Coloniser le Sud-Liban, le projet messianiste d’un groupe nationaliste israélien

Coloniser le Sud-Liban, le projet messianiste d’un groupe nationaliste israélien
Coloniser le Sud-Liban, le projet messianiste d’un groupe nationaliste israélien

« L’accord entre Israël et le Hezbollah ne changera rien. […] La seule solution qui puisse empêcher le retour de l’ennemi chiite est la colonisation juive.» Début décembre, alors que l’armée israélienne était accusée par la d’avoir violé le cessez-le-feu au Liban, conclu le 27 novembre entre l’Etat hébreu et l’organisation islamiste, à une cinquantaine de reprises. Chiite, le mouvement messianiste juif nommé « Uri Tzafon »1 – Le terme « Uri Tzafon », que l’on peut traduire par « Réveille-toi, ô Nord », vient d’un passage du Cantique des Cantiques (4 :16), livre commun aux versions chrétienne et hébraïque de la Bible. En français, il se traduit par « Rise, aquilon ! », synonyme littéraire du vent du nord. 1 (« Lève-toi, ô Nord » en français) affirmait encore sur son groupe WhatsApp la nécessité pour Israël de coloniser la région.

Depuis la création d’Israël en 1948, plusieurs mouvements messianiques ont appelé à la colonisation du Liban au sud du fleuve Litani, une zone qu’ils revendiquent comme faisant partie de la « Terre promise ». Avec pour emblème un cèdre entouré de l’étoile de David, Uri Tzafon a rassemblé plusieurs milliers de fidèles depuis le printemps 2024 et soutient que la colonisation du Liban serait à la fois une nécessité sécuritaire – un moyen de« accorder une sécurité véritable et stable au nord d’Israël »selon des communiqués publiés sur son groupe WhatsApp – et une quête messianiste de “pour récupérer” le territoire.

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Uri Tzafon est un mouvement nationaliste « les origines du sionisme » et qui « considérez la Bible comme un registre foncier »indique Karim Émile Bitar, professeur de relations internationales à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth et chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). « Avec l’arrivée d’ultranationalistes au sein du gouvernement israélien, ouvertement favorables à la colonisation, ces courants messianistes se font de plus en plus entendre, notamment sur la colonisation de la bande de Gaza et pour certains [comme Uri Tzafon, ndlr] sur la colonisation du Sud-Liban »observe ce spécialiste du Moyen-Orient.

« Cette terre appartient à Israël et aux Juifs »

“Attention! Cette terre est celle d’Israël, elle appartient aux Juifs. Il vous est demandé de l’évacuer immédiatement. Durant le mois de juin, c’est grâce à des drones et des ballons dans le ciel du sud Liban que ces messages, rédigés en arabe, sont parvenus aux habitants de la zone, ainsi menacés d’expulsion.

Ces dernières semaines, un nouveau petit groupe de colons israéliens est apparu dans le mouvement messianique juif d’extrême droite. Sur le site Uri Tzafon, ses membres diffusent par exemple des offres publicitaires proposant une maison moderne aux officiers de réserve israéliens au sud du Liban, des projections immobilières qui provoquent un tollé sur les réseaux sociaux.

Fondé en avril 2024, le mouvement Uri Tzafon a pour mission de conduire la colonisation de la région en pleine guerre entre Israël et le Hezbollah. Lors de la conférence inaugurale du groupe, Yoel Elitzur, linguiste et professeur de théologie biblique à l’Université hébraïque de Jérusalem, a qualifié l’attaque du Hamas du 7 octobre de « miracle évident » et de « message divin ». Autrement dit, il s’agit selon lui d’une opportunité inespérée pour coloniser la bande de Gaza et le sud du Liban.

Mi-novembre, le Jerusalem Post, quotidien anglophone le plus lu en Israël, était allé jusqu’à relayer un appel à la colonisation du Liban sous la plume de Michael Freund, ancien directeur adjoint de la communication et de la planification politique du Premier ministre. mandat du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu (1996-1999). « Historiquement parlant, le sud du Liban est en réalité le nord d’Israël et les racines du peuple juif dans la région sont profondément ancrées.peut-on lire dans cette chronique. […] En effet, aux - bibliques, le sud du Liban faisait clairement partie de la terre d’Israël. Dans le livre de la Genèse (10 : 19) il est écrit : « Le territoire des Cananéens s’étendait depuis Sidon jusqu’à Guérar jusqu’à Gaza, puis jusqu’à Sodome et Gomorrhe, Adma et Seboim jusqu’à Lésha. » Sidon, ville du sud du Liban, se situe à mi-chemin entre l’actuelle frontière israélienne et Beyrouth.

