier 2021, un grain de sable vient stopper cette machine bien huilée. Lors d’enquêtes sur la circulation à Grigny, la police intercepte une conversation suspecte entre des liens dans les points de vente. Il est fait mention d’un employé peu scrupuleux à l’aéroport de Roissy. Ce qui, dans le monde des stupéfiants, n’est jamais un hasard. Inconnue : des femmes proches de dealers de l’Essonne, dont l’une a déjà été utilisée comme « infirmière » par le passé, se présentent souvent à Roissy sans jamais embarquer.

Ces mouvements suspects à l’aéroport sont scrutés discrètement pendant des mois par les enquêteurs. Parallèlement, les discussions enregistrées sur les écoutes téléphoniques sont nourries du vocabulaire typique des trafiquants : on entend parler de « bails », « zip », « points », « litrons », « pieces » ou encore « the Haaland » , du nom du footballeur norvégien, pour décrire un type de drogue présenté comme puissant.

Les enquêteurs en déduisent que les frères D. ne gardaient pas cette cocaïne uniquement pour eux. Notamment parce que le point de deal de la Grande-Borne est presque exclusivement un « four » à cannabis. Les frères auraient surtout revendu le « blanc » ailleurs en France, notamment à Orléans (Loiret), au Havre (Seine-Maritime), à ​​Évreux (Eure) ou en Belgique. Ils auraient également fait payer un “droit de passage” aux autres trafiquants français pour leur permettre de recevoir de la cocaïne par voie aérienne en exploitant leur allié douanier.

“C’est compliqué une fois qu’on y a mis les pieds”

Chez les frères D., plusieurs armes à feu et quantités de drogue ont été retrouvées. Pendant leur garde à vue, les trois frères originaires de l’Essonne ont contesté leur statut de parrains de la circulation. Le « patron » présumé du réseau, l’aîné, Amadou D., a reconnu n’avoir « rendu que des services » à des amis trafiquants, mais se dit rangé.

Seul le plus jeune avoue gérer le point de deal cannabis de la Grande-Borne, pour un chiffre d’affaires d’environ 1 500 euros par jour, sous le contrôle de ses frères aînés, très prudents dans leurs communications. Contactés, les avocats d’Amadou et Yaya D., Ma Marie-Alix Canu-Bernard et Sophie Domingos, n’ont pas souhaité s’exprimer. Ainsi que les deux avocats du benjamin de la fratrie, Me Pierre-Henri Baert et Yassine Yakouti.

Quant à Bocar M., le douanier corrompu, il a reconnu s’être mis au service du réseau, attiré par le profit, mais affirme n’avoir aucune connaissance du contenu des bagages. Le responsable affirme s’être retrouvé “sous la pression” de ses contacts. « Je n’avais pas le choix, a-t-il assuré à la police. J’ai fui la violence physique pour me retrouver avec la violence psychologique. C’est compliqué une fois qu’on y a mis les pieds. Le douanier gardait encore un pistolet semi-automatique chargé dans le tiroir de sa table de chevet, ainsi que d’importantes sommes d’argent liquide. Son avocat, Me Jonathan Levy, n’a pas répondu.

Devant les enquêteurs, d’autres suspects, dont des passeurs, se sont montrés plus éloquents, reconnaissant avoir transporté de la drogue par besoin d’argent. “L’enjeu sera de déterminer les responsabilités de chacun, certains s’étant un peu plus écartés que d’autres”, réagit Me Sarah Mauger-Poliak, l’avocate de trois mis en cause.

De son côté, Me Adrien Gabeaud, avocat d’un lieutenant des frères D., regrette les moyens d’enquête “exorbitants” utilisés compte tenu de la sensibilité de l’affaire et de l’implication d’un douanier, notamment “l’exploitation des données informatiques”. « C’est excessif, discutable et sera contesté. La justice serait honorée d’avoir le scrupule des moyens et pas seulement celui des fins. »

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Déclaration de la ministre Joly à l’occasion de la Journée internationale du multilatéralisme et de la diplomatie pour la paix
NEXT A Bel Évron, 76 médaillés du dur labeur honorés pour 2023