« L’évaluation de l’exposition au risque climatique va désormais être reconsidérée »

« L’évaluation de l’exposition au risque climatique va désormais être reconsidérée »
« L’évaluation de l’exposition au risque climatique va désormais être reconsidérée »

Ces images satellite de l’Observatoire de la Terre de la NASA montrent Jebel Ali, à environ 35 kilomètres au sud-ouest de Dubaï, avant et après les inondations qui ont frappé la région à la mi-avril. ©AFP ou concédants de licence

De fortes pluies sont également tombées à Oman, à Bahreïn, au Qatar et en Arabie Saoudite. À Khatm Al Shakla, dans l’émirat d’Al Ain, 254 millimètres de pluie sont tombés le 16 avril, et 230 millimètres sont tombés sur certaines villes d’Oman en l’espace de quelques jours. Une anomalie dans la région du Conseil de coopération du Golfe (CCG) où, selon le portail de connaissances sur le changement climatique de la Banque mondiale, les précipitations ont fluctué entre 54 millimètres et 120 millimètres par an, selon les pays, au cours de la période 1991-2020.

Une tendance de fond

L’agence de presse émiratie a qualifié l’événement du 16 avril d’« historique », mais il s’inscrit bel et bien dans une tendance de fond. Selon une étude d’attribution, le changement climatique a «très probablement« L’intensité de cette crue a augmenté de 10 à 40 % par rapport à l’ère préindustrielle. Ce climat désorienté, dû à la combustion des énergies fossiles qui ont fait la fortune des pétromonarchies du Golfe, expose ces dernières à une augmentation de l’intensité et de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes comme les pluies torrentielles, les canicules, les tempêtes. poussière et cyclones tropicaux.

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Des scientifiques du Centre national de météorologie (NCM) des Émirats arabes unis ont découvert, dans une étude réalisée en 2024, que les précipitations extrêmes dans la péninsule arabique pourraient être jusqu’à 25 % plus intenses à la fin du siècle par rapport à la période 1985-2014. A cela, les scientifiques estiment qu’il pourrait y avoir une augmentation de 20 à 40 % du volume de pluie que la région reçoit chaque année. Le risque de ruissellement (l’eau de pluie qui ne parvient pas à s’infiltrer dans le sol) est accru par l’urbanisation rapide des pays du CCG pour accueillir une population qui a plus que onze fois augmenté au cours des six dernières décennies. Selon une étude, le volume des précipitations à l’origine du ruissellement dans la ville émiratie de Sharjah est passé de 15 à 10 millimètres entre 1976 et 2016. La cause : l’artificialisation des sols.

Jusqu’à +6,3°C, un coût annuel de 8% du PIB

Outre les risques d’inondations soudaines, le spectre d’une hausse des températures pèse sur les pays du Golfe. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’organisme des Nations Unies chargé d’évaluer l’état des connaissances scientifiques sur le changement climatique, la température moyenne dans la péninsule arabique devrait, dans le scénario le plus optimiste, augmenter de 2,5°C d’ici 2100 par rapport aux niveaux préindustriels (la période 1850-1900). Et 6,3°C dans le scénario où l’humanité continue affaires comme d’habitudepoursuivant sa trajectoire actuelle en termes d’émissions de gaz à effet de serre.

Un scénario du pire non sans conséquences. La chaleur étouffante de l’été affecte déjà la productivité du travail en extérieur. Selon une étude menée au Qatar en 2019 par l’Organisation internationale du travail (OIT), 94 % des heures de travail dans le secteur de la construction sont consacrées aux pauses ou à un rythme réduit car les travailleurs autorégulent leur rythme face au risque de contrainte thermique. L’analyse n’inclut pas les heures d’été de midi pendant lesquelles les travaux extérieurs sont interdits dans toute la région.

Cela affecte certainement la rapidité avec laquelle certains projets peuvent être réalisés.», confie Max Tuñón, chef du bureau de l’OIT au Qatar. Dans ce contexte, S&P Global Ratings estimait en 2023 que les conséquences économiques et financières des risques climatiques pourraient coûter aux pays du CCG environ 8 % de leur produit intérieur brut par an d’ici 2050 si le réchauffement climatique moyen dépasse 2° par rapport à l’année précédente. L’agence de notation indique que l’adaptation des mesures peuvent atténuer ou éviter ce coût qui résulte notamment des fortes chaleurs, du stress hydrique et des inondations. Le Fonds monétaire international estime que les aléas météorologiques ont coûté à Oman en moyenne 0,5 % de son PIB annuel entre 2000 et 2020.

