Soupçonné d’avoir coupé les câbles de télécommunications sous-marins Arelion et C-Lion1, le cargo chinois Yi Peng est immobilisé depuis maintenant un mois dans le détroit de Kattegat, en bordure des eaux territoriales danoises. [soit à un peu plus de 12 nautiques de la côte]tout en étant étroitement surveillé par des navires danois et allemands.
L’une des caractéristiques d’une opération dite « hybride » est qu’il est difficile de déterminer ses sponsors. Or, comme l’a récemment rapporté le Wall Street Journal, les services de renseignement occidentaux estiment que l’équipage du Yi Peng 3 a été « incité » par la Russie à endommager ces câbles sous-marins. Mais encore faut-il pouvoir le prouver… d’autant que pour Moscou, de tels soupçons sont « risibles » et « absurdes ».
Il n’en reste pas moins que le comportement du cargo chinois est suspect. Examiner vos données AIS [Système d’identification automatique] a ainsi révélé que, le 7 novembre, il avait ralenti avant de s’arrêter alors qu’il naviguait au-dessus de trois câbles sous-marins, dans le secteur du détroit de Cattegat.
La chaîne d’information danoise TV2 a sollicité les services de la société BluEye Robotics pour vérifier l’état de ces câbles. Alors elle y a envoyé un robot sous-marin [ROV pour Remotely operated underwater vehicle]. Résultat ? Une longue traînée, avec une « empreinte profonde », visiblement laissée par une ancre, a été repérée. Et cela correspond à la trajectoire du Yi Peng 3 telle qu’elle a été reconstituée par les données AIS. Et c’est précisément la procédure qui a été suivie pour couper, deux semaines plus tard, les câbles Arelion et C-Lion1.
Pour le moment, la Suède, en charge de l’enquête, n’est pas autorisée à embarquer sur le Yi Peng 3, faute d’accord de son État du pavillon, en l’occurrence la Chine. Pourtant, le 19 décembre, des policiers suédois ont été invités par des « représentants des autorités chinoises » à monter à bord… mais uniquement en tant qu’observateurs.
En tout état de cause, la protection des infrastructures maritimes des pays de l’Union européenne [UE] et/ou l’OTAN est désormais une priorité, d’autant qu’ils risquent de faire l’objet d’attaques « hybrides » de plus en plus fréquentes. D’où le développement de nouvelles capacités, dans le cadre de projets financés par le Fonds européen de la défense. [FED]tel que « SEACURE » [SEabed and Anti-submarine warfare Capability through Unmanned featuRe for Europe].
Succession du SEANICE [AntiSubmarine warfare European Autonomous Networked Innovative and Collaborative Environment]financé à hauteur de 10 millions d’euros par le Programme européen de développement industriel de défense [PEDID / EDIDP]SEACURE vise à doter les pays européens participants de « capacités souveraines dans le domaine de la guerre anti-sous-marine et de la guerre des fonds marins ».
Comme celle de son prédécesseur, la coordination de ce projet a été confiée au groupe français Thales. Prévu pour durer 45 mois et doté d’un budget de 44 millions d’euros, il mobilisera pas moins de 35 industriels et centres de recherche de 13 États membres de l’UE, dont la France, l’Italie, la Grèce, l’Allemagne, la Suède, la Finlande et les Pays-Bas. Pour mémoire, l’Autriche, via « l’opérateur de drones » Schiebel, y participe… alors même que ce pays n’a pas d’accès à la mer.
Parmi les industriels concernés figurent, outre les différentes filiales de Thales, Naval Group, Exail Robotics, RTSYS, Alseamar, Leonardo, Drass, Fincantieri, Atlas Elektronik et ESG Elektroniksystem- Und Logistik.
« Divers événements récents conduisent à l’accélération des plans au sein de l’OTAN et des pays européens visant à protéger les infrastructures maritimes d’intérêt national. Ces projets portent sur de nouveaux théâtres qui nécessitent des capacités et des concepts d’exploitation également nouveaux », explique Thales, via un communiqué publié le 19 décembre.
Aussi, poursuit l’industriel, « l’objectif principal de SEACURE est de développer et de démontrer en mer, d’ici 2028, un système intégré de systèmes capables d’exécuter des opérations conjointes autonomes de guerre anti-sous-marine et sur les fonds marins, afin de protéger les infrastructures maritimes cruciales pour les pays. Et de préciser : « Cette initiative met l’accent sur les capacités de détection, de classification, d’identification et de suivi des menaces sous-marines dans les conditions les plus difficiles, à l’aide de drones aériens, de surface et sous-marins ».
Enfin, SEACURE « fournira un système de défense polyvalent pour mener à bien de telles opérations, avec un niveau d’autonomie plus élevé, basé sur un système d’architecture de systèmes ouvert, agile, modulaire et évolutif. Ce système interopérable sera parfaitement adapté au combat collaboratif.
Reste à savoir ce qu’un tel « système de systèmes » pourra faire face à un navire ayant volontairement laissé son ancre à proximité de câbles sous-marins… Mais les infrastructures maritimes ne se limitent pas à ces derniers et les développements de SEACURE ouvriront d’autres voies. .
En effet, selon la fiche du projet publiée par la Commission européenne, il s’agit d’un « concept d’engagement contre des intrus hostiles utilisant des torpilles anti-torpilles ». Ce qui pourrait s’appliquer à d’autres aspects du combat naval.
Photo : Agence européenne de défense