désaccord sur le slogan pro-palestinien

désaccord sur le slogan pro-palestinien
désaccord sur le slogan pro-palestinien

Le slogan, en anglais : du fleuve à la mer, la Palestine sera libre.image : Watson

Analyse

Deux professeurs de l’Université de Lausanne engagés dans le soutien aux Palestiniens n’accordent pas le même sens au slogan controversé de la mobilisation étudiante. Retour sur un mouvement marqué par la radicalité, auquel le Festival de Cannes a répondu à sa manière samedi soir.

26/05/2024, 07:0326/05/2024, 08:46

« De la mer au Jourdain, la Palestine sera libre. » Ce slogan a fait couler beaucoup d’encre depuis son apparition dans les mouvements pro-palestiniens de l’après-7 octobre. Emprunté à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui l’a créé dans les années 1960, il sent le soufre. Les partisans de l’existence de l’État juif, créé en 1948 à la suite du plan de partition de l’ONU l’année précédente, y voient une menace pour sa survie. Ils n’ont pas tort. « De la mer au Jourdain… » signifie la fin d’Israël sous sa forme actuelle au profit d’autre chose. Mais de quoi?

Tous les partisans de la cause palestinienne, Israël bombardant Gaza depuis près de huit mois et faisant désormais face à de graves accusations de la part du procureur de la Cour pénale internationale, ne semblent pas comprendre le slogan de la même manière. C’est le cas des professeurs qui ont récemment pris parti pour les mouvements d’occupation en solidarité avec Gaza.

Ainsi, dans une interview accordée à WatsonBernard Voutat, professeur à la Faculté des sciences sociales et politiques de l’Université de Lausanne (Unil), interrogé sur la signification du slogan controversé, déclare :

« Lorsque les étudiants utilisent ce slogan, aucun d’entre eux ne parle de l’éradication de l’État d’Israël. « Libérer la Palestine du fleuve à la mer » signifie le retrait des colonies et la reconnaissance de l’État palestinien. »

Bernard Voutat

Vraiment? Le sens donné par Bernard Voutat à la « punchline » ne correspond pas à celui que de nombreux occupants du campus lui ont clairement donné ces derniers mois. Le professeur de sciences politiques suggère que « du fleuve à la mer » ferait référence aux frontières de 1967, celles d’avant la guerre des Six Jours et l’annexion des territoires palestiniens par Israël, dont Jérusalem-Est. Il semble bien seul à voir les choses sous cet angle.

Conférence antisioniste

Son collègue du SSP, Joseph Daher, les voit différemment. Ce professeur, qui ne cache pas sa proximité avec la gauche « anticoloniale, anti-impérialiste et antiraciste »a donné dans le quotidien genevois Le courrier le vrai sens, selon lui, du slogan :

« L’OLP a appelé à la libération de toute la Palestine historique – qui, avant la résolution de l’ONU de 1947, s’étendait du Jourdain à la mer Méditerranée – et a exigé le droit au retour des réfugiés palestiniens (compte tenu de l’exode de 1948) et la fin de la domination coloniale israélienne sur l’ensemble de la Palestine. L’expression (ndlr : de la mer au Jourdain) plaidait pour la construction d’un État laïc et démocratique assurant des droits égaux à tous ses citoyens (musulmans, chrétiens et juifs).

Joseph Daher, en Le courrier à partir du 17 mai 2024.

Dans cette vision, « De la mer au Jourdain » signifie la disparition d’Israël en tant qu’État juif, tel qu’il naît du projet sioniste formé au 19e siècle, au moment des pogroms en Europe de l’Est. Or, vouloir démanteler l’État hébreu, « une communauté juive », c’est être antisémite, selon la définition établie en 2016 par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), adoptée par 31 États, dont la Suisse. Les antisionistes historiques ne sont pas d’accord.

Pour Joseph Daher – qui n’a pas souhaité répondre aux questions de Watson – il n’est pas antisémite de prôner la fin de l’Israël actuel au profit d’un retour à la « Palestine historique » d’avant 1947, où juifs, chrétiens et musulmans vivraient ensemble.

Antisémite ou anticolonial ?

Il ne s’agit pas d’être antisémite, c’est d’être anticolonial. Joseph Daher l’affirme dans une conférence de quarante minutes diffusée sur YouTube, donnée à des militants pro-palestiniens au troisième jour de l’occupation du bâtiment Géopolis à l’Unil, le 4 mai.

Evoquant le sort des Palestiniens, il parle d’un « massacre quotidien »,« une guerre coloniale qui dure depuis plus de 75 ans à bien des égards ». Dans sa conférence, Joseph Daher condamne toute manifestation d’antisémitisme et demande à son auditoire de ne pas insister sur la notion de « lobby sioniste », dont il estime l’effet plutôt que la cause.

