Une autre Europe est encore possible

Nous aurons les élections européennes en juin. J’ai écrit depuis Kiev dans la « Tribune de Genève » du 2 février 2022 dans un article intitulé « Poutine a ressuscité l’OTAN » : « Une nouvelle bipolarité est en train d’émerger, régimes démocratiques contre régimes autoritaires. Ce sera un combat à mort car, si nos démocraties privilégient les valeurs humanistes et le dialogue, les régimes autoritaires et les dictatures ne privilégient que la force.» Où voulons-nous placer l’Europe dans ce nouveau monde qui s’annonce ?

« Tout est possible dans les moments exceptionnels », écrivait Jean Monnet, futur « père de l’Europe », dans ses « Mémoires », « à condition qu’on soit prêt, qu’on ait un projet au moment où tout se confond. » En juin 1944. , résistants français, réunis au sein du Comité français pour la Fédération européenne, élaborent une déclaration dans laquelle ils affirment leur attachement au fédéralisme européen et définissent les contours d’une Europe unie d’après-guerre. Dans la Résistance européenne, nous nous sommes organisés pendant la Seconde Guerre mondiale pour un projet européen et de réelles transformations de la société.

En 1941, Altiero Spinelli et Ernesto Rossi rédigent à Ventotene le « Manifeste pour une Europe libre et unie ». En Allemagne, à Munich, les étudiants du mouvement Rose Blanche se sont déjà prononcés pendant la guerre en faveur d’une fédération européenne. Ses dirigeants seront exécutés. En 1943, le Mouvement fédéraliste européen est fondé à Milan. Il a adopté le manifeste de Ventotene comme programme. En 1944, le Comité français pour la Fédération européenne est fondé à Lyon.

Au printemps 1944, se réunissent à Genève les délégués des mouvements de résistance de plusieurs pays européens pour discuter du projet de fédéralisme européen. Le 7 juillet 1944, fut la Déclaration de Résistance Européenne issue de ce projet. Il y eut enfin le Congrès de La Haye du 7 au 11 mai 1948. Il fut organisé par des associations, notamment issues de la résistance au nazisme, comme l’Union des fédéralistes européens ou le Mouvement pour une Europe unie de Winston Churchill, président d’honneur de le Congrès.

Le Congrès est marqué par une fracture entre unionistes et fédéralistes. Les premiers, dont Churchill, souhaitaient une simple coopération entre États afin de résoudre uniquement les difficultés économiques et de renforcer le camp occidental dans la guerre froide naissante.

Les fédéralistes veulent aller plus vite et plus loin et exigent un transfert partiel de souveraineté à une Fédération européenne. Ils veulent que la politique passe avant l’économie. Les fédéralistes concluent malheureusement que les syndicalistes sont dominants. Pour Denis de Rougemont, « les maîtres du Congrès ont enlevé la parole aux peuples européens pour la donner aux ministres qui en ont fait l’usage qu’on lui connaît ». Le problème n’est donc pas l’Europe mais sa mise sous tutelle de l’économie néolibérale avec l’oubli total de la construction politique.

Les deux résultats majeurs du Congrès de La Haye furent : le 5 mai 1949, la signature du Traité de Londres qui créait le Conseil de l’Europe et le 9 mai 1950, la Déclaration Schuman. Qu’avons-nous fait de l’héritage ? de nos pères ? Combien de fois avons-nous trahi le programme de résistance européenne et fédéraliste pour une Europe unie ?

Il est vraiment temps de se poser les grandes questions, c’est toute l’Europe qui nous le demande. Plus d’Europe et moins de Bruxelles, en mettant l’économie à sa place et les citoyens au centre. Bref, il faut refaire de la politique, il faut refaire un programme et il faut écrire un projet !

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