Bien qu’il reste très minoritaire dans l’opinion israélienne, le mouvement inquiète de plus en plus au Liban. Le 20 novembre, le « chercheur » israélien Zeev Erlich, âgé de 71 ans, a été tué dans le sud du pays, alors qu’il enquêtait sur une ancienne forteresse avec la brigade Golani de l’armée israélienne. « Le but déclaré de l’entrée [de Zeev Erlich] dans le sanctuaire du prophète Shimon dans la ville de Shamaa se déroulait la recherche de preuves historiques liées à la terre d’Israël”a déclaré le ministre libanais de la Culture dans un communiqué, accusant Israël de vouloir « occuper la terre, l’histoire et le patrimoine du Liban, s’il en trouve les moyens ». Selon le quotidien israélien de centre-gauche Haaretz, Zeev Erlich aurait été invité par l’armée israélienne à “évaluer une forteresse” que Tsahal prévoyait de “transformer en poste d’observation”.

Leçons de la Cisjordanie

Les colons “ont déjà prouvé qu’en Israël, les illusions d’aujourd’hui sont la politique de demain”le journal Haaretz s’était également inquiété en juin (lui aussi officiellement boycotté depuis fin novembre par le gouvernement de Benyamin Netanyahu). Et le quotidien d’opposition israélien fait un parallèle historique avec les premiers colons installés dans les territoires palestiniens – notamment en Cisjordanie – dans les années 1970 et 1980, qui accomplirent ensuite un “rêve lointain” ce qui leur semblait encore impossible.

Aujourd’hui, selon un rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme publié en février 2024 et citant les chiffres de l’ONG israélienne Peace Now, près de 700 000 colons israéliens vivent illégalement en Cisjordanie occupée, dont environ 230 000 à Jérusalem-Est, en violation du droit international. Cette inquiétude est également soulevée par Karim Émile Bitar, qui fait un parallèle avec la progression des discours officiels des autorités israéliennes. « Nous mobilisons de plus en plus l’idée d’un « espace vital », c’est-à-dire l’idée qu’Israël pourrait avoir besoin de s’étendre.» éclaire le chercheur de l’IRIS. Ainsi, à mesure que les courants messianistes progressent et que les courants deétablissement Si les militaires développent cette théorie de la nécessité d’une vaste zone tampon pour l’État juif, l’intégrité territoriale du Liban risque d’être menacée.

En 1982, en pleine invasion israélienne du Liban pour neutraliser l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) sur le territoire, de petits groupes orthodoxes réclament l’annexion du sud du pays du Cèdre. À l’époque, environ 20 000 colons vivaient en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza. Leur influence politique sur le gouvernement israélien est alors dérisoire. Créé en 1974, le mouvement messianique d’extrême droite Gush Emounim (ou « Bloc des Fidèles ») a poussé à l’installation des premières colonies en Cisjordanie occupée et a lié ses revendications territoriales religieuses au sud du Liban, en affirmant l’histoire biblique de tribus d’Aser et de Nephtali – deux des douze célèbres tribus d’Israël – qui auraient vécu dans la région.

Leurs revendications sont restées lettre morte auprès des autorités. Mais depuis, la politique d’Israël a beaucoup changé. Et les colons de Cisjordanie, autrefois isolés, reçoivent désormais le soutien actif du gouvernement. Chef du parti sioniste nationaliste et religieux Mafdal (ou Parti national religieux), classé à l’extrême droite, Bezalel Smotrich, ministre des Finances dans l’actuel gouvernement de Benyamin Netanyahou, est aujourd’hui particulièrement fort dans son administration en charge des territoires occupés de Cisjordanie. Car leur tutelle, auparavant militaire, est désormais passée à des civils.

Si le mouvement Uri Tzafon est encore ultra minoritaire dans l’opinion publique, les membres du Likoud, le parti du Premier ministre Benjamin Netanyahu, plaident toujours pour qu’Israël maintienne le contrôle de la région en l’occupant. En octobre 2023, le magazine d’investigation indépendant +972 (pour lequel collaborent journalistes israéliens et palestiniens) révélait des documents de l’ancien ministère israélien du Renseignement – ​​dissous en mars 2024 – qui prévoyait une occupation puis une expulsion des Palestiniens de la bande de Gaza, pour permettre l’annexion du territoire, scénario encore impensable avant les attentats du 7 octobre.

« La frontière actuelle entre Israël et le Liban est intenable. […] Israël doit occuper le sud du Liban pour assurer la sécurité des Israéliens vivant dans le nord d’Israël.» a soutenu entre autres Ariel Kallner, député de la Knesset et du Likoud, dans une interview accordée au journal de droite israélien Maariv, le 15 septembre 2024. Ces visées territoriales sont d’autant plus inquiétantes que Bezalel Smotrich a promis, le 11 novembre, la annexion des colonies de Cisjordanie en 2025, se réjouissant du retour de Donald Trump à la tête des Etats-Unis pour soutenir cette violation du droit international et l’enterrement d’une solution à deux États.

 
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