« J’avais envie de remettre en question mon identité, les valeurs dont j’ai hérité »

« J’avais envie de remettre en question mon identité, les valeurs dont j’ai hérité »
« J’avais envie de remettre en question mon identité, les valeurs dont j’ai hérité »

UN COMMENTAIRE DE SON AUTEUR – Le designer français crée une histoire introspective, mêlant vicissitudes et époques. Et dévoile ses interrogations sur les liens de filiation et sur l’existence.

Gwen de Bonneval : « J’ai voulu entrelacer tous les fils qui font de moi l’humaine que je suis. Le plus dur a été de leur donner de la cohérence. Le reste sera plus simple. » Photo Chloé Vollmer-Lo

Par Laurence Le Saux

Publié le 26 mai 2024 à 12h30

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Un l’homme à la recherche de lui-même : dans le premier tome de Philiations, Gwen de Bonneval (Le Dernier Atlas, Polaris…) dépeint son éco-anxiété et sa relation avec la famille. Il revisite ses jeunes années assombries par les disputes de ses parents, évoque l’importance de la figure du père, et celle du grand-père, observe avec une tendresse parfois impuissante les embûches auxquelles son fils est confronté… De cette fresque intime pleine de doutes, lestées de dureté mais non dénué de douceur, commente-t-il sur trois pages.

Entrelacement de mots

Page 13 de « Philiations », t. 1, Gwen de Bonneval.

Page 13 de « Philiations », t. 1, Gwen de Bonneval.

Page 13 de « Philiations », t. 1, Gwen de Bonneval. Éd. Dupuis

« Au début de l’album, je mets en avant la principale question qui me traverse, liée à mon anxiété face à l’état du monde. A l’occasion d’un numéro spécial du magazine numérique Professeur Cyclope, auquel j’ai participé, je me suis plongé dans une documentation approfondie sur la situation écologique. Et j’ai réalisé que les choses se dégradaient plus vite que je ne le pensais. J’avais le terrible sentiment que tout allait s’effondrer rapidement, et une forte culpabilité de ne pas avoir mieux compris tout ça avant. Et puis je me suis dit qu’il fallait que j’agisse, que je ne pouvais pas rester dans cet état d’étonnement. A travers ce livre, j’ai voulu remettre en question mon identité, les valeurs et les pensées dont j’ai hérité. Il ne s’agit pas de donner des instructions de vie, mais de montrer la démarche de remise en question de la construction d’un individu.

Dans cette séquence, je me représente en train de penser à voix haute. Pendant que mon esprit vagabonde, interviennent des « moi » de plusieurs périodes de mon existence. Cette page montre le point culminant de la discussion que nous avons ensemble : le « moi » du présent est assis dans un fauteuil, avec Gwen enfant, adolescente et adulte devant lui. Au dessus d’eux, une myriade de questions, de phrases qui s’entremêlent, s’entrechoquent… Cet imbroglio s’est naturellement imposé à moi. En écrivant ce passage, j’étais dans le même état que mes personnages ! Les phrases prennent toute la place, étouffent les Gwen et pendent comme des épées de Damoclès au-dessus de leurs têtes – en fait, elles les écrasent presque à la page suivante. »

L’écho du chaos

Page 69 de « Philiations », t. 1, Gwen de Bonneval.

Page 69 de « Philiations », t. 1, Gwen de Bonneval.

Page 69 de « Philiations », t. 1, Gwen de Bonneval. Éd. Dupuis

« Nous voilà dans l’enfance, à Vincennes, quand j’avais 4 ans. Nous assistons à une scène domestique entre mon père et ma mère, où ma sœur et moi voyons notre père pleurer pour la première et dernière fois. C’est un moment de rupture, de changement, où on sent que la famille va se disloquer. J’ai dû faire des allers-retours dans le temps dans cette histoire, j’ai donc associé des codes couleurs aux différentes périodes pour aider les lecteurs à s’y retrouver. Là, nous sommes dans celui de l’enfance, à Vincennes, avec un ocre orangé qui tend vers le rouge, qui évoque les années 1970. Sur la page précédente, nous avons vu ma mère, hors d’elle, produire une fumée qui envahit tout l’espace, comme une pollution globale de l’atmosphère – ce que j’ai ressenti à ce moment-là.

J’ai depuis longtemps l’habitude de faire ce travail de refonte des émotions : quand j’étais petite, j’étais certaine qu’il me fallait mémoriser certaines scènes de ma vie pour les analyser plus tard, quand j’aurais plus de clés de compréhension. . Après ma grosse crise d’angoisse en 2015, j’ai commencé la psychanalyse. Il fallait que je mette de l’ordre dans mon histoire, et pas seulement enchaîner les anecdotes comme des perles. Ce qui m’a pris le plus de temps, c’est de laisser les souvenirs s’installer et mûrir, d’évaluer ce qui pouvait former une séquence et s’insérer dans autre chose. »

Le psychisme d’un fils

Page 150 de « Philiations », t. 1, Gwen de Bonneval.

Page 150 de « Philiations », t. 1, Gwen de Bonneval.

Page 150 de « Philiations », t. 1, Gwen de Bonneval. Éd. Dupuis

« Je me suis interrogé sur la relation que j’entretiens avec mon fils, Philémon, la singularité de sa personnalité, sa résonance avec la mienne… Je montre ma réalité : je suis dépassée par mon enfant, je cherche quoi faire quand il se lève – Je pense qu’il faut juste être patient ! Je me lance ici dans une sorte de petite enquête sur nos enfances, et j’en conclus que cette comparaison est un peu vaine ! J’essayais d’introduire une certaine variété graphique ici. Je suis allée récupérer les premiers dessins que j’avais réalisés en réfléchissant à ce projet : on me voit sur deux cartons jouer seul dans ma chambre. Je les avais travaillés en couleur, au crayon et à la plume, mais j’ai finalement mis ces procédés de côté lors de l’élaboration du livre – c’était joli, mais ça ne correspondait pas au style que j’avais choisi pour entremêler les époques. Techniquement, j’avais envie de revenir à quelque chose de matériel, des planches à l’ancienne avec de l’encre et du papier… J’avais envie de ressentir des choses, d’avoir de l’encre sur les doigts.

Philiations sera en deux volumes, mais il aurait pu en remplir davantage… J’aurais par exemple pu consacrer un volume entier à l’histoire de mon grand-père, ancien déporté et aide de camp du général de Gaulle. Mais je voulais entrelacer tous les fils qui font de moi l’humain que je suis. Le plus dur a été de leur donner de la cohérence. La suite sera plus simple, j’ai le sentiment de mieux savoir où je vais désormais. »

Philiations, t. 1, Gwen de Bonneval, éd. Dupuis, 224 p., 26 €.

 
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