Confrontés à une grave crise économique et à une explosion de violence de la part des Israéliens, les jeunes de Cisjordanie enterrent leurs derniers espoirs de paix avec l’État juif. Et le Hamas remporte l’enjeu politique.
Publié à 1h16
Mis à jour à 5h00
Théophile Simon
Collaboration spéciale
La mosquée du camp de Nour Shams, banlieue populaire de la ville palestinienne de Tulkarem, en Cisjordanie, est bondée. Deux restes reposent parmi des centaines de fidèles.
La première, enveloppée dans un drapeau palestinien, est celle d’un homme âgé, décédé la veille d’une balle dans la tête. Le second n’est qu’un mannequin de chiffon, symbolisant le corps de Mohammed Jaber, commandant local du Jihad islamique, une organisation terroriste palestinienne alliée au Hamas. Le chef de guerre n’avait que 25 ans. « L’armée israélienne a emporté son corps. Elle ne le rendra jamais», murmure Badran, un jeune homme venu s’incliner devant les deux morts.
Fin août, l’armée israélienne a lancé la plus grande offensive antiterroriste depuis 20 ans dans le nord de la Cisjordanie. Tulkarem, bastion de la lutte armée palestinienne, a vu arriver des centaines de soldats appuyés par des véhicules blindés, des bulldozers et des drones.
Les combats ont fait rage pendant deux jours dans les rues étroites de Nour Shams, faisant cinq victimes parmi les combattants du Jihad islamique et au moins une victime collatérale parmi les civils. Depuis le 7 octobre, plus de 600 Palestiniens ont été tués par Tsahal en Cisjordanie. Les colons israéliens ont tué 11 Palestiniens et en ont blessé plus de 120 autres.
« Une nouvelle Intifada commence »
Après avoir terminé la prière rituelle, la foule emporte les deux cadavres et se déverse sur la place devant la mosquée. Les environs offrent une vision apocalyptique. Les routes goudronnées ont été retournées par les bulldozers israéliens. Les bâtiments ont été détruits par les bombes. Des dizaines d’habitants errent parmi les décombres, l’air hagard.
« Mort à Israël ! » », s’exclame la foule en brandissant ses deux « martyrs ». » sur des civières. Comme une rivière en crue, des milliers de Palestiniens descendent les rues en direction du cimetière. La colère et la sueur coulent sur leurs visages. Des rafales de mitrailleuses tirent vers le ciel.
L’ambiance est insurrectionnelle. « L’Autorité palestinienne est incapable de nous protéger. Il y a 20 ans, Israël ne se serait jamais permis de mener un tel raid dans une ville palestinienne. Il faut prendre les armes», déclare Khalil, la vingtaine.
Comme « tout le monde ici », le jeune homme au visage déjà plissé est au chômage.
Depuis le 7 octobre, Israël a fermé deux fois sa frontière avec la Cisjordanie. La quasi-totalité des 150 000 permis de travail délivrés aux Palestiniens ont été révoqués. L’économie de Cisjordanie recule d’un quart Le taux de chômage triple1.
Pauvreté galopante et explosion de violences forment un cocktail explosif pour la Cisjordanie. Prosterné devant l’entrée de son immeuble fissuré par les combats, le père de Mohammed Jaber, chef du Jihad islamique, continue cigarettes et café, les yeux exorbités par le manque de sommeil. « C’est l’heure de la guerre. Une nouvelle Intifada commence. Mon fils est mort, mais des dizaines d’autres garçons suivront ses traces », promet-il d’une voix calme.
Derrière lui, une volée d’adolescents vêtus de noir s’affairent à remplacer les tissus opaques flottant au-dessus des ruelles, permettant aux combattants de se déplacer sans crainte des drones israéliens. Les murs, criblés de balles, sont déjà recouverts d’affiches à la gloire de Yahya Sinouar, leader du Hamas à Gaza.
« Il faut tout revoir de fond en comble »
La Cisjordanie serait-elle à l’aube d’une nouvelle Intifada, comme entre 1987 et 1993, puis dans les années 2000 ? Pour les jeunes volontaires de l’association Seeds, installés dans un immeuble du centre de Naplouse, c’est une évidence.
