« La liberté a un prix, un prix que ma mère ne pouvait pas payer » (Monique s’évade)

« La liberté a un prix, un prix que ma mère ne pouvait pas payer » (Monique s’évade)
« La liberté a un prix, un prix que ma mère ne pouvait pas payer » (Monique s’évade)

UUne nuit, alors qu’il est en Grèce, Édouard Louis reçoit un appel de sa mère. L’homme avec qui elle vit, ivre, l’insulte et la menace. Cette scène se répète mais elle a caché cette violence récurrente à son fils qui se croyait libéré après la rupture avec son père. Cette scène est une de trop, il doit fuir. Mais comment ? comment s’en sortir quand on a consacré sa vie à ses enfants, quand on n’a rien à soi ? Le dernier livre d’Édouard Louis, Monique s’échappeest la tentative de dire « le prix de la liberté », le sous-titre du livre et un défi littéraire.

Édouard Louis aurait aimé ne pas écrire ce livre. Il pensait que sa mère était en sécurité puisqu’elle avait quitté son père et s’était installée à Paris avec un autre homme. Il a raconté cette libération dans Combats et métamorphoses d’une femme (2021). Les pluriels étaient peut-être un indicateur d’inaccomplissement, comme le complément du nom (« d’une femme »), le signe d’une lutte en cours et inachevée.

Edouard Louis n’avait pas prévu d’écrire ce livre. Il l’écrit sur la dernière page de Monique s’échappeil a essayé[t] écrire un autre livre », centré sur sa relation avec son « frère aîné, mort d’alcool à trente-huit ans ». Mais l’urgence a tout interrompu. Comme le lui raconte sa mère dans une scène d’une intensité incroyable, lui montrant Combats et métamorphoses d’une femme dans sa bibliothèque : « Depuis que vous avez fait ce livre, j’ai encore beaucoup changé. Il faudra l’écrire un jour ! Je me suis à nouveau transformé.

Édouard Louis n’a pas su écrire ce livre. Comment dire, concrètement, ce que coûte la liberté pour une femme qui n’a rien, ni argent, ni diplôme, ni permis de conduire, ni meubles parce qu’elle a subi, toute sa vie, la violence des hommes ? L’écrivain a longtemps pensé faire de ce récit un livre de comptes, en énumérant les sommes dépensées pour libérer sa mère, faire entrer les chiffres les plus crus dans ce récit, confronter l’espoir au compte aride qu’il suppose. Il abandonna, cette comptabilité rendait « le livre laid et illisible » et, surtout, donnait « l’étrange impression » [qu’il] reproché[t] ces montants s’élèvent à [sa] mère “.

Le livre est donc écrit à partir de ces trois négations. Monique s’échappe sera le livre qu’Édouard Louis n’a pas voulu écrire, n’a pas projeté d’écrire et n’a pas su écrire. Et depuis ces négations, c’est sans doute son plus beau livre, le plus puissant, le plus libéré. Parce que c’est un livre de joie, de rire, parce que c’est le portrait d’une femme aimée, enfin libre, heureuse, d’une femme applaudie et célébrée. Parce que c’est un livre qui ne donne pas de leçons mais de la force, un livre qui est écrit bien sûr contre les violences faites aux femmes, aux corps, au corps social mais qui est aussi écrit pour, pour une femme dont la liberté signifiera aussi de nouveaux liens, un nouveau histoire. Longtemps, pour Édouard Louis, « la honte est un souvenir ». Désormais c’est une autre histoire qui peut s’écrire, apaisée (même si la colère politique demeure), ouverte aux autres (cette mère qu’il veut connaître comme épouse et amie, dont il attend qu’elle lui raconte son adolescence). , ses joies). Monique s’échappe est un livre extraordinaire, aussi dense que puissant, modeste qu’explicite, écrit à partir d’une violence distanciée et transcendée, dépassant la honte, subsumant le passé qui permet la libération du présent. Monique s’échappe fait du bien, et pas seulement aux êtres qu’elle permet de rencontrer dans leur vérité profonde.

Édouard Louis, Monique s’échappe, éditions du Seuil, avril 2024, 180 p., 18 €

 
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