« Œuvre d’imagination constituée d’un récit en prose d’une certaine longueur, dont l’intérêt est dans la narration d’aventures, l’étude des mœurs ou des personnages, l’analyse des sentiments ou des passions, la représentation de données objectives et subjectives réelles ou diverses. ; genre littéraire regroupant les œuvres qui présentent ces caractéristiques» : telle est la belle définition donnée par le dictionnaire Larousse au mot « roman », qui reste, malgré un fort retour à la poésie et la solidité du rayon non-fiction, la grande star des librairies. S’il ne fallait en choisir que dix cette année, tous deux écrits en français et dans une langue étrangère, aussi fantasmagoriques que liés au réel, les voici.
Le Club des Enfants Perdus par Rebecca Lighieri
« Ce pseudonyme m’a complètement désinhibé et m’a permis d’embrasser mon goût pour la romance… une véritable drogue psychotrope !» nous confiait, il y a quelques saisons, Emmanuelle Bayamack-Tam, qui a donc choisi de signer sous le nom Rebecca Lighieri c’est merveilleux Club des enfants perdus. Mais dont le style se rapproche de plus en plus du toucher Bayamack-Tamà qui nous devons Arcadie ou La treizième heure. Deux voix : un père, une fille. Le premier, acteur un peu vaniteux et séduisant, qui comprend à peine la personnalité de celui qu’il a vu grandir, certes étrangement, puis sombrer dans un insondable mal-être. C’est à la fois drôle et tragique, et nous rejoignons le club sans réserve – au point d’en faire l’un de nos meilleurs romans de 2024.
Rebecca Lighieri – Le Club des Enfants Perdus
Bien-être de Nathan Hill
Ne vous laissez pas berner par le titre, si ironique, et finalement poignant quand on tourne la dernière page… On avait déjà remarqué son potentiel avec Fantômes du vieux pays, mais avec Bien-êtreà juste titre couronné du Grand Prix de Littérature Américaine, Nathan Hill signe un très grand roman. On suit l’anatomie de la chute d’un couple formé par Jack et Elizabeth, qui, depuis leur rencontre à Chicago au début des années 90, croyaient fermement qu’ils étaient des âmes sœurs. Les tourments habituels du mariage vont les rattraper… et les perdre en chemin, tandis queColline remonte à la source de leurs traumatismes respectifs. Une grande démonstration littéraire fabriqué en USA.
The Imposture le Zadie Smith
Ici, l’écrivaine anglo-jamaïcaine Zadie Smith met également en scène l’un de ses plus beaux personnages, Eliza Touchet. Femme d’esprit, fervente lectrice avec une plume qu’il vaut mieux cacher, elle a perdu son mari et son enfant très jeune et a emménagé avec son cousin par alliance, William Ainsworth. Qui (comme Mme Touchet) a réellement existé, ayant écrit une ribambelle de romans grandiloquents au XIXe siècle. Mais le grand amour d’Eliza est la (première) épouse de William : Frances. Ici, le tissu abondant de Zadie Smith joue avec le carcan réaliste instauré par Charles Dickens pour, sous couvert d’un apparent classicisme, révolutionner sa propre écriture. Et l’impose comme l’une des plus grandes plumes de la scène britannique.
Zadie Smith – L’Imposture
Houris par Kamel Daoud
« Le voyez-vous ? J’affiche un grand sourire ininterrompu et je me tais, ou presque. Pour me comprendre, les gens se penchent très près de moi comme pour partager un secret ou une nuit complice. Il faut s’habituer à mon souffle qui semble toujours être le dernier, à ma présence agaçante du début. Algérie, décennie sombre. Un homme a tenté d’égorger Aube. Il a presque réussi. Les cordes vocales de Dawn sont détruites, mais les souvenirs grondent. Il est - de se confier à votre fille à naître… Dix ans après l’incroyable Meursault, contre-enquêtequi est revenu sur les traces de l’étranger camusien, l’écrivain algérien engagé Chameau Daoud signe un roman aux multiples opacités, avec une poésie mettant d’autant plus en contraste la violence infinie des hommes aveuglés par l’obscurantisme. De quoi remporter le prix Goncourt 2024, et figurer parmi les meilleurs romans de 2024.