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Des villes inadaptées à la nouvelle anomalie climatique

Les villes du Golfe, conçues pour le climat du XXe siècle, sont mal adaptées aux régimes climatiques du XXIe siècle. Outre le manque quasi généralisé de systèmes d’évacuation des eaux pluviales, la hausse des températures met en évidence l’inefficacité des matériaux de construction et des conceptions urbaines qui emprisonnent la chaleur et augmentent le recours aux climatiseurs.

Les habitants du Golfe sont toujours enthousiasmés par les gratte-ciel en verre et le principe « faites ce que vous voulez et nous les climatiserons ». Mais le changement climatique est une réalité. Nous ne pouvons plus gaspiller notre argent dans des fantasmes immobiliers. Soyons prêts aux changements climatiques, apprenons des principes anciens et revisitons les notions de cours intérieures, de ventilation naturelle, d’éclairage naturel, etc. » suggère Ali A. Alraouf, professeur d’architecture et d’urbanisme à l’Université Hamad Bin Khalifa et conseiller principal auprès de l’Autorité de planification et de développement urbain du Qatar.

Au Koweït, c’est la localisation de Sabah Al-Ahmad City que critique Reem Alawadhi, professeur adjoint au département des sciences de la terre et de l’environnement de l’université du Koweït. “Tout d’abord, nous avons été choqués qu’ils aient construit une ville là-bas. Les Bédouins qui vivaient dans la région n’y auraient jamais campé en hiver, car il est de notoriété publique qu’il s’agit d’un étang où s’accumule l’eau de pluie. » confie-t-elle.

De nouveaux risques pour le secteur bancaire

Les villes sont également menacées par la montée du niveau des océans – estimée par l’agence spatiale américaine NASA à plus de 200 millimètres depuis 1900 – provoquée par la fonte des glaciers et l’expansion de l’eau de mer liée au réchauffement des océans. L’étude du FMI note que la situation est préoccupante dans les zones côtières des Émirats arabes unis de Bahreïn, du Qatar et du Koweït. Selon certaines estimations, une élévation du niveau de la mer de 0,5 à 2 mètres à Bahreïn pourrait submerger entre 5 et 18 pour cent de la superficie du pays insulaire. Pour se protéger, le pays envisage d’investir dans l’élargissement des plages, la construction de digues ou le rehaussement artificiel des terres.

Aux Émirats arabes unis également, les premiers coûts du changement climatique apparaissent. Le pays s’est donc engagé à indemniser ces citoyens dont les propriétés ont été endommagées le 16 avril à hauteur de 544 millions de dollars (500 millions d’euros).

Ces coûts ont longtemps été sous-estimés par les banques de la région dans leur modélisation du risque de crédit. “Ce n’était pas une priorité, cela n’a jamais été discuté et aucune mesure n’a été prise car il n’était pas nécessaire d’atténuer ce risque. Mais le niveau de risque a augmenté et des plans doivent être mis en place» déclare Nicoleta Remmlinger, responsable du développement commercial pour le Moyen-Orient chez 4most, un cabinet de conseil en risque de crédit qui compte parmi ses clients les banques des Émirats arabes unis. Les inondations d’avril devraient «déclencher un changement de mentalité» souligne-t-elle. Et d’ajouter : «L’évaluation de l’exposition au risque climatique, considérée comme un fardeau, va désormais être reconsidérée à la lumière de la nécessité de garantir que la rentabilité et les bilans ne soient pas affectés par les risques liés au changement climatique. »

Le Premier ministre des Émirats arabes unis, Cheikh Mohammed bin Rashid al-Maktoum, assure de son côté que «grandes leçons» ont été tirés au sort. Exporter des combustibles fossiles sans se soucier des externalités négatives est une époque révolue et les pays du Golfe prennent lentement conscience du coût du dérèglement climatique causé par les ressources fossiles sur lesquelles ils ont bâti leur opulence.

 
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