CeuxSystème multilatéral –
Trump sème la panique dans une Genève internationale en crise
Les États-Unis ont suspendu leur aide au développement. Les pays riches multiplient les coupes budgétaires. Le multilatéralisme vacille.
Publié : 24/01/2025, 18h36
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- Les États-Unis se retirent de l’OMS et de l’Accord de Paris.
- L’aide américaine au développement est suspendue pour quatre-vingt-dix jours.
- Les experts craignent la fin du multilatéralisme international.
Un vent de panique souffle sur la Genève internationale. Donald Trump a signé lundi, le jour de son investiture, une multitude de décrets présidentiels, dont plusieurs auront des effets dévastateurs sur le système des Nations Unies et le monde des ONG. Déjà confrontés à une forte baisse des financements, les acteurs de l’aide au développement et de l’action humanitaire ne pourront plus assurer leur mission. Les uns après les autres, les principaux pays donateurs tournent le dos au système multilatéral. Voyez plutôt.
Donald Trump a annoncé le retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) basée à Genève, agence de l’ONU dont Washington assure 18% du financement. Il a également annoncé que son pays quitterait – à nouveau – l’Accord de Paris sur le climat. Il y aura des réductions des contributions aux organisations travaillant dans ce domaine.
Ce n’est pas tout. Le président a suspendu toute aide au développement pendant quatre-vingt-dix jours, histoire de vérifier son efficacité et son alignement avec la politique étrangère du nouveau locataire de la Maison Blanche. C’est une part importante de l’aide internationale qui est menacée, car les États-Unis sont le plus grand donateur : 63,5 milliards de dollars en 2023, selon les chiffres de l’OCDE.
Coupes en Europe
La menace est d’autant plus grave qu’elle survient au moment où d’autres pays donateurs ont déjà amorcé une baisse de leurs contributions, marquant un tournant alarmant, notent Nilima Gulrajani et Jessica Pudussery, chercheuses au groupe de réflexion ODI Global à Londres. « Les dépenses d’aide étrangère ont atteint un niveau record de 223 milliards de dollars en 2023. Mais l’année dernière, huit pays riches ont annoncé une réduction de 17,2 milliards de dollars de l’aide publique au développement et trois autres parlent de réductions au cours des cinq prochaines années.
Ainsi l’Allemagne, numéro deux de l’aide internationale, a versé 32,2 milliards de dollars en 2023, mais le chancelier social-démocrate, Olaf Scholz, a annoncé une réduction de 2 milliards de dollars en 2024. Et si le très conservateur Friedrich Merz remporte les élections législatives de février, on peut s’attendre à ce que de nouvelles réductions.
La France également, qui avait consacré 15,4 milliards de dollars à l’aide au développement en 2023, a réduit de 1 milliard en 2024. En effet, les deux tiers des pays de l’Union européenne sont en train de resserrer leur budget de coopération. Et même la Suisse vient d’en débattre au Parlement.
L’Ukraine reçoit à elle seule un dixième de toute l’aide au développement. Il s’agit clairement d’une priorité pour les principaux pays donateurs, qui sont également membres de l’OTAN. Et dans sept de ces pays, un quart de l’enveloppe destinée à la coopération internationale ne sort pas du territoire car elle couvre les dépenses liées à l’accueil des réfugiés.
-Explosion des besoins
Bref, les décrets de Donald Trump aggravent une situation déjà critique. «C’est un énorme problème pour les organisations internationales», confirme le politologue Daniel Warner, qui a longtemps été directeur adjoint de l’IHEID à Genève. En 2023, le Palais des Nations a fermé brièvement pour des raisons d’économie, car le Congrès américain a bloqué sa contribution à l’ONU, rappelle-t-il.
“Dans les ONG comme à l’ONU, c’est la panique”, constate Oshani Perera, directeur des programmes au Centre Shamba pour l’alimentation et le climat, basé à Genève. « Nous constatons une diminution des revenus alors que les besoins augmentent en raison de la crise climatique, des catastrophes naturelles, des guerres ou des pandémies. »
Il n’est pas facile de trouver d’autres sources de revenus. « Les financements ne s’obtiennent pas d’un seul coup », note Oshani Perera. Entre bailleurs de fonds et ONG, la confiance se construit petit à petit, cela prend du temps. Certaines organisations ont la chance d’être déjà soutenues par des philanthropes, mais on peut s’attendre à davantage de concurrence à l’avenir. »
« Nous avons vu que certaines agences de l’ONU prévoient déjà des réductions de 10 à 15 % », poursuit-elle. D’autres se rapprochent des pétromonarchies du Golfe. Mais ils n’obtiennent des fonds que si cela sert les intérêts de ces États. Il sera par exemple possible de financer des « fermes verticales » – un projet d’adaptation au changement climatique – mais pas de programmes de lutte contre le réchauffement climatique impliquant la transition vers les énergies renouvelables.
Mort du multilatéralisme ?
Et la Chine ? Elle aussi ne ferait que promouvoir ses propres intérêts, exactement comme l’Amérique de Trump, affirme Daniel Warner. « Il n’est plus question de bien commun, de responsabilité collective, de solidarité internationale. Désormais, tout ce qui compte, c’est l’intérêt national. Certains prédisent la fin du système multilatéral. L’ONU n’est déjà plus en première ligne pour résoudre les conflits armés. Cela est évident au Moyen-Orient et en Ukraine. Mais en plus, les Nations Unies sont entravées dans leur aide au développement et leur action humanitaire.»
« L’ensemble du système autour des Nations Unies a été construit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, parce que les gens ont compris l’urgence de la coopération. Les rêves de grandeur nationale avaient conduit au pire, rappelle le politologue. Aujourd’hui, on voit bien qu’il y a un retour en arrière, un repli nostalgique vers un monde que nous avons mieux compris : notre pays, notre communauté, notre famille. Une réaction conservatrice face aux changements sociétaux rapides. Et peut-être aussi une perte de sensibilité à l’autre, une distance introduite par les nouvelles technologies.
« La réduction de l’aide au développement pourrait-elle être une opportunité de réduire la dépendance à l’égard des pays riches ? demande Oshani Perera. « Cela pourrait être possible dans des pays où la faim a été éradiquée. Mais pour les pays les plus pauvres, totalement dépendants, le choc sera aussi dévastateur que la pandémie de Covid.»
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