Théorie de Queen Kong. Le genre va au-delà de la grammaire, libérons-nous des carcans imposés par le langage, dépassé, figé, fasciste ! Le genre est fluide ! C’est ce que l’héroïne apprend Carnés par Esther Teillard dès son arrivée à Paris, ou plutôt à l’Ecole des Beaux-Arts de Cergy, contre laquelle elle troque la ville marseillaise de son enfance. Le plasticien en herbe découvre ici un monde où règne la confusion des prénoms et des pronoms : « il » devient « elle » et vice versa, ou de manière indéterminée en faisant sa transition vers « il ». On est loin de Marseille, qui n’a donc rien de féminin. Marseille c’est un gars, théorise le narrateur, à l’opposé de déconstruit – la déconstruction, les immeubles qui s’effondrent ou qui sont démolis, Marseille n’aime pas trop ça. Marseille est comme cet homme de la rue qui a failli l’écraser l’autre jour en criant : « Grosse pute, si tu n’étais pas moche, je te baiserais la chatte. » Marseille est le type franc de col ainsi que de slip. Ou Marseille, la version féminine, c’est une cagole, plantureuse, culottée, qui ne va pas se laisser voler son bout de plage par un néo-Marseillais qui ne savait pas qu’elle s’y était installée, que le néo-Marseillais risquerait d’être assommé par l’une de ses généreuses attractions. Violences verbales, physiques, sexuelles… Elle en avait assez, la narratrice, alors elle est partie. Il faut dire qu’avec une mère qui était procureur et qui laissait traîner ses dossiers de viol partout dans l’appartement, depuis toute petite elle savait ce qu’un homme était capable de faire à une femme, voire à quelqu’un qui ne l’était pas encore. vraiment une femme. Ces images insupportables lui reviennent de cette adolescente aux petits seins qui ressemblait à un garçon. Dans la capitale, la violence est insidieuse, douce, démodulée, elle attaque comme un petit cancer. Paris est un style masculin mais postmoderne, dans la mode glisser : l’homme déconstruit n’assume plus rien, ni une relation ni même un emploi du -. C’est fluide, on vous le dit ! S’il couche avec des personnes trans, ce n’est pas tant parce qu’il est amoureux que parce qu’il veut l’être. “moderne”. Quant au lumpenprolétariat de la féminité : les itinérants chinois de Belleville et autres travailleuses du sexe sont carrément invisibles.
Alors la narratrice préfère les vieux et sort avec un écrivain quadragénaire accro au porno (puisque sa propre mère lui a montré, enfant, une scène filmée où elle a été violée) : Noé, au moins, honore ses rendez-vous, mieux, il les répare ! Elle a choisi comme meilleure amie une bombe slave, Hestia, qui, par sa séduction invincible, transforme tous ces prédateurs turgescents autour d’elle comme un judoka. La mère d’Hestia a également été violée mais la puissante jeune femme refuse d’être une victime, les bourreaux réels ou potentiels, elle les baise ! Dans CarnésEsther Teillard, théoricienne du genre d’un nouveau genre, est avant tout écrivaine. Mêlant l’iconoclastie cinglante de Virginie Despentes à la verve électrique de Guillaume Dustan, le romancier novice entre sur le ring de la littérature comme poésie de combat avec style. Et, avec ce roman savamment punk, nous assomme.
Esther Teillard
Carnés
Pauvre
Edition: 3,500 copies.
Tarif : 20,90 € ; 216 p.
ISBN : 9782720215797