Donald Trump a exigé des Américains un « victoire écrasante ». Il a appelé ses électeurs à l’emporter au-delà du « marge de fraude » – concept étrange attribuant au parti démocrate la capacité de truquer les élections si les résultats sont serrés. La tribune américaine fut accordée : il n’avait pas besoin que le décompte soit complet dans tous les États pour proclamer sa victoire, affirmant avoir obtenu plus d’électeurs et, pour la première fois, avoir remporté le vote populaire.
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Vidéos de bulletins de vote déchirés, de migrants emmenés par bus complets pour voter illégalement ou encore « preuves » que des morts avaient voté… Les professionnels de la désinformation s’attendaient à une déferlante d’accusations de la part des partisans de Donald Trump après un scrutin serré ou perdu.
Le camp trumpiste a brusquement cessé d’y faire référence dans la nuit du mardi 5 novembre au mercredi 6 novembre (heure française). Comme le milliardaire et influent partisan Elon Musk, qui a posté, sur « Jeu, set et match » triomphant à l’annonce des résultats en Caroline du Nord, premier des six États clés à passer au rouge. « Quand on gagne, c’est toujours plus facile. Cela fait référence à ce que Donald Trump disait déjà en 2016rappelle Julien Giry, chercheur en sciences politiques à l’université de Tours et spécialiste du complotisme américain. “Si je gagne, c’est normal, si je perds, c’est la faute de la fraude.” »
Trump conteste les sondages depuis 2012
Cette victoire totale met fin aux interminables accusations de tricherie de Donald Trump. Ceux-ci sont beaucoup plus anciens que nous nous en souvenons. Dès juin 2012, il appelait à « mettre fin à la fraude électorale »visant le Parti démocrate. Convaincu que Mitt Romney était en tête du vote populaire contre Barack Obama, il a décrit l’élection comme “mascarade” et appelé – déjà – à « marche sur Washington ».
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Même gagnant, en 2016, a-t-il tweeté « qu’en plus d’avoir largement remporté le collège électoral »il avait selon lui « a gagné le vote populaire si l’on déduit les millions de personnes qui ont voté illégalement ». Il n’abandonnera jamais, et fera de la fraude électorale le thème central du scrutin de 2020 et de ses suites, au nom de « Stop au vol », jusqu’à l’invasion du Capitole, le 6 janvier 2021.
Malgré sa mise en examen pour « complot frauduleux contre les Etats-Unis », justifiée entre autres par la diffusion de fausses informations sur l’élection de 2020, la tribune n’a jamais abandonné ce discours complotiste. Dès l’été, il a commencé à mettre en garde contre de prétendues tricheries démocrates. Jusqu’au milieu de la nuit du 5 au 6 novembre, il a partagé sur X de nombreux appels à ses électeurs pour qu’ils “restez en ligne”voter malgré les files d’attente, et signaler le moindre problème sur l’un de ses sites partisans, Protect the Vote (« protéger le vote »). Un mouvement suivi par ses partisans. Sur Telegram, des groupes d’extrême droite se mobilisent depuis des semaines pour « surveiller le vote ».
Mais cette fois, la rhétorique du complot n’a pas été utilisée pour nier les résultats. “En 2020, c’est arrivé a posteriori, en tout cas dans les derniers instants de la campagne, là il a fait campagne là-dessus au nom du peuple américain, observe Julien Giry. Cela a été un thème central, qui nous permet de nous unir contre les élites corrompues et de mobiliser notre base électorale, et de la mobiliser autour d’elle. »
Un flot de fausses informations depuis octobre
Une myriade de micro-histoires suspectes ont envahi les réseaux sociaux trumpistes depuis la mi-octobre, alors que le vote anticipé avait déjà commencé.
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Au total, le site de vérification américain Lead Stories a démêlé plus d’une soixantaine de fausses informations liées aux élections américaines depuis le 30 octobre, dont la grande majorité concerne de supposées fraudes électorales. Parmi celles-ci, la rumeur d’un marquage discret des bulletins de vote pour aider Kamala Harris à gagner dans le Kentucky ; une vidéo d’un primo-électeur, filmée de dos alors qu’il prend un selfie lors de son premier vote, présentée comme un « mulet » responsable du remplissage des urnes avec de faux votes ; ou encore une fausse vidéo accusant les démocrates d’avoir truqué les votes des détenus dans trois États clés.
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À chaque fois, une anomalie mineure est apparue. Un exemple parmi tant d’autres : le 31 octobre, premier jour de vote anticipé dans le Kentucky, une électrice trumpiste s’est filmée en train de tenter de voter, en vain, pour le candidat républicain : l’écran tactile semblait réticent à accepter son choix. Des influenceurs trumpistes comme Nick Sortor s’en emparent pour affirmer que les machines à voter, déjà la cible des théories du complot en 2020, « Ne permettez pas aux électeurs de voter pour Trump ». Sa vidéo a été visionnée plus de deux millions de fois. En réalité, cette électrice n’a pas tapé au mauvais endroit de l’écran, mais son vote a finalement été correctement comptabilisé.
Ingérence russe dans la dernière ligne droite
A l’origine de cette riche production, le rythme stakhanoviste des influenceurs complotistes pro-Trump, prompts à relayer le discours suspect du candidat républicain. “C’est lié à l’effondrement du mouvement QAnon, analyse Dusan Bozalka, doctorant en sciences de l’information à Paris-II, à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire et à l’Université George Washington. Q [le compte anonyme qui nourrit la mythologie de QAnon] après avoir arrêté de poster des messages en 2020, il a été remplacé par des influenceurs républicains qui ont fait carrière dans le complot. C’est pour eux un gagne-pain, car cela génère du trafic et donc une rémunération sur X. »
Le mouvement MAGA (acronyme du slogan de Trump, « Rendre sa grandeur à l’Amérique »« rendre sa grandeur à l’Amérique ») a également pu compter sur l’aide de groupes d’influence russes. À au moins trois reprises au cours des deux dernières semaines, les services de renseignement américains ont dénoncé des ingérences électorales visant à semer le doute sur l’honnêteté du vote, sous la forme de vidéos maison diffusées sur les réseaux sociaux. Dans l’un d’eux, un homme noir parcourt des pseudo-scrutins et déchire ceux au nom de Donald Trump. Dans une autre, deux hommes noirs se font passer pour des migrants haïtiens se préparant à voter pour Kamala Harris dans plusieurs bureaux de vote différents.
Les administrations des États de Pennsylvanie et de Géorgie ont formellement contesté leur authenticité. Ces contrefaçons ont été attribuées à Storm-1516, un groupe de désinformation lié au Kremlin qui a déjà opéré en France lors des Jeux olympiques de Paris. L’internaute à l’origine du compte @AlphaFox78, militant trumpiste qui a été le premier à relayer la vidéo des faux électeurs haïtiens, a expliqué à la chaîne d’information CNN avoir été payé 100 dollars par un propagandiste pro-Kremlin pour la publier.
Cette désinformation a-t-elle eu un impact ? « Il est difficile de mesurer, admet Julien Giry, qui rappelle l’importance de bien d’autres facteurs, notamment politiques et sociologiques. On sait qu’en 2016, ceux qui avaient été massivement exposés aux théories du complot trumpistes appartenaient déjà à un public républicain captif, qui aurait voté pour lui quoi qu’il arrive. Mais cela sert aussi à élargir cet électorat, pour obtenir des gains marginaux. » Et obtenir, comme l’espérait Donald Trump, une victoire trop gros pour être gréé“trop gros pour être falsifié”.