« Le Soudan est devenu l’une des plus grandes crises humanitaires »

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Des familles soudanaises qui ont fui la guerre au Soudan portent leurs affaires à leur arrivée dans un centre de transit pour réfugiés à Renk, le 14 février 2024.

AFP

Un an après le début de la guerre, un Soudanais sur deux a besoin d’aide humanitaire. Directeur régional pour l’Afrique au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Patrick Youssef appelle au respect des lois de la guerre et plaide pour davantage d’aide.

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15 avril 2024 – 12h00

Le Soudan est en proie depuis un an à une guerre civile sanglante entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide, un groupe paramilitaire. Les combats ont fait des dizaines de milliers de victimes et quelque six millions de personnes ont été déplacées, la majorité d’entre elles à l’intérieur du pays.

Alors que les yeux du monde entier sont tournés vers Gaza et l’Ukraine, la moitié de la population soudanaise, soit environ 24 millions de personnes, vit dans l’attente d’une aide humanitaire. Directeur régional pour l’Afrique au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Patrick Youssef est l’un des rares responsables du secteur à avoir visité les lieux. Depuis Genève, il appelle au respect du droit international humanitaire et plaide pour davantage d’aide.

swissinfo.ch: De retour du Soudan en novembre dernier, vous tiriez déjà la sonnette d’alarme sur la détérioration de la situation humanitaire dans le pays. Comment a-t-il évolué depuis ?

Patrick Youssef : La situation n’a fait qu’empirer et se détériore encore. Nous sommes confrontés à plusieurs fronts ouverts dans un seul combat entre les forces de l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide autour de la capitale Khartoum, dans le district d’Al-Jazirah (centre-est) et au Darfour (ouest).

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Patrick Youssef est l’un des rares dirigeants du secteur humanitaire à s’être rendu au Soudan. Il appelle au respect du droit international et plaide pour davantage d’aide.

AFP

Un an après le début du conflit, le Soudan est devenu l’une des plus grandes crises humanitaires, non seulement en Afrique, mais dans le monde. Malheureusement, ce contexte ne reçoit pas l’attention qu’il mérite.

L’une des plus grandes crises, n’est-ce pas ?

Nous parlons de 6 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays (48 millions d’habitants). Ce chiffre me semble en deçà de la réalité étant donné que les personnes déplacées internes ne sont pas toutes répertoriées par le gouvernement ou les agences humanitaires, qui ne sont pas présentes partout dans le pays.

À cela, il faut ajouter près de 2 millions de réfugiés qui ont fui le pays et des dizaines de milliers de morts et de blessés. D’autres personnes ont été arrêtées, ont disparu et ont été séparées de leurs familles.

La nourriture n’est tout simplement pas disponible. Le système de santé est à genoux. Ce ne sont là que quelques exemples du terrible coût humain de ce conflit.

Une image de votre dernier séjour là-bas vous reste en tête ?

Sur la route vers Khartoum, nous nous arrêtons dans la ville de Wad Madani pour faire une pause. Deux enfants se sont approchés et je leur ai demandé ce qu’ils faisaient dehors. Leur réponse a confirmé ce que je craignais. A savoir qu’une grande majorité des enfants ne vont pas à l’école. Nous parlons de toute une génération qui aura du mal à intégrer le système éducatif, que ce soit dans les pays voisins ou au Soudan, où la plupart des écoles ont été transformées en centres d’accueil pour personnes déplacées internes.

De quoi a besoin le peuple soudanais ?

Le coût humain est très élevé et les civils soudanais ont des besoins urgents qui ne peuvent attendre les pourparlers et la cessation des hostilités : aide alimentaire, assistance sanitaire. Soutenez simplement. La présence des organisations humanitaires aux côtés des populations vulnérables est rassurante. Cela n’est malheureusement pas possible aujourd’hui, compte tenu des complexités sur le terrain et en termes de sécurité.

