Aux Comores, deux jeunes femmes accusées de vouloir contracter un « mariage contre nature »

Aux Comores, deux jeunes femmes accusées de vouloir contracter un « mariage contre nature »
Aux Comores, deux jeunes femmes accusées de vouloir contracter un « mariage contre nature »
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À Moroni, en janvier 2024. Olympie de MAISMONT / AFP

La dernière fois qu’Issoufou Bamou a vu sa fille, elle a été emmenée sans ménagement par des gendarmes avec un ami. Accusées d’avoir eu l’intention d’épouser un juge religieux, les deux Comoriennes âgées d’une vingtaine d’années ont passé quatre jours en garde à vue avant d’être incarcérées, samedi 8 juin, à la maison de jugement de Moroni. Selon le procureur de la République, Ali Mohamed Djounaid, ils sont poursuivis pour « des actes à caractère sexuel contraires aux bonnes mœurs et contre nature ». « Tout ça pour une rumeur », déplore Issoufou Bamou, habitant un village à quelques kilomètres au sud de la capitale. Il ne comprend toujours pas de quoi est accusée sa fille.

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Sans être explicitement inscrite dans la loi, la condamnation de l’homosexualité est quasi unanime aux Comores, un archipel de plus de 860 000 habitants dont une majorité de musulmans. L’article 300 du code pénal prévoit une peine de prison de six mois à deux ans, accompagnée d’une amende, à l’encontre des personnes reconnues coupables de pratiques. « contre nature ».

En arrêtant les deux jeunes femmes, la justice comorienne « souhaite évidemment faire un exemple », souligne l’avocate Maliza Said Soilihi. D’autant que l’affaire rappelle celle du mariage d’une Franco-Comorienne et d’une Réunionnaise le 25 mai à Mayotte. L’union, légale dans le département français situé à 70 km des Comores – qui revendique toujours la souveraineté – avait fait scandale dans l’archipel. « Cette histoire a créé une forme de paranoïa », constate Hasbat Saïd-bacar, sociologue.

Mais que s’est-il réellement passé dans le village où vivaient les jeunes femmes arrêtées début juin ? Le cadi, juge coutumier, est catégorique : « Personne ne m’a contacté au sujet d’un mariage homosexuel et je n’ai jamais contacté la gendarmerie, contrairement à ce qui se dit. » Les religieux, ça Le monde a pu interroger, affirme avoir eu connaissance de l’histoire le jour de l’arrestation des jeunes femmes par un “lieutenant” est venu lui demander s’il avait été approché pour fêter « un mariage contre nature ».

Une relation « fraternelle »

Selon le procureur de la République, l’affaire a commencé « dans un lieu public ». Un villageois, écoutant les passants s’indigner du mariage célébré à Mayotte, aurait déclaré : « à quelques pas de là, deux filles étaient sur le point de faire la même chose. La machine serait alors passée à la vitesse supérieure.

“Outre les déclarations faites par les deux jeunes filles, il existe d’autres éléments justifiant des actes à caractère sexuel contraires aux bonnes mœurs et contre nature”, indique le communiqué du parquet. Mais lors de leur garde à vue – qui a duré quatre jours au lieu des quarante-huit heures autorisées par la loi – et lors de leur première comparution devant le juge d’instruction, les prévenus n’ont pas été assistés par un avocat.

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Selon leurs proches, les deux jeunes femmes se sont liées d’amitié en jouant au football. “Leur relation était fraternelle” assure Issoufou Bamou. S’ils vivaient ensemble, c’est que l’amie de sa fille, en conflit avec ses parents, avait besoin d’un toit et il l’a hébergée pendant un temps. Ce n’est que le 3 juin, veille de leur arrestation, que le père apprend qu’elles sont soupçonnées d’être lesbiennes. “Quand tout cela sera fini, nous ferons une grande prière pour nous purifier et maudire ceux qui ont lancé cette rumeur”il prévient.

Dans le village, la « culpabilité » des deux femmes ne fait guère de doute malgré l’absence de preuves. « L’une était vêtue d’une robe ample et l’autre était habillée en garçon, en survêtement avec une casquette vissée sur la tête. Et puis j’ai compris. » témoigne un passant. Un autre s’emporte : « Vrai ou faux, il s’agit d’une correction nationale pour les adeptes de ces pratiques sataniques. Nous ne serons jamais comme les Français ! »

Faïza Soulé Youssouf (Moroni, correspondance)

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