Ces étudiants palestiniens, dont l’association vient en aide aux enfants défavorisés, sont bien différents de ceux de Nour Shams. Ils appartiennent à la classe moyenne supérieure. Roha, 20 ans, étudie le journalisme. Zaïd, 21 ans, deviendra ingénieur informaticien et adore le théâtre. Yasmine étudie la littérature anglaise. Son ami Mohammed est passionné de droit international. Tout le monde parle dans un anglais parfait.
Avant le 7 octobre, ces jeunes riches croyaient encore que, grâce aux études, un semblant de vie normale serait encore possible en Cisjordanie. Cet espoir s’est transformé en mirage. “L’armée peut venir à tout moment dans notre quartier et commencer à tirer”, déplore Roha.
Se déplacer d’une ville à l’autre est devenu extrêmement dangereux en raison des points de contrôle et des attaques de colons. Nous vivons dans une sorte de prison.
Roha, qui étudie le journalisme en Cisjordanie
« L’économie est à terre, la pauvreté explose, l’insécurité est à son paroxysme. Nous ne trouverons jamais de travail. Comment fonder une famille ? », s’étrangle Mohammed.
Israël n’est, à leurs yeux, pas le seul responsable de cette situation. L’Autorité palestinienne et son président Mahmoud Abbas, 88 ans, sont également voués aux critiques. « Les accords d’Oslo de 1993 étaient censés nous protéger. Résultat, les annexions reprennent et les colons nous tuent. Il faut tout revoir de fond en comble, tempête Zaïd. Les dernières décennies ont montré que les partis modérés et les traités de paix ne servent à rien. La résistance armée et la seule voie possible contre Israël. » Ses camarades acquiescent tous de la tête en signe d’accord.
Le Hamas en embuscade
Face à ce mécontentement, le Hamas n’a qu’à se baisser pour remporter l’enjeu politique. Au centre de Naplouse, Hossein Araz, l’un des dirigeants locaux du Hamas, nous reçoit dans l’arrière-boutique d’un magasin de vêtements. L’homme a les services de renseignement israéliens à ses trousses.
“Ils ont tenté de m’assassiner une fois, mais j’ai réussi à m’enfuir”, assure le trentenaire en regardant derrière son épaule toutes les 10 secondes. « Grâce au 7 octobre, de plus en plus de Palestiniens comprennent que la solution à deux États n’est qu’une chimère et que la lutte armée est la seule option contre Israël. Nous recrutons de toutes nos forces. »
La veille, un autre responsable du Hamas avait appelé à la reprise des attentats-suicides, une pratique abandonnée depuis la deuxième Intifada. Plusieurs voitures piégées ont depuis explosé à l’entrée des colonies israéliennes en Cisjordanie.
« Tous les moyens doivent être sur la table pour lutter contre l’ennemi », plaide Hossein Araz à la sortie de la place centrale de Naplouse. Sur son chemin, il est constamment encouragé par les passants. Certains lui embrassent le front. Le Hamas sera-t-il capable de transformer cette popularité croissante lors des urnes ? Le succès serait garanti : selon les sondages du PSR, un groupe de réflexion basé à Ramallah, l’organisation terroriste est deux fois plus populaire en Cisjordanie que le Fatah, le parti de Mahmoud Abbas actuellement au pouvoir.2. En cas de duel électoral entre Mahmoud Abbas et Yahya Sinouar, le second battrait le premier avec près de 30 points d’avance.
Un tel scénario n’est, à ce stade, qu’une chimère. Comme son leader Ismaël Haniyeh, assassiné à Téhéran en juillet, Yahya Sinouar pourrait ne pas survivre à la guerre à Gaza. Israël traquera les responsables du 7 octobre pendant de nombreuses années. Les perspectives d’élections dans les territoires palestiniens ou de négociations pour une solution à deux États semblent plus lointaines que jamais.
Un an après le 7 octobre, il ne reste plus que la violence. « Notre objectif immédiat n’est pas de prendre le pouvoir politique : c’est de chasser tous les colons de Palestine, de la Méditerranée jusqu’au Jourdain », conclut Hossein Araz avant de disparaître dans le dédale des ruelles de la vieille ville.
1. Consultez les données de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement
2. Consultez un article du Centre palestinien de recherche sur les politiques et les enquêtes