Les écoles turques enseignent le “Türkistan” plutôt que “l’Asie centrale”

Les écoles turques enseignent le “Türkistan” plutôt que “l’Asie centrale”
Les écoles turques enseignent le “Türkistan” plutôt que “l’Asie centrale”

Depuis octobre 2024, les programmes d’histoire turque font référence à « l’Asie centrale » comme au « Turkistan ». L’initiative, qui répond à une demande du ministère de l’Éducation, vise à renforcer l’identité turque dans la région, mais suscite de vives critiques, notamment de la part de la Russie.

L’utilisation du terme « Turkistan » n’a pas été officiellement justifiée. Ce sont surtout les médias proches du président Recep Tayyip Erdogan et de son allié d’extrême droite, le parti d’action nationaliste – le MHP – qui ont fait ce travail de justification.

L’objectif des politiques russes d’assimilation envers les Etats et les peuples turcs vise (…) à rendre ces peuples étrangers à leur propre terre.

Fikriyat, principale maison d’édition de la pensée islamique turque

Contre la « politique d’effacement de l’identité » russe

Selon leurs explications, « Asie centrale » est une expression de propagande russe visant à effacer la longue histoire des peuples turcs dans ces régions. «L’expression ‘Asie centrale’ fait partie des politiques d’assimilation mises en œuvre depuis des siècles par l’administration russe à l’égard des Etats et du peuple turcs. L’objectif est de supprimer le mot ‘Türkistan’ de la langue des Turcs et de rendre ces peuples étrangers à leur propre pays», estime Fikriyat, l’une des principales maisons d’édition de la pensée islamique turque.

La maison d’édition reconnaît toutefois que le terme « Asie centrale » n’est pas « faux ». «Mais il est très important de promouvoir le terme ‘Türkistan’ afin de préserver sa riche histoire. C’est une position contre les politiques d’effacement d’identité », souligne Fikriyat. “L’Asie centrale est un terme géographique.”

L’Asie centrale est une région située entre la mer Caspienne à l’ouest et le désert de Gobi à l’est et couvre le sud du Kazakhstan, le Turkménistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan ainsi que le Kirghizistan et le Xinjiang au nord-ouest de la Chine.

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Prôner le nationalisme

Les Turcs sont certes originaires de cette région, mais chez les plus nationalistes, l’attachement national se double d’une adhésion à l’idéologie panturquiste : un sentiment beaucoup plus large d’appartenance à la grande famille ethnolinguistique des peuples turcs. Selon eux, le berceau de cette famille, qu’est l’Asie centrale, mérite le titre de « pays des Turcs » – le sens littéral de « Türkistan ».

Cette modification des manuels scolaires illustre l’influence croissante acquise par les milieux ultranationalistes, grâce à huit années d’alliance entre Recep Tayyip Erdogan et le MHP.

>> Pour en savoir plus sur la politique de Recep Tayyip Erdogan, lire : Les grands chantiers du troisième mandat de Recep Tayyip Erdogan

« Effacer » la diversité

L’initiative reflétée dans les manuels d’histoire est loin de faire l’unanimité. Certains syndicats d’enseignants l’ont vivement critiqué, notamment le principal syndicat de gauche, Egitim Sen.

Selon Evrim Gülez, son secrétaire à l’Éducation, imposer le terme « Türkistan » en dit long sur la vision du gouvernement et la mission qu’il attribue à l’éducation nationale. « Le gouvernement a une conception uniformisatrice qui rejette complètement les différences… Il existe de nombreuses nations, de nombreuses langues et de nombreuses religions en Asie centrale. Mais le pouvoir actuel prône une vision qui efface tout cela derrière le seul étendard du nationalisme turc », a-t-elle confié au micro de Tout Un monde mercredi.

«En d’autres termes, le mot ‘Türkistan’ est le résultat d’une conception qui rejette tous ceux qui ne sont pas Turcs et qui ignore toutes les religions qui ne sont pas de croyance hanafi sunnite. Malheureusement, en disant « Turkistan », « au lieu de « Asie centrale », la seule chose que nous enseignons à nos enfants est le nationalisme », poursuit-elle.

« Menace » pour les intérêts russes

Du côté russe, les médias ont chaleureusement accueilli la nouvelle, accusant Ankara de menacer les intérêts russes en Asie centrale et même de vouloir former une « coalition » anti-russe.

Les cercles pro-russes de Turquie – appelés « eurasistes » – n’ont pas non plus accueilli favorablement cette initiative.

Mais ces critiques n’empêchent pas la Turquie de mener une politique d’influence de plus en plus active en Asie centrale à travers une coopération économique, militaire et culturelle. L’invasion russe de l’Ukraine – qui a poussé certaines républiques d’Asie centrale comme le Kazakhstan à prendre leurs distances avec le « parrain » russe – semble même avoir donné un nouvel élan aux ambitions centrasiatiques d’Ankara.

Anne Andlauer / Juma

 
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