Dans le cadre d’une escalade de violence sans précédent, des gangs attaquent désormais le système de santé haïtien. En 2024, 21 attaques visant des infrastructures médicales ou du personnel de santé ont été recensées. Les hôpitaux sont tombés aux mains de groupes criminels. Le personnel de santé continue de fuir l’insécurité généralisée. Et les pénuries de matériel médical s’accentuent.
« Être présent ici, en Haïti, c’est accepter de vivre dans des conditions difficiles, c’est accepter de ne pas pouvoir un jour rentrer chez soi. C’est accepter la mort, puisque l’insécurité vous attend à chaque instant, à chaque instant”, résume dans Devoir un médecin haïtien travaillant pour Médecins du Monde Canada. Devoir a accepté de cacher son identité pour des raisons de sécurité.
La situation est particulièrement critique à Port-au-Prince, où les gangs contrôlent environ 85 % du territoire. Les attaques contre le système de santé se sont multipliées ces dernières semaines. « La violence continue de franchir les lignes rouges. […] Il n’y a aucun respect”, déclare le D dans une interviewr Oscar Barreneche, représentant en Haïti de l’Organisation panaméricaine de la santé/Organisation mondiale de la santé (OPS/OMS).
Le plus grand hôpital du pays, l’Hôpital universitaire d’État d’Haïti, situé près du Palais national dans la capitale, a fermé ses portes il y a plus de dix mois après avoir été attaqué par les membres du gang de la coalition Viva ansanm (Vivre ensemble). Le 24 décembre, lors d’une cérémonie qui devait marquer la réouverture d’une partie de l’établissement, les malfaiteurs ont une nouvelle fois ouvert le feu, faisant au moins 4 victimes.
Quelques jours plus tôt, le 17 décembre, des membres de Viva ansanm avaient vandalisé et partiellement incendié l’hôpital privé Bernard Mevs, également à Port-au-Prince, le rendant inutilisable. En novembre, une ambulance de Médecins sans frontières transportant trois jeunes blessés par balle a été attaquée dans la capitale. Au moins deux personnes ont été exécutées.
Pourquoi le système de santé est-il ainsi attaqué ? «On ne sait pas ce que pensent les gangs», répond le médecin de Médecins du monde Canada. De manière générale, c’est toute la communauté haïtienne qui est visée et visée. [par cette violence]. Personne n’échappe à cette situation. »
Accessibilité aux soins
Ces attaques – qui s’ajoutent à la succession de crises vécues en Haïti et au sous-financement chronique du système de santé – ont un effet direct sur l’accessibilité aux soins. D’autant que le niveau « d’insécurité extrême » a poussé environ 40 % des agents de santé à quitter le pays, selon l’UNICEF. Et que les chaînes d’approvisionnement en fournitures médicales et en médicaments soient perturbées.
Selon les données fournies par l’OPS/OMS, 38% des établissements de santé de Port-au-Prince ne sont pas fonctionnels et 18% ne sont que partiellement fonctionnels. Les interruptions de service sont principalement imputables à l’insécurité (79%). Viennent ensuite les pénuries de personnel (21 %) et le manque de fournitures médicales (17 %).
À l’échelle nationale, seuls 27 % des établissements de santé sont entièrement fonctionnels et 54 % le sont partiellement. Le manque de fournitures médicales (60 %) et le manque de personnel (46 %) expliquent principalement les interruptions de service, suivis par l’insécurité (44 %).
-La plupart des établissements restés ouverts ne disposent cependant pas de blocs opératoires « et ne peuvent pas gérer les urgences compliquées comme les blessures par balle », souligne la D.r Barnèche. A Port-au-Prince, un seul établissement, l’Hôpital universitaire de la Paix, implanté dans un quartier qui résiste au joug des gangs, est capable de gérer un afflux massif de blessés. « Il est complètement dépassé. […] La santé en Haïti, c’est un patient en soins intensifs. »
Accordéon
Pour continuer à desservir les zones devenues trop dangereuses, Médecins du monde Canada travaille « en accordéon », explique son médecin. Lorsque la situation sécuritaire le permet, l’organisation déploie son personnel dans les communautés pour développer des « stratégies » de soins. Puis lorsque la situation devient trop volatile, « nous réduisons la présence de nos équipes, tout en gardant sur place un noyau d’agents de santé communautaire polyvalents (ASCP) qui sont implantés dans la communauté, qui habitent dans la communauté et qui continuent à faire le travail ». avec les autorités locales. »
Médecins du Monde Canada parvient ainsi à soutenir le centre de santé Fontaine, le seul encore en service à Cité Soleil, le plus grand bidonville de Port-au-Prince, en proie à d’intenses violences. « Nous sommes là à travers les ASCP qui ont été formés sur plusieurs thématiques de santé et de soins. » L’organisation fournit également des médicaments et prend en charge une partie des salaires du personnel. « Notre acceptation, jusqu’à présent, à Cité Soleil est toujours là. »
Crise alimentaire
Outre l’afflux important de blessés (selon l’ONU, 5 601 personnes ont été tuées par des gangs l’an dernier – 20 % de plus qu’en 2023 -, 2 212 ont été blessées et 1 494 kidnappées), le pays doit gérer une grave crise alimentaire. « Plus de la moitié de la population est dans une situation d’insécurité alimentaire sévère », rapporte le Dr.r Barnèche. Il existe même des poches de famine. » Les violences, importantes dans le département de l’Artibonite, grenier du pays, expliquent notamment cette crise.
En un an, le nombre de personnes déplacées dans le pays a triplé pour atteindre un million, selon l’Organisation internationale pour les migrations. La plupart de ces personnes déplacées ont trouvé refuge dans des camps surpeuplés et aux conditions sanitaires médiocres. “Si un cas de rougeole apparaît chez ces enfants malnutris, ils mourront comme des mouches”, affirme le Dr Barnèche. Les violences sexuelles sont également en augmentation. Sans oublier les « besoins en santé mentale qui explosent », ajoute le médecin.
Au milieu de ces immenses défis, les autorités sanitaires parviennent toujours à maintenir une certaine surveillance épidémiologique. En décembre, plusieurs épidémies de choléra ont été contenues dans le département de l’Artibonite grâce à la vaccination de plus de 120 000 personnes par l’OPS/OMS. Beaucoup plus pourrait être fait si la sécurité était rétablie dans le pays, souligne le Dr Barnèche
« Il s’agit actuellement de la catastrophe humanitaire la plus importante dans l’hémisphère occidental, et nous n’en parlons pas assez », a-t-il déclaré, ajoutant que les Haïtiens se sentent « abandonnés ». Le soutien à Haïti doit être accru, dit également le médecin. « La réponse de la communauté internationale reste insuffisante pour faire face à l’urgence de la situation et à l’effondrement du système de santé. »
Il reste néanmoins optimiste. « La souffrance des Haïtiens ne peut pas être éternelle. »