Lorsqu’il a rencontré Donald Trump il y a huit ans pour écrire un premier livre sur sa présidence, Bob Woodward lui a demandé sa définition du mot « pouvoir ».
« Le vrai pouvoir, c’est… je n’aime pas utiliser ce mot… mais le vrai pouvoir, c’est la peur », a répondu le président nouvellement élu.
Et c’est exactement ce qu’il a généré depuis son élection il y a trois semaines. Il ne prendra le pouvoir que dans deux mois, mais il provoque déjà des petites paniques partout.
Le dernier exemple en date est évidemment l’annonce de futurs tarifs de 25 % sur toutes les importations canadiennes et mexicaines, malgré un traité de libre-échange renégocié de force et qu’il a lui-même signé.
Au ministère de la Justice, avec la désignation de ses avocats personnels, la peur est bien présente. La nouvelle candidate au poste de procureur général, Pam Bondi, a déjà déclaré que nous devions poursuivre en justice ceux qui ont poursuivi Donald Trump. Peur aussi dans la Santé, avec l’hypothèse de Robert F. Kennedy Jr.. Peur en Défense, avec la nomination de Pete Hegseth, ex-militaire et commentateur télé qui a juré de lutter contre le supposé « wokisme » de l’armée américaine – y compris la présence de femmes au combat. Et bien sûr crainte générale dans la fonction publique fédérale avec cette agence informelle dirigée par Elon Musk de réduire radicalement la taille de l’État, de le déconstruire.
Les alliés de l’Otan craignent également un éventuel retrait des États-Unis, voire leur désengagement. Tout le monde sait à quoi s’attendre : il va falloir augmenter sérieusement les dépenses militaires, notamment au Canada.
On aurait tort de prendre cela pour des effets de style, de simples menaces sans conséquences. L’imposition de droits de douane, ses critiques à l’égard de l’OTAN, ses nominations d’extrémistes : toutes ces décisions « font peur » de différentes manières, et c’est bien là l’essentiel.
C’est l’incarnation du pouvoir de Trump, tel qu’il le comprend.
Des droits de douane généraux de 25 % seraient illégaux, selon les accords commerciaux. Mais l’exemple du bois d’œuvre devrait nous apprendre que même si nous gagnons en justice, les droits de douane peuvent survivre.
Même s’ils nuisent à l’économie américaine, qui dépend des importations, les droits de douane peuvent quand même apparaître.
En pleine pandémie, Trump a annoncé que les États-Unis cesseraient d’exporter des masques N95 vers le Canada, au nom du principe « USA first ». Jusqu’à ce qu’on lui fasse comprendre que la pâte de bois utilisée pour les fabriquer provenait de la Colombie-Britannique. Ce jeu se joue donc à deux, ou à trois, ou à 200. Il s’agit néanmoins d’un jeu coûteux et dangereux.
Les lobbys canadiens et mexicains ont déjà commencé à faire comprendre l’impact d’une telle mesure sur les consommateurs américains. Et peut-être qu’après certains engagements en matière de police des frontières et d’exigences de visa pour les Indiens et autres visiteurs au Canada, la menace sera levée.
La menace est toujours réelle et suffit à provoquer des perturbations politiques. Nous avons appris lors de son dernier mandat qu’il pouvait mettre ses menaces à exécution. Et cette fois, plus puissant que jamais, entouré de quelques radicaux très obéissants, il risque d’agir plus vite, plus impulsivement et plus fort.
Dans son propre parti, Trump a imposé son pouvoir à ses opposants par la peur et non par la séduction. Et ça marche. Ils sont (presque tous) venus se rassembler à la convention de Milwaukee.
Il est difficile d’imaginer que « son » Sénat lui résistera beaucoup.
Les médias américains prennent très au sérieux les menaces à leur encontre – de poursuites, d’enquêtes sur les sources, de suspension de licence dans le cas des chaînes de télévision. C’est aussi la crainte des propriétaires qui semble avoir décidé au dernier moment deux grands journaux américains, le Los Angeles Times et le Washington Postde ne pas prendre de position éditoriale.
Un correspondant britannique de longue date m’a confié lundi qu’il pensait que les points de presse à la Maison Blanche allaient changer de style, tant au niveau de l’admission des journalistes que des questions autorisées.
Dans un geste bizarre et hautement dénoncé, les animateurs vedettes de MSNBC, Joe Scarborough et Mika Brzezinski, sont allés rendre visite à Trump à Mar-a-Lago.
Les deux hommes, critiques virulents de Trump depuis quatre ans, n’étaient pas là pour une interview, qui aurait été légitime. Non : il s’agit d’une « prise de contact » qui s’entend plutôt comme une soumission au nouveau pouvoir.
La répétition des termes « fausses nouvelles » et « ennemi du peuple » a laissé des traces. Là Revue de journalisme de Columbiadans un éditorial, il affirme que ce deuxième mandat de Trump sera « dévastateur » pour la liberté de la presse. On craint particulièrement que des pressions soient exercées sur les journalistes qui couvrent les questions d’immigration. En outre, le ministère de la Justice a depuis longtemps pour politique de ne pas cibler les journalistes dans ses enquêtes sur les fuites d’informations. Les proches de Trump ont déclaré qu’il était désormais temps de dénicher les « conspirateurs » dans les médias.
Lundi soir, j’ai assisté au lancement d’un Centre pour la liberté de la presse au National Press Club de Washington. Le centre est destiné en priorité aux journalistes menacés à l’étranger… mais les menaces internes sont ressenties et prises très au sérieux « pour ce qui peut arriver ici aux Etats-Unis », a déclaré le directeur Bill McCarren.
Personne ne peut vraiment prédire comment se dérouleront les quatre prochaines années. Ces craintes sont peut-être exagérées. Ou ne se matérialisera pas. Des contre-pouvoirs existent toujours.
Mais au cas où nous l’aurions oublié, nous devrons nous réhabituer à la définition trumpienne de la « force » et de la « puissance ».