L’accès reste difficile…

La réponse humanitaire est bien inférieure à ce que j’ai connu au cours de ma carrière au CICR. Au cours des 19 années que j’ai passées entre le Moyen-Orient et l’Afrique, je n’ai connu que de très rares cas où les humanitaires se trouvaient dans l’impossibilité d’accéder en toute sécurité.

Aujourd’hui, si un convoi quitte Port-Soudan (est) pour Khartoum, il n’atteindra certainement pas sa destination, même si les routes deviennent plus sécurisées. Les tronçons routiers impraticables et l’insécurité rendent impossible l’accès à la capitale et aux régions environnantes, ainsi qu’au Darfour.

Tous les regards sont désormais tournés vers Gaza et l’Ukraine. Pendant ce temps, la réponse humanitaire de l’ONU, d’un coût de 2,7 milliards de dollars, n’est financée qu’à 6 %. Avons-nous besoin de plus d’argent ?

C’est un élément fondamental. Sans financement, les organisations humanitaires ne peuvent pas monter de projets. Nous ne cherchons pas à disperser l’aide. Pour une crise de cette ampleur, il faudrait mettre en place un système avec les autorités locales pour fournir une aide efficace et peu coûteuse. Malheureusement, cela n’existe toujours pas.

Si l’on regarde les conflits actuels, on a l’impression que le droit international humanitaire est de plus en plus bafoué. C’est également le cas au Soudan…

Il est clair qu’au Soudan, la loi n’a pas été respectée, qu’il y a d’énormes souffrances et destructions.

À Khartoum, des millions de Soudanais n’ont toujours pas accès aux infrastructures et services essentiels. 70 % de la population dépend de l’agriculture et de l’élevage pour survivre, mais les conflits empêchent l’accès à la terre dans de nombreuses régions.

C’est le cœur de la loi. Avant même de parler de conduite des hostilités, la population a besoin d’eau, d’électricité et d’autres services essentiels.

Est-ce là l’objet de votre dialogue avec les parties au conflit ?

Le CICR continue de souligner qu’il est de la responsabilité des autorités de veiller à ce que les personnes vivant dans les territoires qu’elles contrôlent puissent subvenir à leurs besoins fondamentaux. Ils doivent garantir un approvisionnement suffisant en nourriture et en eau et permettre l’accès à une aide vitale.

Comment les convaincre de respecter les lois de la guerre ?

Vous devez être présent à Khartoum ou au Darfour et veiller à ce qu’un dialogue ait lieu avec les deux parties, qu’elles soient conscientes de leur responsabilité juridique au regard du droit international humanitaire. Il faut aussi écouter les populations.

Tout commence par le dialogue, sans juger les parties. Nous devons connaître les faits et rapporter les actions des troupes au commandement afin qu’il comprenne l’ampleur des violations sur le terrain. Le changement commence au sommet. Avec un commandement qui inspire confiance et donne une direction, mais aussi qui dégage un air de responsabilité pour gagner la guerre correctement et non sur les cadavres entassés dans les rues.

Nous devons préserver l’humanité dans la guerre. Il n’y a qu’une seule façon d’y parvenir, en respectant les personnes qui n’ont pas décidé de faire la guerre, et donc les populations civiles.

La France organise une conférence sur le Soudan à Paris lundi 15 avril, jour du premier anniversaire de la guerre. Le CICR y participe. Quelles sont tes attentes?

Il faut maintenir la pression. Ce type de conférence est nécessaire pour mettre en lumière ce conflit et permettre une réponse humanitaire plus généreuse, dont les populations ont besoin. Il faut mettre en avant le financement et bien sûr l’accès au pays.

Plus de 1,5 million de Soudanais ont fui vers les pays voisins. Il est important de parler de la situation humanitaire dans ces pays, souvent très fragile. L’afflux de personnes a exercé une pression énorme sur leurs infrastructures en eau, leurs services de santé et leurs approvisionnements alimentaires.

Aujourd’hui, il ne faut plus seulement parler de solidarité avec les Soudanais. Il est essentiel pour la stabilité de l’ensemble de la Corne de l’Afrique que le pays sorte de la crise.

Texte relu et vérifié par Virginie Mangin

 
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