Parfois, une arnaque est aussi simple qu’un appel téléphonique. Il y a un an, un seul appel suffisait pour priver Kamta Prasad Singh de ses économies, encore une fois victime d’une vague inquiétante d’arnaques aux « arrestations en ligne » qui sévissent en Inde. « Je suis ruiné », confie cet enseignant retraité de l’État du Bihar (nord-est), au bord des larmes. « J’ai perdu le sommeil, je n’ai plus faim… ». Pour Kamta Prasad Singh, le cauchemar a commencé par un appel téléphonique d’un homme se faisant passer pour un responsable de l’autorité nationale de régulation des télécommunications.
Péremptoire, son interlocuteur lui affirme que son Aadhaar – un numéro à 12 chiffres basé sur la biométrie qui permet d’identifier chaque citoyen du pays le plus peuplé du monde – a été utilisé à mauvais escient pour effectuer des paiements frauduleux. « Il m’a dit que la police (de l’État) du Maharashtra était sur le point de m’arrêter », se souvient-il. Kamta Prasad Singh est ensuite invité à rejoindre un appel vidéo sur WhatsApp. Là, un homme en uniforme de policier lui dit d’effectuer un virement bancaire « provisoire » pour régulariser sa situation. Terrifié, il obéit et finit par perdre l’équivalent de 15 000 francs. Depuis, le retraité de 62 ans est inconsolable.
Crédibilité
“Pendant des années, j’ai évité de prendre mon thé dehors, je marchais pour ne pas avoir à payer les transports en commun”, déplore Kamta Prasad Singh, “je sais comment je mets de l’argent de côté”. Cette fraude à la fausse identité fait des ravages en Inde. Les dernières statistiques disponibles ont recensé 17 470 crimes et délits « cyber » en 2022, dont 6 491 fraudes bancaires en ligne. Les autorités sont préoccupées par le nombre croissant de cas où des escrocs se font passer pour des policiers pour extorquer de l’argent à leurs victimes.
Pour établir leur crédibilité, ils piratent les véritables numéros Aadhaar de leurs victimes sur Internet. «Ils réussissent très bien à convaincre les gens», note Sushil Kumar, un policier du Bihar spécialisé dans la cyberfraude. “Ils savent aussi trouver sur internet les détails du fonctionnement des agences de l’Etat qui les rendent crédibles.” L’année dernière, le Premier ministre Narendra Modi s’était ému de ces escroqueries « fondées sur la peur » et avait promis la coopération de toutes les polices du pays « pour lutter contre ces fraudes ». Jusqu’à présent, ils peinent à entraver l’ingéniosité et l’audace des escrocs.
-En décembre 2023, l’écrivaine Kaveri (nom modifié pour protéger son anonymat), 71 ans, a été trompée par un homme se faisant passer pour un agent du géant américain de la livraison FedEx. Il lui raconte qu’un colis, notamment chargé de drogue et envoyé à son nom, a été intercepté et qu’un complice présumé l’accuse de blanchiment, avant de lui passer un « policier ». Comme « preuve » de son identité, l’homme lui montre son véritable numéro Aadhaar. «Ils voulaient que je leur envoie de l’argent», décrit Kaveri. Convaincue par des lettres à en-tête de la Banque centrale ou de la police fédérale (CBI), elle a fini par leur envoyer près de 132 000 francs.
Crédulité
Ruinée, elle a depuis dû quitter son domicile et se méfie désormais de tout le monde. « Sur mon téléphone, j’ai plus de numéros bloqués que de contacts authentiques », soupire le septuagénaire. Tout en s’insurgeant contre le manque de sécurité des transactions bancaires, le policier Kumar déplore aussi la crédulité des victimes dans un pays où la digitalisation a progressé à pas de géant. “La connaissance et le discernement (du grand public) ont progressé, mais il reste encore beaucoup à faire”, estime-t-il. Assistante soignante, Meeta était piégée comme Kaveri, au même moment.
Dans son cas, un autre vrai faux « policier » lui a demandé, pour prouver son innocence, de cliquer sur une demande de prêt via l’application mobile de sa banque. Son interlocuteur l’a appelée depuis un endroit qui « ressemblait à un commissariat de police, avec des bruits de talkies-walkies », se défend la jeune femme de Bengaluru, dont le prénom a été modifié. Menacée, elle a cédé et a demandé un prêt de 200 000 roupies (2 000 francs) qu’elle a immédiatement viré sur un compte inconnu. Même si elle a déposé une plainte à la police, elle a été contrainte de rembourser le prêt. Elle a depuis perdu toute confiance dans sa banque et condamne les fraudeurs à « l’enfer absolu ».
(AFP)