Le 30 novembre 2024, l’éditeur suédois Johannes Holmqvist revient à Stockholm avec une centaine de livres québécois dans ses valises, suite à sa visite au Salon du livre de Montréal. Sa maison d’édition, Tranan, dont le nom signifie « oiseau grue » en suédois, est spécialisée dans la traduction de fictions littéraires du monde entier. Il est l’un des dix représentants des droits éditoriaux invités à Montréal pour faire de la prospection pour la Foire du livre de Göteborg. En 2026, cette deuxième ville de Suède, caractérisée par ses rochers de granit et ses canaux à la hollandaise, recevra une délégation d’écrivains québécois.
Si la langue apparaît comme une barrière au maillage entre le Québec et la Suède, les deux cultures ont néanmoins beaucoup de points communs, note Johannes Holmqvist : « Le vaste paysage, le climat, la nordicité, les petits villages éloignés sont des thèmes communs dans la littérature québécoise et Suédois. Il y a aussi la relation avec les autochtones qui rapproche les deux cultures. Dans notre pays, il existe un peuple indigène appelé les Sami, qui est au cœur de notre littérature. » Parmi la centaine de livres qu’il ramène avec lui, l’éditeur devra faire le choix difficile de n’en retenir qu’un ou deux susceptibles d’être traduits en suédois. Une sélection d’autant plus difficile, ajoute-t-il, que «la littérature québécoise semble être dans une très bonne période».
Pour préparer une foire comme celle de Göteborg, des mesures sont prises près de quatre ans à l’avance. Élodie Comtois, présidente de Québec édition, explique que l’objectif était de faire traduire en suédois un maximum de livres locaux en préparation de cet événement. Ses voyages et discussions avec des citoyens scandinaves lui permettent d’identifier plusieurs similitudes entre les deux cultures : « Bien sûr, la nordicité et le rapport aux Premières Nations, mais aussi les valeurs sociales et politiques, notamment le féminisme. Autre parallèle à faire : l’importance des bibliothèques et de la petite enfance. »
Parmi les rares écrivains qui ont réussi à pénétrer le marché scandinave figurent Lise Tremblay, Christian Guay-Poliquin, Biz et Kim Thúy, dont les œuvres ont été traduites en suédois. En entrevue, le directeur général des éditions La Peuplade, Simon Philippe Turcot, explique qu’il n’est pas facile pour les auteurs locaux de percer ce marché. Il constate cependant que les relations entre les deux régions s’établissent peu à peu. La Peuplade a publié plusieurs fictions du Nord depuis 2017, autant d’ouvrages que la maison a découverts grâce à des voyages d’exploration financés par bourses et des invitations de Suède, d’Islande et du Danemark.
Un ambassadeur précieux
Il arrive que des individus accomplissent à eux seuls un travail colossal pour faire rayonner la culture québécoise à l’étranger. Françoise Sule fait partie de ces ambassadrices qui promeuvent les écrivains locaux du nord de l’Europe. La traductrice d’origine française, qui vit en Suède depuis une quarantaine d’années, a consacré une grande partie de sa carrière à développer des réseaux d’études québécoises à travers le monde, en parallèle de ses activités d’enseignante : « Nous avons invité une quarantaine d’auteurs québécois, elle explique. Aux professeurs et étudiants de français en Suède, en Finlande et en Estonie, nous avons proposé des sessions de formation basées sur la série de livres Connaissez-vous le Québec? (Robert Laliberté et Aleksandra Grzybowska, PUQ, 2014). En 2013, nous avons créé le Prix littéraire des lycéens Suède/Estonie/Catalogne de l’AIEQ, une extension hors Québec du Prix littéraire des collégiens. »
À l’invitation du professeur, la poète Andréane Frenette-Vallières (Vous choisirez les montagnesLe Noroît, 2022) s’est rendu à Stockholm pour donner une conférence sur la Nordicité, tandis que Gabrielle Boulianne-Tremblay (La fille d’elle-mêmeMarchand de Feuilles, 2021) a été reçu à l’ambassade du Canada en Suède. Larry Tremblay a participé à l’heure du conte par visioconférence avec son album pour enfants Souffleuse à neige (D’Eux, 2023). Françoise Sule se réjouit de l’engouement autour de la littérature québécoise, mais est attristée par la difficulté de se procurer des livres : « La littérature québécoise séduit, intéresse, captive le lecteur suédois par son ancrage dans l’imaginaire du Nord, son ouverture sur le monde et la façon dont elle le remet en question. Elle est perçue comme une littérature moins nombriliste. La littérature sur les migrants est fascinante, car la Suède réfléchit à l’évolution de sa société. Un problème pratique : comment obtenir des livres facilement sans payer une fortune en impôts ? »
Au cours de sa carrière, Françoise Sule a travaillé en étroite collaboration avec l’Association internationale d’études québécoises (AIEQ), un organisme essentiel au rayonnement de la culture québécoise à l’international. Il en va de même pour le comité des éditions québécoises de l’Association nationale des éditeurs de livres, qui joue également un rôle crucial dans l’établissement des relations entre la Suède et le Canada. Ce comité gère notamment le programme Rendez-vous dans le cadre du Salon du livre de Montréal, qui accueille des maisons d’édition étrangères souhaitant rencontrer leurs homologues québécoises et franco-canadiennes.
Visites et résidences
Si la Foire du livre de Göteborg 2026 annonce un tournant dans la relation Canada-Suède, les liens entre les deux pays ne sont pas nouveaux. L’anthropologue et poète Roseline Lambert, qui a effectué de nombreux voyages de recherche en Scandinavie, se souvient d’une tournée des poètes québécois organisée en 2015 par Gaston Bellemare. La délégation québécoise regroupait de nombreux auteurs, dit-elle, comme « Carole David, Véronique Cyr, Jean-Marc Desgent et Jean-Sébastien Larouche. Ils étaient accompagnés de toute la diplomatie québécoise.»
Mentionnons également le partenariat entre les villes créatives de l’UNESCO, qui permet aux auteurs résidant à Québec de concourir pour des résidences d’écriture dans plusieurs pays, notamment en Suède. Grâce à ce programme, l’auteure Vanessa Bell a pu séjourner en novembre dernier au Scenstudion Gerlesborg, situé dans la ville de Hamburgsund, en Suède, pour commencer à écrire son cinquième livre. L’écrivain, qui effectue depuis dix ans des résidences d’écriture, constate les bénéfices générés par un tel séjour, qui provoque des « rencontres très fructueuses », tout en « décentralisant les réseaux de rencontres ». Une œuvre créée en partenariat avec d’autres artistes internationaux voyagera à travers le monde, notamment à Londres et à Québec, avant de revenir à la Foire de Göteborg.
Après plusieurs recueils de poésie, Vanessa Bell travaille à l’écriture de son premier roman. Elle constate qu’il est plus difficile pour les poètes d’être traduits à l’étranger. Elle est cependant ravie d’avoir rencontré lors de sa résidence deux traducteurs intéressés par le projet inédit qu’elle mène actuellement : une preuve pour le moins évidente que ces séjours sont utiles au développement d’un réseau. En plus d’offrir aux écrivains un espace à eux, ces résidences font également office d’incubateur de relations professionnelles et amicales.