Awa Thiam, « La parole des femmes noires » (Editions Divergences)

Awa Thiam, « La parole des femmes noires » (Editions Divergences)
Awa Thiam, « La parole des femmes noires » (Editions Divergences)

Pour un féminisme international. Ce texte fondateur du féminisme africain francophone rédigé par l’anthropologue franco-sénégalaise Awa Thiam pose les bases théoriques de l’intersectionnalité. Publié dans les années 1970, avec une préface de Benoîte Groult, il a été traduit en anglais en 1986 et était alors déjà épuisé dans la version française. Il fallut donc attendre près de quarante ans pour que cet essai soit à nouveau accessible au public français. “Cela nous apporte quelque chose de plus rare et quelque chose qui nous manquait : la vie elle-même, non pas telle qu’elle est vue par son observateur, mais telle qu’elle est vécue par la personne concernée”, écrit Benoîte Groult dans sa préface à l’édition originale. Et en effet, la première partie de cet ouvrage est un recueil d’histoires personnelles, d’expériences vécues par des femmes négro-africaines, qu’Awa Thiam appelle « Négresses ».

Ainsi, Yacine s’est marié à 18 ans et a été contraint de s’installer à Abidjan. Quelques années plus tard, alors qu’elle était enceinte de leur troisième enfant, son mari a amené une nouvelle épouse dans l’appartement. Yacine finit par retrouver sa mère au Mali et demande le divorce. On découvre également l’histoire d’une jeune femme de 18 ans, tombée enceinte d’un homme avec qui elle ne peut se marier, car son père ne le veut pas. A la naissance de l’enfant, elle l’enterre, aidée par sa mère et un tiers. « La lâcheté des hommes (qui imprègnent des femmes avec lesquelles ils ne sont pas mariés, qui n’entendent pas se marier ou vivre en union libre avec elles, ni même reconnaître leurs enfants et prendre soin d’eux), ajoutée à la terreur exercée par le père ou le frère sur eux, conduit souvent à l’abandon de l’enfant ou à l’infanticide », commente Awa Thiam. Ekanem, enseignante nigériane de 40 ans, décrit son organisation égalitaire avec son mari : ils partageaient les tâches domestiques, le ménage, les courses, les enfants… Mais les critiques générées par cet anticonformisme, notamment sur ce mari qui ferait “mener par le nez” par sa femme, a finalement conduit cet homme à abandonner sa part de responsabilités et à prendre une maîtresse.

La pression sociale et l’importance des traditions (notamment religieuses) et des coutumes ancestrales s’opposent à l’émancipation des femmes dans les pays africains. Awa Thiam dénonce les mariages forcés, la polygamie et l’excision parmi ces traditions qui perdurent dans les années 1970 et qui réifient les femmes. « Une reconversion des mentalités est indispensable. » Tout en soumettant à la critique des pratiques comme la polygamie et l’excision, en retraçant leur histoire, elle condamne les réflexions féministes occidentales, comme celles de l’ethnologue Annie de Villeneuve (une des premières femmes à décrire l’excision, en 1937), « avec des notes de colonialisme et de racisme ». Selon Awa Thiam : « La solution au problème des femmes sera collective et internationale. »

Awa Thiam
La parole des Négresses
Éditions Divergences
Tirage : 5 000 exemplaires.
Tarif : 16 € ; 208 p.
ISBN : 9791097088712

 
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