« Pion des États-Unis »

Cette cause se trouve, dit-il en substance, dans la volonté des Etats-Unis d’avoir avec Israël un « pion » au Moyen-Orient. De la même manière, ajoute-t-il, il était important pour le Royaume-Uni d’avoir un relais dans la région, le foyer national juif né de la Déclaration Balfour de 1917. Pour Joseph Daher, le keffieh rouge et blanc autour du Partout il apparaît comme un activiste de la cause palestinienne, tout dans cette histoire serait colonial. Avant de finalement s’imposer dans la conscience juive, le projet sioniste avait été « ultra-minoritaire », dit-il.

Il compare Israël, non pas à l’Algérie française, mais plutôt à une « colonie de peuplement », qui rappellerait l’histoire des États-Unis, du Canada ou encore de l’Australie, dans le but d’« éliminer » les populations locales, de les regrouper, du moins. , en « réserves ».

Les attentats du 7 octobre ne sont pas, selon lui, antisémites. Toute autre population, quelle que soit sa religion ou sa couleur de peau, occupant un territoire qui n’est pas le sien, aurait pu subir le même sort ce jour-là, affirme-t-il. Le professeur fait une analogie entre ce fait tragique et un « massacre » perpétré par les séparatistes angolais contre des « colons blancs » dans les années 1960, ajoutant que, là aussi, ces blancs n’étaient pas visés en tant que blancs.

« Antijuif, pas antisémite »

Joseph Daher réfute l’existence de l’antisémitisme au Moyen-Orient. Il ne nie pas l’existence d’une haine « anti-juive », mais c’est, à comprendre, une réaction au fait colonial en se revendiquant juif. Il illustre son propos en évoquant le soutien apporté par le réformateur musulman Mohamed Rida au capitaine Dreyfus à la fin du XIXe siècle. C’est le sionisme qui alimentera en lui les sentiments anti-juifs, affirme-t-il.

Dans sa présentation, Joseph Daher oublie de mentionner la littérature antisémite de style islamiste, qui considère les Juifs comme un peuple « maudit de Dieu ». Un peuple qui, on s’en doute, n’aurait aucun droit de s’affirmer sur une terre ayant pour capitale Jérusalem, le troisième lieu saint de l’Islam – les colons juifs de Cisjordanie profitent également des écritures saintes.

Au-delà de la conférence du professeur Daher et quel que soit le soutien que chacun peut apporter à la population de Gaza, nous sommes frappés par le manque de considération des massacres du 7 octobre dans les mouvements d’occupation universitaire. Comme si les « crimes de guerre » et les « crimes contre l’humanité » dont le procureur de la CPI accuse désormais Israël devaient effacer les attaques du Hamas, pourtant décrites comme ayant les mêmes causes par le magistrat. Comme si nommer les souffrances juives du 7 octobre revenait à admettre la culpabilité palestinienne et à reconnaître les droits d’Israël.

Les professeurs sautent le 7 octobre et les otages

Dans leur lettre de soutien, début mai, au mouvement d’occupation de l’UNIL, les quelque 400 enseignants signataires n’ont évoqué ni le 7 octobre ni les otages de Gaza, des rappels qui n’auraient en rien altéré la condamnation des attentats. Assassins de Tsahal. Un professeur qui a signé la lettre a expliqué à Watson la raison, selon lui, de ces omissions :

« Les étudiants ne comprendraient pas (ndlr : parlons du 7 octobre et des otages) »

Le mouvement étudiant pro-palestinien s’est manifesté par sa radicalité, qui dit autre chose que l’exigence d’un cessez-le-feu immédiat. Les révélations de Temps, vendredi 24 mai, sur les menaces proférées contre des étudiants de l’EPFL, ni juifs ni israéliens, qui tentaient d’apporter une diversité de points de vue dans la lutte, témoignent d’une évolution inquiétante de la lutte politique. Aurions-nous assisté à cette mobilisation de la gauche académique, sans équivalent ces quarante dernières années, si Israël n’avait pas été impliqué ?

Cannes avait un mot pour tout le monde

A titre de comparaison, la répression qui s’est abattue sur la jeunesse iranienne suite à la mort de Mahsa Amini en septembre 2022 n’a donné lieu ni à une mobilisation étudiante, ni à des lettres de soutien de professeurs. Comment interpréter ce silence face aux actions meurtrières de la République islamique ? Parce que l’Iran est l’ennemi de « l’impérialisme occidental » ? Parce qu’il ne faut pas « stigmatiser les musulmans » ? Demandé par Watson à l’apathie du monde universitaire lausannois face au cas iranien, le doyen de la faculté des sciences sociales et politiques de l’Unil, Nicky Le Feuvre, a répondu :

“Je n’ai aucun commentaire à faire à ce sujet”

Samedi soir, lors de la cérémonie de remise des prix, le Festival de Cannes a eu des mots pour les enfants de Gaza « tués dans leur sommeil », pour les otages aux mains du Hamas, pour ceux persécutés par le régime iranien.

L’actualité internationale, de jour comme de nuit, est ici :

 
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