« Moi Maistrelli, professeurs de Corse, de la Belle Époque à 1914 »

« Moi Maistrelli, professeurs de Corse, de la Belle Époque à 1914 »
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Il s’agit d’un bel ouvrage, une coédition Albiana / Università di Corsica sur ces professeurs de la République, traversant l’histoire culturelle et sociale, voire politique, de la Corse au tournant du XIXème siècle. Ces « hussards noirs » annoncent et accompagnent sa modernisation autant que l’avancée générale des techniques agricoles, industrielles, de transports, etc. Dans cet ouvrage de ce collectif d’auteurs*, ils témoignent, à plusieurs décennies d’intervalle, de ce qu’a été leur existence. sur l’île, leurs espoirs et leurs difficultés. L’objectif de cet ouvrage collectif est de tenter d’écrire l’histoire des enseignants de la Belle Époque (1890-1914) en Corse. Ces maistrelli ont rythmé, par leur mission et leur action, le pouls de notre communauté insulaire. Les documents contenus dans l’ouvrage offrent la possibilité rare de comprendre également les rouages ​​de ces parcours de vie personnels, professionnels et civiques et constituent une grille de lecture précieuse et unique de l’histoire générale contemporaine de la Corse et de sa société.
Denis Jouffroy est maître de conférences à l’INSPE di Corsica, il nous explique sa démarche.

– L’idée du livre ?

– Lors d’un premier travail de recherche présenté en 2017, nous avons eu l’occasion d’utiliser des documents iconographiques fournis par le Munaé, Musée National de l’Éducation. A cette occasion, nous avons également pu découvrir quelques « questionnaires Ozouf » concernant les enseignants corses. Cette exposition bilingue retrace, depuis la création de l’école normale de garçons en 1829 jusqu’aux années 2015-2017, « l’épopée » de la formation des hommes et des femmes au service de l’enseignement primaire en Corse. Ce travail, initié et coordonné par Dominique Verdoni, directeur de l’ESPE di Corsica, a été réalisé autour d’une petite équipe composée d’Alain Di Meglio, Marie-Paule De Mari et moi-même, de 2016 à 2017, principalement à partir d’archives conservées. sur le site de l’ESPE di Corsica d’Aiacciu, à Maestrellu

– Et vous avez découvert des documents inédits…

– En effet, et la découverte de ces documents inédits, révélant la vie d’enseignants corses ayant débuté leur carrière avant 1914, a éveillé notre curiosité et, rapidement, la décision d’y consacrer de nouveaux travaux de recherche s’est imposée !

– Pourquoi vous intéressez-vous à cette période plutôt qu’à une autre ?

– Cette période de la Belle Époque est une période charnière dans l’histoire de l’éducation en Corse et ailleurs avec le développement du rôle des enseignantes, la massification de l’enseignement et un tournant chronologique historique avec le développement de la laïcité. C’est aussi une période historique majeure pour le contexte corse : crise économique, enracinement dans la Troisième République, prise de conscience de l’identité régionale et émergence d’une conscience linguistique corse, veille de la Grande Guerre… Comme le dit très bien Alain Di Meglio en conclusion : « L’ordre primaire aura su créer sa propre élite populaire, notamment à la fin de la Belle Époque ». La Corse n’échappera pas à cet ascenseur culturel puis social. Rurale, pauvre et très peuplée à cette époque de l’histoire, la Corse, et particulièrement ses femmes, ont su tirer le meilleur parti de ce chemin d’émancipation. Certes, comme dans toutes les régions françaises, le système éducatif aura une force d’acculturation importante, au détriment des langues régionales qui arrivent en bout de course à ce moment de l’histoire. L’intérêt majeur est de mettre à disposition des sources inédites de cette période.

– Comment votre travail a-t-il été structuré ?

– Pour le réaliser, nous avons choisi d’emprunter la matrice méthodologique initiée par Eugène Gherardi dans ses travaux sur l’élaboration d’une histoire de l’éducation en Corse. Cette méthode repose sur la mise à disposition, aux lecteurs de tous horizons, de sources archivistiques verbatim accompagnées d’analyses, réalisées ici par une équipe multidisciplinaire de chercheurs et d’enseignants-chercheurs, pour éclairer la complexité et la diversité des données. J’ai coordonné cette équipe enthousiaste !

– Dans un cadre particulier ?

