En janvier 2024, la nouvelle fait grand bruit. La lauréate du prix Akutagawa, la plus haute récompense littéraire du Japon, venait d’admettre, en toute décontraction, qu’au moins 5 % de son livre avait été écrit en utilisant ChatGPT.
Avec ces 5% de « tricherie », serait-on tenté de dire, au moins une rupture avec ce qui est censé être le fruit d’un processus créatif humain, couplée à l’aveu du crime par son auteur, il y avait de quoi soulever sourcils dans la communauté éditoriale internationale.
Cependant, selon Mange l’abeillePour le romancier de Saitama de 33 ans, cela n’a rien de scandaleux. Son roman, Tokyo-à Dojo-à(« Tokyo’s Tower of Compassion »), se déroule dans un Tokyo futuriste où l’intelligence artificielle joue un rôle central. Par souci de réalisme, Rie Kudan a placé les mots d’une véritable IA, ChatGPT, dans la bouche de cette IA. Choquant? Oui et non. La romancière a expliqué qu’elle utilise l’intelligence artificielle pour stimuler sa propre imagination, qui reste l’auteur principal du contenu.
Le mois suivant, en février, c’est à la maison que le débat a été relancé. Jonathan Werberle fils de l’auteur de Fourmis Bernard Werberpublie son troisième roman, Le meilleur écrivain du mondechez Robert Laffont. Son personnage principal est une IA, V39, inventée par Thomas, un jeune et brillant ingénieur. Lui, pour la tester, lui demande d’écrire “le roman policier parfait”. Un défi, dans lequel l’IA s’avère… inutile.
Et là, ce n’est plus de la fiction. Jonathan Werber, interrogé pour savoir s’il avait, comme le Japonais Rie Kudan, fait appel à une IA pour faire parler l’IA de son roman, avoue qu’il ” essayer “et qu’il aurait même « bien intentionné ». “J’ai inséré des histoires courtes dans mon roman soi-disant écrites par mon IA, mais en les générant par ChatGPT, le résultat était tellement médiocre que même pour servir mon propos, qui était de montrer que l’IA n’est pas concluante dans ce cas, ce n’était pas utilisable », il confie.
Le Web regorge de réussites parfaitement artificielles
Dommage d’être écrivain, AI ? Pourtant, le Web regorge de réussites parfaitement artificielles. Allan Trevorl’auteur de 1 491 livres écrits en seulement deux ans, a fait une petite fortune sur Amazon. Le géant l’a retiré de son catalogue lorsque la toile s’est enflammée suite à la révélation de la supercherie, mais Allan Trevor n’a pas encore prononcé son dernier mot. Quarante nouveaux ouvrages ont été publiés rien qu’au mois d’août. Les titres Marijuana et orgasme, l’hypnose brutale, ou Comment masturber votre partenaire promettez des heures de lecture inoubliables sur le site de la Fnac. Même son portrait, avec la vénérable barbe blanche, a été généré par l’IA de Midjourney. Et qu’en est-il Feu et fureur, par le docteur Miles Stone ?
Derrière un titre qui évoque Faulknercet essai sous-titré L’implication du changement climatique mondial dans l’incendie de Mauirose to the top of American sales in the heart of summer 2023, while a mega fire ravaged the small Hawaiian island. Le livre sonnait si juste en plein traumatisme, presque en - réel et ponctué de rapports officiels, que d’aucuns ont même supposé un moment que son auteur puisse être le pyromane criminel à l’origine de l’incendie… Là encore, a pure algorithmic creation. Pour calmer les foules, Amazon a retiré le titre, encore, et limite désormais le dépôt de nouveaux livres à 3 par jours sur sa plateforme d’autoédition. Would more be too much?
Les algorithmes sont aujourd’hui incapables d’écrire des « récits » valides
Jonathan Werber, pour éviter les platitudes de l’IA dans son roman, s’est donc mis à écrire « à la manière de », pour montrer ce qui lui paraissait intéressant : « Défauts d’écriture ».
Le meilleur écrivain du mondequi peut être lu comme un vade mecum de l’IA générative ainsi que L’IA pour les nuls from First Editions, offers a nice overview of the joys and limits of exercise. Jonathan Werber considère que les algorithmes sont aujourd’hui incapables d’écrire des « narratifs » valables, sauf à être extrêmement nourrie de détails. « L’IA est bloquée, car elle ne peut pas prendre de risques. Ses produits doivent être propres, pas choquants, et cela rend l’histoire pas mauvaise, mais totalement inintéressante.en bonne santé “
Une autre lacune des textes longs est que l’intelligence artificielle serait incapable de faire ce que les anglophones appellent configuration et paiementque l’on peut traduire par « préparation et régulation ». « Au fond, le romancier apporte un élément qui va resurgirgir 80 ou 120 pages plus tard, ajoute l’écrivain. La machine ne sait pas produire ce type d’écho. »
« L’IA est une matière première. C’est comme l’électricité, on peut en faire une chaise électrique ou des guirlandes de Noël » (Alexandre Jardin)
Toutefois, l’IA n’a pas encore écrit son dernier mot. « L’IA est une matière première. C’est comme l’électricité, on peut en faire une chaise électrique ou des lumières de Noël.rebondit le facétieux Alexandre Jardin. Pour lui, avoir une opinion bien arrêtée sur le sujet est « aussi stupide que d’être pour ou contre l’électricité ». Et si le débat tourne autour de l’axe « avec ou sans IA, comme le pur et l’impur »c’est parce que nous ne considérons que l’IA de type ChatGPT.
