Elle ressemble à une vigne. Silhouette souple et élancée, vêtue de noir, Rachel Cusk nous accueille pieds nus dans un immeuble ancien du Marais. « XVIIIe siècle, oui…confirme-t-elle. Magnifique…, mais quand il pleut, il pleut aussi dans les escaliers. » Elle rit : finalement, qu’importent les problèmes d’étanchéité, puisque, en s’installant dans ces lieux, elle a visiblement retrouvé une forme de sérénité.
Dieu sait, cependant, Rachel Cusk a été en mouvement toute sa vie ! Né au Canada de parents britanniques, l’écrivain a vécu aux États-Unis, en Angleterre (Londres, Oxford, Exmoor, Bristol, Brighton…), a fait un détour par l’Italie puis est revenu au Royaume-Uni avant de repartir. fuir au moment du Brexit. « Nous étions déterminés à rester en Europedit-elle en parlant d’elle et de son mari, le peintre Siemon Scamell-Katz, qui prépare le thé dans la cuisine. Nous sommes ici depuis trois ans. Et, cette fois, c’est fini, on ne bougera plus. »
Qu’est-ce qui attache au continent cet écrivain « aux semelles de vent » ? « Il fallait que je trouve quelque chose…dit-elle en haussant les épaules. Quelque chose qui ne reflétait pas qui j’étais déjà. » Que veut-elle dire ? Que la place d’outsider lui va bien : « Je ne sais pas, je ne préjuge de rien et j’apprends tout le temps ! » Dans ParadeDans son nouveau roman, le premier livre écrit en France, elle fait dire à l’un de ses personnages qu’il est enfin devenu un voyageur sans bagage. Comme s’il était depuis longtemps son propre fardeau. ” Comme si, à l’étranger, il avait enfin pu se libérer de la prédestination imposée par l’identité et être libre. »
Rachel Cusk écrit depuis trente ans. En 1993, elle publie Sauver Agnès (« Il faut sauver Agnès », non traduit), qui attire immédiatement l’attention outre-Manche et remporte le prix Whitbread du premier roman. Il faudra cependant quinze ans supplémentaires pour être traduit en français, avec Parc d’Arlington (L’Olivier, 2007), adapté au cinéma par Isabelle Czajka, avec Emmanuelle Devos, sous le titre La vie domestique (2013). Nous rencontrons quatre femmes qui, comme on dit, ont tout pour être heureuse mais se sentent fondamentalement empêchées de s’épanouir. Comme plus tard dans Contrecoup (L’Olivier, 2013), Dépendance (Gallimard, 2022) ou encore dans sa trilogie Contour (Folio, 2022), presque tous les grands thèmes cuskiens sont déjà présents dans Parc d’Arlington : le mariage, la distance, la violence, la vie intellectuelle et surtout la place accordée à la femme, la maternité, le sacrifice…
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