“Quand ça ne bouge pas, je m’ennuie”

“Quand ça ne bouge pas, je m’ennuie”
“Quand ça ne bouge pas, je m’ennuie”

Cette idée de faire le point, à seulement 56 ans, sur une carrière qu’il espère encore longue, l’a d’abord un peu effrayé : «Numa Sadoul lui-même me l’avait déjà proposé il y a huit ans, mais j’ai refusé car pour moi, Numa est le livre d’entretiens ultime. Cependant, je voulais éviter une sensation de « mausolée ». Mais avoir cette discussion sur mon parcours avec Romain, que j’avais déjà rencontré plusieurs fois et avec qui je me sentais en confiance, m’a intéressé.

mouette

C’est un cas unique dans l’histoire de la bande dessinée : je ne connais aucun autre auteur qui ait réussi à faire un si grand écart entre humour et réalisme au cours de sa carrière.

L’auteur suisse revient forcément à ses débuts où, déjà, il tâtonnait, ici dans un registre humoristique, là davantage dans une approche réaliste. Avant donc de prendre le gâteau avec Titeufet alors que tout le monde me disait que c’était typiquement le genre de truc qui ne marchait plus dans les comics.” “Moi, il continue, J’étais un grand fan de Conrad et René Hausman. Mais il était impossible de faire les deux.

Cependant, il a réussi car après des années de plaisanteries Titeuf, et la popularité qui va avec, Zep s’est lancé dans des histoires plus adultes au début des années 2010 : Une histoire d’hommes, Un bruit étrange et beau, La fin et, plus récemment, Ce que nous sommes. “Il fallait, il dit, se libérer de 25 ans de bande dessinée humoristique avec toutes les modifications techniques que cela implique, pour aller vers une autre façon de faire. J’ai dû désapprendre certaines choses, en apprendre d’autress. » Tout cela en poursuivant la publication d’albums de Titeuf : “C’est un cas unique dans l’histoire de la bande dessinée, estime Romain Brethes. Je ne connais aucun autre auteur qui ait pu faire une si grande différence au cours de sa carrière.

mouette

Quand je dessine Titeuf, je suis lui, je suis un petit garçon dans un corps d’adulte

Pour Zep, cette évolution était indispensable même si, comme à son habitude, il n’y croyait guère : «Heureusement, les gens y ont cru pour moi», sourit-il avant d’expliquer plus en détail ses motivations : «J’ai travaillé un peu chez Spirou à une époque, et j’ai réalisé alors que quand je m’ennuyais, je n’avais plus envie de continuer les projets sur lesquels je travaillais. J’adorais dessiner Titeuf, mais j’avais l’impression de geler, j’avais besoin que ça bouge, pas qu’il devienne une prison dorée

“A strange and beautiful noise” (Rue de Sèvres, 2016) ©Rue de Sèvres

La différence se manifeste, dit-il, jusque dans son attitude derrière la table à dessin ; il est plus « recroquevillé », presque tendu, lorsqu’il dessine Titeuf, mais plus « détendue », droit sur sa chaise, lorsqu’il travaille sur un album réaliste : «Quand je dessine Titeuf, je suis lui, je suis un petit garçon dans un corps d’adulte», résume-t-il, comme amusé par lui-même.

Cette nouvelle voie lui permet également d’aborder différemment des thématiques qui lui sont chères, comme l’écologie ou… la religion. Croyant, Zep ? “Je ne le suis plus, mais je l’étais. Donc c’est quelque chose qui m’affecte toujours. J’ai des amis de ces années-là qui sont pasteurs ou théologiens. En tout cas, ce sont des questions qui m’intéressent, d’autant qu’un doute demeure : un athée n’affirme pas, il dit juste qu’il choisit de ne pas croire. Croyant, il choisit de croire. Et en fin de compte, ni l’un ni l’autre ne sait qui a raison. Logiquement, nous sommes tous censés nous poser ce genre de questions de toute façon. Il y a des gens qui ne vivent que dans l’idée qu’il y aura une suite merveilleuse ailleurs et cela explique pourquoi nous devons supporter tant de choses dégoûtantes. Je ne partage pas cette idée : je pense que c’est notre vie qui doit être quelque chose de grand.


“Le succès ne nous appartient pas”

Évidemment, il est plus facile de relativiser le succès… quand on l’a. Mais pour Zep, la chose est tellement volatile qu’il ne sert à rien de théoriser sur la question : «S’il existait une recette pour vendre 300 000 albums, il y aurait des files d’attente chez tous les éditeurs. J’ai appris très vite qu’il ne fallait pas avoir ce genre d’attente. Et quand ça arrive, c’est génial, c’est tout. Mais je ne sais pas plus que quiconque pourquoi un projet réussit et un autre non. Cela ne nous appartient pas et nous ne devrions pas nous en soucier car cela nous rend malheureux. Et puis, c’est une perte de temps parce que ça ne fait pas partie du métier, puisque c’est le travail du monteur. Uderzo, qui avait un franc-parler assez particulier, disait à propos du succès que lorsqu’il arrive, il faut être reconnaissant et se taire. Je suis plutôt d’accord avec ça. Et donc je suis très reconnaissant.

« Ce que nous sommes » (Rue de Sèvres, 2021) ©Rue de Sèvres
 
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