Boucher par Joyce Carol Oates
Au XIXème siècle, le Dr Silas Weir a commis de nombreuses tortures dans un asile pour femmes du New Jersey. Le soignant devient boucher, comme le raconte ce nouveau roman de la prolifique Joyce Carol Oates, fruit de longues années de recherche, et où les victimes peuvent se venger – à la mesure des abus subis. A travers le journal du sinistre Weir mais aussi les paroles de son fils ainsi que celles qui ont dû finir sur sa table d’opération, ou l’assister dans ses sales manoeuvres. Du suspense, de la tension, toujours une belle réussite pour Oates, 86 ans, qui rappelle que, près de deux siècles plus tard, la condition des femmes reste constamment menacée.
Joyce Carol Oates – Boucher
L’effondrement par Édouard Louis
“Je n’ai rien ressenti à la mort de mon frère : ni tristesse, ni désespoir, ni joie, ni plaisirr», annonce d’emblée Edouard Louis. Après un deuxième livre consacré à sa mère, le plutôt joyeux et émancipateur Monique s’échappel’écrivain consacre ici seize faits, de manière investigatrice, à celui dont il était si étranger, retrouvé mort dans son atelier alors qu’il n’avait que 38 ans, rongé par l’insécurité et l’alcoolisme. Dix ans après la publication du premier En finir avec Eddy BellegueuleEdouard Louis clôt sa grande histoire familiale par ce saisissant Effondrement.
Edouard Louis – L’Effondrement
Le couteau de Salman Rushdie
« Écrire, c’est écrire, la thérapie est une thérapie, mais il y avait de fortes chances qu’écrire cette histoire me fasse me sentir mieux. » : on ne l’a jamais lu aussi intime, et pourtant on retrouve le lyrisme qui est le sien. Car ce n’est pas une tentative d’assassinat qui empêchera Salman Rushdie de reprendre sa plume. Tout comme la fatwa lancée contre lui, suite à la publication de Versets sataniques. Il s’agit donc de raconter ce qui s’est passé le 12 août 2022, ce jour où un homme l’a poignardé à plusieurs reprises en pleine conférence, aux Etats-Unis, puis après : ces journées entre la vie et la mort, la longue, très une longue convalescence… et l’amour qui le lie à son épouse écrivain, Rachel-Eliza Griffiths.
Salman Rushdie – The Knife, réflexions suite à une tentative d’assassinat
Assez maléfique d’Emma Becker
L’adultère dans tous ses états, de la passion dévorante à la charge mentale. C’est ce que nous raconte Emma Becker, avec un éclat romantique qui n’est gêné par aucun tabou. Après s’être attardé sur l’expérience maternelle (Inconduite) ou son expérience dans une maison close, avec La maison depuis adaptée au cinéma, elle nous choque avec cette histoire où son alter ego, mariée et mère de deux enfants, tombe amoureux d’un écrivain… de droite ! Brut et érudit, sexy et mélancolique, ce Mal joli est exaltant.
Emma Becker – Assez maléfique
Orangerie Syndrome by Grégoire Bouillier
“On ne comprend rien aux Nymphéas si l’on croit qu’ils copient la nature, même à travers le voile de l’âme.». De retour dans le costume du détective Bmore, Grégoire Bouillier se consacre, dans cette grande histoire historique, artistique et émotionnelle, à nous la raconter. Pris d’une crise d’angoisse devant les célèbres panneaux exposés au musée de l’Orangerie, l’écrivain décide de se plonger dans la vie de Claude Monet à travers son œuvre – et vice versa – tout en la liant à une modernité qui depuis perdu tout bon sens. Intelligent, unique, passionnant.
Grégoire Bouillier – The Orangerie Syndrome
Jacaranda par Gail Faye
Deux œuvres auront été cruciales en cette année de commémoration du génocide des Tutsi. Le superbe Convoioù Beata Umubyeyi Mairesse témoigne de ce à quoi elle a (sur)vécu et comment elle a retrouvé ceux qui ont organisé le convoi humanitaire qui l’a sauvée, elle et sa mère, quand elle avait 15 ans. Et côté roman, JacarandaPrix Renaudot 2024, affirmation de l’écriture de Gail Faye. Après Petit paysil poursuit sa quête du passé, aussi indicible soit-il, à travers le personnage du jeune Milan, écolier des années 90. Sa mère, Venancia, est rwandaise et, face aux événements de 1994, ne dit rien. Cependant, un autre jeune garçon, avec un bandeau sur la tête, est hébergé avec eux… et revient d’où il semble venir. Milan voudra comprendre, et c’est au Rwanda même qu’il retrouvera des fragments de mémoire. Là où la petite Stella a son arbre refuge, le Jacaranda. Aussi sensible qu’accessible, un roman forcément recommandable.
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