Des poissons de rivière gavés avec de la drogue

Des poissons de rivière gavés avec de la drogue
Des poissons de rivière gavés avec de la drogue

Des poissons qui changent de sexe ou ont moins peur des prédateurs : les rivières sont tellement polluées partout dans le monde que l’on peut parfois constater l’effet direct de certains médicaments sur les espèces. Une équipe internationale de chercheurs tire la sonnette d’alarme et appelle au développement d’alternatives « plus vertes ».


Publié à 00h58

Mis à jour à 8h00

De nombreuses drogues trouvées dans les rivières

Pilules contraceptives, antidépresseurs, antibiotiques, anticancéreux, médicaments… La liste des médicaments trouvés dans les rivières est longue. Et à des concentrations loin d’être négligeables.

Une étude révélait en 2021 que, sur plus de 1 000 échantillons prélevés dans les rivières d’une centaine de pays, 43 % montraient la présence d’au moins un médicament dont la concentration était jugée préoccupante pour les écosystèmes.

Les médicaments les plus fréquemment trouvés étaient la carbamazépine (un médicament utilisé pour traiter l’épilepsie), la metformine (un médicament contre le diabète de type 2) et la caféine.

De graves conséquences pour les écosystèmes

Dans un article publié le 5 juin dans Durabilité de la natureune équipe internationale de chercheurs tire la sonnette d’alarme.

“Quand on pense à la pollution de l’eau, on imagine des marées noires, des sacs en plastique dans l’océan… Mais on ne voit pas de pollution chimique”, illustre Michael Bertram, l’un des auteurs, également professeur à l’Université suédoise des sciences agricoles. .

De nombreuses études ont rapporté que les poissons mâles, en aval des sites de rejet des eaux usées par les municipalités, avaient subi une féminisation de leurs organes reproducteurs en raison de la présence d’œstrogènes dans ceux-ci. Une autre étude a montré que les poissons exposés aux antidépresseurs perdaient leurs réflexes de fuir ou de faire le mort face à un prédateur.

Cela peut entraîner une baisse drastique de certaines populations et, par effet domino, les écosystèmes se retrouvent fortement perturbés.

De la fiole à la rivière

Une première solution envisageable serait d’améliorer le traitement des eaux usées. Car lorsque l’on avale un médicament, une grande partie n’est pas assimilée par l’organisme et finit directement dans les toilettes.

Or, bien souvent, les stations d’épuration ne sont pas équipées pour filtrer ces médicaments. « En général, seuls les solides sont éliminés avant que les eaux usées ne soient rejetées dans les cours d’eau », explique Michael Bertram. Et pourtant, selon un rapport de l’UNESCO de 2017, 80 % des eaux usées mondiales sont rejetées sans même avoir été traitées au préalable.

Le Parlement européen a également adopté début avril un texte obligeant les industries pharmaceutiques et cosmétiques à prendre en charge 80 % des coûts de modernisation des stations d’épuration pour éliminer les micropolluants des eaux usées, selon le principe du « pollueur-payeur ».

Vers une chimie « plus verte » ?

Pour Michael Bertram, au-delà du traitement des eaux usées, l’industrie pharmaceutique doit s’attaquer au problème à la source et se tourner vers des solutions plus durables. En effet, les médicaments actuellement disponibles en pharmacie peuvent souvent avoir des effets sur les écosystèmes, même à très faible dose.

On pourrait envisager des molécules plus « vertes », qui se dégraderaient rapidement une fois dans l’environnement, minimisant ainsi leur impact. Ces alternatives pourraient être proposées en pharmacie, de la même manière que les aliments « sans OGM » ou « sans pesticides » sont aujourd’hui disponibles dans les supermarchés par exemple.

Un problème plus grand que l’industrie pharmaceutique

Pour Valérie Langlois, professeure à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), ce problème n’est pas nouveau, mais il s’aggrave.

L’idée de la chimie verte est bonne selon elle, mais demande du temps. « Nous ne devrions pas nous contenter de solutions de conception moléculaire ou de traitement de l’eau », dit-elle. Elle indique qu’on pourrait, par exemple, chercher des solutions pour réduire l’anxiété et ainsi limiter le nombre de prescriptions.

Le problème dépasse même l’industrie pharmaceutique : les microplastiques, les PFAS et les pesticides se trouvent entre autres dans les rivières. «C’est une boîte de Pandore», soupire-t-elle. « Nous devons vraiment nous attaquer à tous les fronts en même temps. »

 
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