De quoi parle-t-on? – .

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Avec la fin de la guerre froide, puis la chute du mur de Berlin, les gouvernements et les populations européennes avaient endossé une vision pacifiée de leur continent, du moins en termes de conflits armés en cours ou affectant leurs territoires. Depuis les années 2000, les conflits se sont intensifiés – mais ils sont généralement considérés comme « ailleurs » sur la planète. Le terrorisme s’installe, mais il ne s’agit pas d’une déclaration de guerre frontale entre États. Ce n’est pas une guerre conventionnelle.

Contrairement aux États-Unis ou à la Chine, les pays européens ont réduit drastiquement leurs budgets militaires depuis la fin des années 1990 et/ou transformé leurs armées en armées de réserve. La population n’est plus formée, car ce type de dépenses est jugé stérile et inutile. Le conflit russo-ukrainien a mis à mal ces certitudes. Puis, avec la montée des tensions entre la et l’Otan, Emmanuel Macron, le président français notamment, a clairement décrété que nous étions dans une économie de guerre. L’expression a été largement utilisée et médiatisée. Mais que recouvre-t-il exactement ?

L’économie de guerre peut être abordée sous un angle restrictif. Dans ce cas, l’expression désigne la capacité à augmenter la production, notamment d’armes. C’est ce concept qui est aujourd’hui promu en puisqu’il s’agit de : « remettre la capacité de produire au cœur de nos préoccupations » : face au conflit déclenché par la Russie en Ukraine, l’industrie de défense française est entrée dans une « guerre économie » depuis plusieurs mois. L’objectif : pouvoir assurer un effort de long terme si nécessaire pour nos armées ou au profit d’un partenaire, écrit le ministère de la Défense sur son site internet.

Cette annonce française est à relativiser. L’effort à consentir aujourd’hui est d’autant plus important que les dépenses de l’État dans ce domaine ont été réduites depuis les années 1960. Sur la période 2013-2022, la France a augmenté ses dépenses militaires de 15 %. , ce qui équivaut à l’augmentation russe (mais le point de départ n’est pas le même). Par ailleurs, cette augmentation des dépenses doit être relativisée quand on observe que sur la même période l’Ukraine a connu une augmentation de 1,661%.

La situation économique affectée

L’expression « économie de guerre » peut également être comprise dans un sens étendu. Si, dans ce cas, elle est plus protéiforme, elle présente des caractéristiques essentielles dont l’ampleur réelle varie selon l’implication directe du pays dans la guerre, selon la phase de préparation ou d’engagement dans le conflit et selon une position confinée dans le conflit. un soutien plus ou moins large. Elle ne se limite pas nécessairement à un seul effort confiné au complexe militaro-industriel, qui comprend, outre le secteur public de l’armée, le secteur industriel privé (fournisseurs des équipements et services nécessaires). Dans ce cas, l’économie de guerre peut complètement structurer et remodeler les caractéristiques cycliques d’une économie. Si l’implication dans le conflit est forte et affecte directement le territoire, la croissance économique décline. Les dépenses publiques consacrées à l’effort de guerre s’intensifient, captant des recettes fiscales, déjà réduites par le déclin de la croissance. La dette publique augmente.

Cette réallocation de la production vers l’économie de guerre déstabilise le tissu productif et le segmente : ceux considérés comme utiles versus ceux considérés comme non essentiels à l’objectif poursuivi. Le repositionnement de la demande dans certains secteurs entraîne des réorientations stratégiques des entreprises. L’emploi est à son tour affecté. Le volume total est réduit et sa composition entre les différents secteurs est revue. En ce qui concerne les prix, l’inflation s’affirme sous l’effet d’une réduction de l’offre de biens de consommation courante.