Mais demander à ChatGPT d’écrire votre livre, c’est “complètement stupide, même à l’opposé de la littérature”. « Les outils d’écriture nord-américains sont issus d’une autre histoire que la nôtre. Nos chemins mentaux ne sont pas les mêmes. Nous savons que la littérature est l’espace de la plus grande liberté, alors qu’ils la catégorisent en pure et impure. »
Le drôle de zèbre a donc eu l’idée de concevoir une IA qui, à l’inverse des IA génératives, vous pose des questions plutôt que de vouloir y répondre. Its tool is called yourscrib.ai Launched last spring, this software is designed to dialogue with yourself. “C’est un effet miroir, parler avec son inconscient, trouver les grands sujets que l’on porte en soi, si l’on souhaite écrire”, a-t-il déclaré dans une vidéo postée sur Facebook pour expliquer l’arrêt de son logiciel au moment même de son lancement. “Tous les serveurs ont explosé !” “, il rit.
Alexandre Jardin avait tout prévu sauf le caractère hautement addictif de cette IA. « On s’est rendu compte que les utilisateurs restaient la nuit entière dans la phase exploratoire, c’est-à-dire l’étape de découverte de leurs sujets les plus profonds. » Yourscrib, l’IA qui « incite » littéralement son humain, se décline en trois étapes. Le premier, Discuss, promet d’extraire “vos vrais sujets, émotions et opinions”. La seconde, Design, permet “pour explorer sans crainte différents scénarios et intrigues de votre histoire”. Le troisième, enfin passer à l’action, Ecrire, pour diriger et écrire « votre histoire avec l’aide de l’intelligence artificielle ».
“Si c’est gratuit, nous sommes le produit”
Et comme on sait que « si c’est gratuit, c’est nous le produit », le site ouvre avant tout le tiroir-caisse. LE prixpuisqu’on parle un peu globulaire, annonce le prix en unités AI, c’est-à-dire en jetons, ce qui équivaut à un certain nombre de mots dans un texte. « Pas plus de 100 euros pour la première étape »nous assure son inventeur et propriétaire. Mais il y a aussi le bouton Françoise, comme Françoise, comme Verny, son premier monteur. Françoise est, semble-t-il, très avide de jetons. « C’est une étape très importante, qui permet de savoir si l’on s’éloigne ou si l’on se rapproche de son véritable sujet. »
Alexandre Jardin a également calibré Françoise sur un de ses propres livres, un ancien, publié en 2011 chez Grasset, De très bonnes personnes. “It’s a book about my collaborator grandfather. Au bout d’un moment, Françoise m’a dit : “vous avez écrit ce livre fondamentalement pour libérer vos enfants de cette mémoire familiale, mais vous l’avez terminé sans en avoir dit un mot. Vous vous êtes égaré. Vous avez été fascinated by your grandfather and the questions that his life raises in you, you missed your children, you missed the reason for your book“. »
L’IA se glisse dans les failles
Cruel, Françoise, but fair. Alexandre Jardin sait que c’est vrai, et s’il avait eu cette information au moment de l’écriture, il se serait sans doute rapproché de son intention première. « Mais le pire, c’est que l’outil ne m’a pas donné son point de vue, il m’a donné le mien ! “, il rit.
Logiciel capable de stimuler la créativité puis de guider le romancier, on craint que Yourscrib puisse alors remplacer le travail de l’éditeur. Mais le romancier se veut rassurant et pense qu’au contraire cela amènera « une révolution démocratique ». « Quand on n’a pas accès au centre-ville, où le pouvoir est partagé, on n’a pas accès à ce type de conseil. Cela ne veut donc pas dire que mon IA remplace le métier d’éditeur, cela veut dire qu’elle se glisse dans le vide. Je ne crois pas que les choses se remplacent. C’est autre chose qui est en train de se créer. » L
Création humaine : le label d’édition bio
Le livre, avec ou sans IA générative ? Ou plutôt, comment distinguer le bon grain de l’ivraie ? Depuis cette année, la plateforme française d’autoédition Librinova commercialise une solution pour les auteurs souhaitant revendiquer l’organicité de leur création : un label sans IA, baptisé « Création humaine », apposé sur les livres 100 % humains. Nicolas Gorse, directeur général de Dott (scooters), a eu l’idée face à un manque sur le sujet dans le secteur de l’édition. Librinova en a fait son partenaire. Le suivi de l’IA dans un livre s’effectue en combinant trois méthodes. Les Transformers, pour commencer. Un modèle d’apprentissage profond qui vous permet d’analyser des textes longs. Vient ensuite “le détecteur mathématique”, explique Gorse, dans lequel les mots sont transformés en jetons dont l’homogénéité est vérifiée. « Contrairement au langage humain, un algorithme se répète. » En cas de suspicion d’utilisation de l’IA, la troisième phase, un entretien humain sur le processus de création du livre, permet de percer immanquablement les faussaires, nous -assure-t-on. The authors alone decide whether or not to take the label. The co-founder of Librinova, Charlotte Allibert, is keen: « L’utilisation de l’IA n’est pas pour nous une considération morale, c’est un appel à la transparence. » Human Creation va-t-il s’imposer comme le label de l’édition organique ? “Pas si les éditeurs ne s’emparent pas du sujet, prévient Charlotte Allibert. La technologie fait peur et il est normal que les choses mettent un peu de - à s’installer. Mais du côté du lecteur, je pense que pouvoir identifier l’origine d’un livre va devenir fondamentale sur les sites marchands. »