Voici un roman sur notre Europe actuelle et le vertige de son avenir, avec ses personnages multiples et fascinants ; une aptitude exubérante à créer un monde de fiction dans la tradition des grands romans des « Empires » d’Europe de l’Est : on aura plaisir à faire retentir ici les noms des grands romanciers, de Gogol (Âmes mortes) à Musil (L’homme sans qualités), via Roth (La marche de Radetzky).
Amusez-vous également, à la recherche d’un casque volé qui parcourt tout le livre, en comparant cette quête à celle du mystère fondateur du roman gothique européen : Le château d’Otrante d’Horace Walpole (1764) où un gigantesque casque tombant du ciel dans la cour intérieure dudit château déclenche une succession d’événements fantastiques. Continuez l’image de ce casque volé dans le plus célèbre musée viennois, faisant référence à l’imagerie un peu dépassée du roman graphique Sceptre d’Ottokar (1938), cette aventure de Tintin qui se déroule dans les pays des Balkans.
Car le casque perdu est celui de Skanderbeg, héros national de l’Albanie, figure historique de la résistance victorieuse de son pays contre l’Empire ottoman au XVe siècle.
Ironie et finesse réalisées avec force
L’affaire intervient au moment des négociations pour l’entrée de l’Albanie dans la communauté européenne. Le Premier ministre albanais s’empare du sujet pour conjuguer dans un même élan la fierté nationale, le désir d’intégration européenne et son avenir personnel. Les épisodes très romantiques se succèdent au galop, mêlant le quotidien des responsables européens à Bruxelles, aux bouleversements politiques de la Pologne nationaliste et bien sûr à la découverte de l’Albanie actuelle.
De ce réseau serré de personnages et de situations, si finement et méticuleusement dressé, on retiendra le caractère orphelin de nombreux héros et héroïnes du roman : tous ont subi dans leur enfance et leur jeunesse les aléas de l’histoire politique de leur pays respectif. . Comme si l’idée même de l’Europe qu’ils tentent de construire, en tant qu’adultes, venait combler les lacunes et les lacunes de leur itinéraire personnel. Une dimension parmi d’autres de l’idée européenne, dans un roman où l’ironie et la finesse portées à toute allure renforcent l’agrément de lecture.
