«Nommer, c’est s’approprier», titrait le journal La Croix en 2011. Entre deux élans expansionnistes contre le Canada ou le canal de Panama, Donald Trump a réaffirmé lors de son investiture sa volonté de renommer le golfe du Mexique « golfe d’Amérique ». Le gouverneur de Floride, Ron deSantis, a déjà approuvé le nouveau nom en promulguant un décret, et le secrétaire d’État doit mettre à jour le système d’information sur les noms géographiques dans les 30 jours.
“C’est d’abord une approche masculiniste et autoritaire” de la part de Donald Trump, estime Frédéric Leriche, professeur de géographie à l’université de Versailles Saint-Quentin. “Il y a un double enjeu : rabaisser le Mexique, autour d’un enjeu de politique migratoire, et un enjeu symbolique en passant d’un nom qui désigne la région sous son nom préhispanique à un nom d’origine européenne.” « Ce n’est pas très amical envers le Mexique, estime Stéphane Rosière, ancien professeur de géographie à l’université de Reims.
Souveraineté et institutions
Dans le même esprit, vouloir renommer le mont Denali, nom officialisé par Barack Obama à partir du nom amérindien de la montagne, en mont McKinley reflète « une suprématie blanche très claire ». Une modification qui ne sera qu’une formalité, la montagne étant entièrement située aux Etats-Unis. « La toponymie est une question de souveraineté des États », précise le géographe. C’est le cas des noms de montagnes, de villes, comme Astana qui fut brièvement rebaptisée Nour-Sultan, et même des pays eux-mêmes, la junte birmane ayant choisi d’appeler le pays Myanmar.
Mais dans le cas du Golfe du Mexique, Donald Trump ne pourra pas redessiner seul les cartes du monde. Deux organismes internationaux font autorité en la matière : l’Office hydrographique international, basé à Monaco et créé en 1921, devenu depuis une Organisation hydrographique internationale (OHI), « délimite, classe et nomme avec précision les mers, les détroits » et tout objet géographique maritime, indique Frédéric Leriche. Contacté par 20 minutesl’organisation n’a pas répondu à nos demandes.
La mer du Japon, un cas comparable ?
Face aux envies de Donald Trump, la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum n’entend pas céder, affirmant que “pour nous et pour le monde entier, cela reste le Golfe du Mexique”. « Il y a un intérêt à trouver un nom qui convienne à tout le monde », reconnaît Stéphane Rosière, mais les contre-exemples sont fréquents. « L’affichage de noms français est interdit en Flandre, où Lille est désignée sous le nom de Rijsel sur les panneaux de signalisation. » Il en va de même pour Bratislava, connue sous le nom de Pozsony en Hongrie. “Cela a une valeur symbolique forte liée au nationalisme”, explique-t-il.
-Un cas pourrait être comparé à celui du golfe du Mexique : la mer du Japon, appellation contestée par la Corée du Sud. “Pendant longtemps, les mers n’avaient pas de noms au Japon”, pays essentiellement tourné vers l’intérieur des terres, explique Cécile Michoudet, professeure agrégée de géographie à l’UVSQ. C’est l’explorateur français Jean-François de la Pérouse qui donna leurs noms au détroit de Corée et à la mer du Japon, lorsqu’il cartographia leurs côtes à la fin du XVIIIe siècle. « Comme cela n’a jamais été débattu, le BHI les a officialisés » lors de sa création, au début du XXe siècle. Mais « c’était pendant la période coloniale, lorsque le Japon occupait les deux rives ».
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À partir des années 1980, la Corée du Sud a lancé une campagne de sensibilisation et a « gagné sa cause » : le BHI reconnaît les deux noms et inscrit désormais « Japon/Mer de l’Est » sur ses cartes. Mais l’approche de Donald Trump est radicalement différente. « Cela s’inscrit dans le balayage des institutions internationales hérité de 1945 », remarque Frédéric Leriche. Le président américain n’attache guère plus d’importance à l’OHI qu’à l’OMS. Loin de la diplomatie habituellement déployée pour se mettre d’accord sur un nom, Trump veut « fonder les relations internationales sur l’équilibre des puissances ». Il faudra donc s’habituer à ce que les États-Unis désignent, sans doute un peu seuls, le golfe du Mexique par son nom trumpien.