Les changes peuvent évoluer de manière disparate en fonction de l’engagement du pays, des besoins en ressources extérieures, de la généralisation du conflit et de la pratique des embargos. Cependant, à mesure que la capacité d’exporter des marchandises est limitée, la balance commerciale s’érode. Reflet de cette situation dégradée de création de richesses, présentes et futures, du poids de la dette, des destructions matérielles et de la dissémination des populations et notamment des jeunes adultes pesant sur les compétences futures disponibles, le taux de change La monnaie, en général, se déprécie et les taux d’intérêt augmenter, révélant le niveau d’incertitude. Parallèlement au développement d’une économie de subsistance, une économie informelle émerge. Dans ce contexte, l’État – force publique – renforce ses prérogatives et assume un rôle de chef d’orchestre au champ d’action élargi. Deux raisons expliquent ce mouvement : la nécessité de relayer l’initiative privée plus ou moins endormie et la volonté de sauvegarder la Nation.

Limitation des sorties de capitaux

L’État détermine alors les priorités, arbitre, ordonne et planifie l’organisation de la production ciblée. Il a réorienté les politiques fiscales et monétaires pour soutenir cet effort de guerre. Ce qui est considéré comme essentiel est ainsi protégé : les postes de défense, les aides (souvent liées aux commandes/exigences de l’État) au secteur militaro-industriel privé, le secteur de l’énergie, les moyens de communication, comme celui des structures médicales d’urgence. Pour assurer l’alimentation de la population et des armées, l’agriculture est également considérée comme une priorité. Les ressources fiscales et financières étant limitées, elles sont orientées vers les prérogatives fixées par l’Etat. La politique monétaire vise à soutenir le financement de l’effort de guerre : les sorties de capitaux sont restreintes, l’activité des institutions bancaires et financières est réglementée pour orienter les financements vers des secteurs identifiés comme stratégiques, la banque centrale est mobilisée pour acheter des titres de dette publique.

Réorganisation radicale de l’économie

Compte tenu de ces critères, la France n’est pas aujourd’hui dans une économie de guerre au sens extensif. Cela ne veut pas dire que la réorganisation de l’économie n’est pas pertinente. Il faudrait en effet pouvoir mobiliser certains des leviers attribués à « l’économie de guerre » pour répondre non pas à un conflit armé, mais aux défis colossaux que représente la crise socio-environnementale. Avons-nous le temps d’entreprendre des transitions à long terme ? Une urgence ne nécessite-t-elle pas un chef d’orchestre qui décide, planifie, supervise lorsque les enjeux sont vitaux ? Dès lors, comment l’appareil d’État est-il aujourd’hui organisé et structuré pour assumer cette fonction ? Les idéaux libéraux qui ont tant dominé les économies occidentales et qui se sont même propagés au-delà, couplés à la démilitarisation de certaines nations, n’ont-ils pas dans le même temps dépouillé l’appareil d’État de ces instruments et de ces capacités d’action dans un contexte d’urgence ?

La Commission du Plan, apparue en France après la Seconde Guerre mondiale, a disparu. Les liens étroits entre l’acteur public et le secteur privé se sont relâchés, qu’il s’agisse de plans ou de projets phares à long terme, d’équipements industriels ou régionaux. Ils ont cependant été essentiels pour faire face à certains défis comme celui de la reconstruction en France. Ou encore, par exemple aux États-Unis (un pays qui – lui-même – a préservé ses dépenses de défense), les liens public-privé à travers le complexe militaro-industriel ont constitué des piliers essentiels de la politique industrielle des années 1980 intégrée dans « la guerre des étoiles ». Cette démarche était alors jugée nécessaire pour restaurer la toute-puissance des Etats-Unis mise à mal suite à la révolution iranienne et à la prise d’otages à l’ambassade américaine à Téhéran. Dès lors, au-delà du discours sur l’engagement de l’État, quels sont les moyens et les structures dont il dispose pour assumer le rôle de chef d’orchestre et accompagner la société dans sa capacité à faire face aux chocs ? ? Des chocs qui vont se multiplier avec les tensions géopolitiques et la crise socio-environnementale.

La version originale de cet article a été publiée le La conversation

 
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