– Ce projet de recherche a été entrepris dans le cadre du programme B3C, Boost Cultural Competence in Corsica, coordonné par Sébastien Quenot, soutenu par l’UMR CNRS 6240 LISA de l’Université de Corse Pasquale Paoli, avec le soutien financier de la Communauté de Corse. La réalisation du projet est le résultat d’un partenariat actif et efficace avec Munaé. Après avoir établi une convention avec la Munaé, nous avons inventorié les questionnaires des enseignants corses ayant participé à la grande enquête menée par Jacques Ozouf. Cette enquête a été réalisée auprès de 20 000 enseignants, soit près de 4 000 questionnaires remplis au début des années 1960. De cette merveilleuse moisson ont été tirés deux ouvrages de synthèse qui ont permis de comprendre les principaux traits de l’histoire de ces « héros » de l’enseignement primaire en France. « Nous, les maîtres d’école, Autobiographies des enseignants de la Belle Époque », de Jacques Ozouf et « La République des enseignants », de Jacques Ozouf Jacques et Mona. A partir de ce corpus dont l’archive complète est détenue par la Munaé, nous avons constitué un corpus corse exploitable qui est composé de 36 dossiers, 23 dossiers d’enseignants, 11 dossiers d’enseignants insulaires et 2 dossiers d’inspecteurs primaires ayant passé une partie de leur carrière en Corse.

– Un ouvrage en deux parties…

– La première est consacrée aux éclairages thématiques de la rédaction. La seconde comprend la publication intégrale de ce corpus inédit composé de ces 36 questionnaires complétés. Nous avons choisi de publier des transcriptions plutôt que les documents manuscrits originaux, afin de faciliter la lecture et la compréhension des réponses apportées. Des informations supplémentaires sur ces enseignants provenant de sources supplémentaires sont présentées.

– On apprend beaucoup de choses sur la vie durant cette période…

– L’ensemble des données constitue une grille de lecture précieuse et unique de l’histoire générale de la Corse et de sa société. Elle permet également de réfléchir sur la situation actuelle, des continuités existent sur la place de l’offre publique de formation de la maternelle à l’université dans un monde très ouvert et compétitif, l’importance de former les citoyens de demain au plus près du lieu de vie, la diversité culturelle et avant tout la mission d’émancipation que constitue la diffusion des savoirs et le rôle central et relais que jouent les enseignants dans la société. Studio il est libre! Ces femmes et ces hommes ont rythmé, par leur mission et leur action, le pouls de notre communauté insulaire. Parfois, ils ont agi comme de simples prescripteurs d’instructions nationales, devenant ainsi des accélérateurs de mécanismes d’acculturation, mais bien souvent, ils ont été de véritables agitateurs d’idées nouvelles et pionniers de transformations sociales et politiques. Au-delà du thème du questionnaire stricto sensu, « être enseignant à la Belle Époque », la diversité des réponses et des évolutions volontaires révèlent également quel a été l’environnement social et géographique plus large de nos héros. Pour plusieurs enseignants, le but plus ou moins avoué, au-delà de répondre scrupuleusement au questionnaire, est de réactiver la vie de ce temps passé, de donner chair et souffle à ce monde perdu. L’analyse de notre corpus met en évidence une inévitable percolation entre espace privé et espace public. Ainsi dans les réponses, on constate que les frontières entre vie privée, vie familiale et vie professionnelle étaient pour une écrasante majorité des répondants très floues, voire inexistantes.

– Comment l’expliquer ?

– Ce souvenir des cinquante dernières années les rend très méfiants à l’égard des régimes politiques… Ils sont convaincus de l’universalité de la morale laïque. Ils portent un regard critique sur la tradition religieuse, sans toutefois exprimer avec virulence un anticléricalisme combatif. C’est globalement ce qui ressort de l’observation croisée des réponses des femmes et des hommes du corpus. Premiers témoins des bouleversements de la fin du XIXème siècle et de la première moitié du XXème siècle, ils ont vécu la transformation des campagnes, le mouvement de désertification des communes où un grand nombre d’entre eux ont bâti leur vie. Avant 1914, ils décrivent une effervescence intellectuelle qui augure de transformations majeures de la société, dont ils auraient pu être les participants actifs. Mais la Grande Guerre fut pour la grande majorité une rupture terrible, qui leur fit prendre conscience de leurs limites et transforma leurs espoirs en désillusions.

– Envisagez-vous une suite ?

– Oui, nous souhaitons également, du côté de l’INSPé di Corsica et de l’UMR CNRS 6240 LISA, sous la houlette d’Eugène Gherardi, poursuivre ce travail de mise à disposition des sources et analyses de l’histoire de l’éducation en Corse pour les étudiants, pour la communauté universitaire mais surtout la société corse qui, collectivement et individuellement, a une histoire unique avec « l’école ». C’est une histoire incarnée, à l’identité plurielle. De nombreux travaux sont en cours, par exemple l’entre-deux-guerres mérite d’être étudié plus en détail… Les projets ne manquent pas ! Je tiens à remercier chaleureusement les Éditions Albiana pour leur soutien dans cette aventure !

 
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