Le Behshad, un mystérieux navire iranien soupçonné d’espionnage pour le compte des Houthis

Le Behshad, un mystérieux navire iranien soupçonné d’espionnage pour le compte des Houthis
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La présence dans le golfe d’Aden d’un mystérieux cargo commercial iranien depuis le début de l’année inquiète de plus en plus les observateurs. Le Behshad est soupçonné d’être un « navire espion » iranien qui fournit des informations aux Houthis afin qu’ils puissent attaquer plus précisément les navires dans cette zone.

Les États-Unis tentent-ils secrètement de convaincre Téhéran de faire pression sur les Houthis, l’organisation militaire chiite pro-iranienne active au Yémen, pour qu’ils mettent fin aux attaques contre des navires dans la mer Rouge ? Au moins une rencontre a eu lieu entre une délégation américaine et iranienne à Oman, indique le Financial Times, citant des sources anonymes des deux pays concernés, dans un article publié mercredi 13 mars.

Nul ne sait si le sort du cargo iranien MV Behshad était à l’ordre du jour de ces discussions officieuses. Ce bateau est de plus en plus sous le feu des médias, qui n’hésitent pas à le qualifier de « navire espion ».

Un étrange « zigzag » maritime

Le Behshad, propriété de la compagnie iranienne Rahbaran Omid Darya Ship Management Co., a été accusé de jouer un rôle « central » dans les perturbations du trafic maritime commercial dans la mer Rouge et le golfe d’Aden, et d’être une Source d’informations « vitale » pour le Houthis. Il a même été soupçonné d’avoir saboté des câbles sous-marins en mer Rouge lorsque des dégâts ont été constatés sur ces infrastructures utilisées pour le transit des données Internet. « Il se trouvait à proximité au moment de l’incident », note le site Gulf Insider.

Même les États-Unis semblent convaincus que le Behshad n’est pas un simple cargo. Le bateau a été la cible d’une cyberattaque américaine qui l’a temporairement paralysé en février, a indiqué NBC News, citant “trois responsables américains” sous couvert d’anonymat. “Deux semaines plus tard, il était à nouveau opérationnel”, explique Shahin Modarres, spécialiste de l’Iran au sein de l’Équipe internationale pour l’étude de la sécurité (ITSS) de Vérone.

Il faut reconnaître que la version officielle iranienne – selon laquelle il s’agit d’un navire commercial – est difficile à avaler pour les experts interrogés par France 24. « Il est par exemple bien trop équipé pour un cargo commercial », constate Dirk Siebels, spécialiste des questions de sécurité maritime pour Risk Intelligence, société d’analyse des risques maritimes.

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Dans une vidéo publiée sur une chaîne Telegram réputée proche de l’armée iranienne, et repérée par le Financial Times, le Behshad est décrit comme « une armurerie flottante ». Mais cela ne servirait qu’à mieux « lutter contre les actes de piraterie » dans la région.

Sauf qu’il “a un mouvement en zigzag dans le golfe d’Aden qui ne correspond absolument pas à la trajectoire d’un cargo commercial” ou d’un navire de protection contre les pirates, assure Shahin Modarres.

Behshad a aussi une histoire particulière. Il a été mis en service en 1999 « avec un autre bateau dans le but officiel de contribuer à la lutte contre la piraterie dans le golfe d’Aden », reconnaît Shahin Modarres.

Mais en 2021, sa finalité semble avoir changé. « Il prend la place d’un autre navire, le Saviz, en mer Rouge », souligne le site Radio Free Europe. Son prédécesseur venait d’être détruit par une mine sous-marine. « Des commandos israéliens étaient accusés à l’époque d’avoir mené une opération contre le Saviz, qu’Israël considérait comme un navire espion iranien », explique Shahin Modarres.

L’œil des Houthis dans le golfe d’Aden ?

Depuis, le Behshad s’est montré très discret. Il fait à nouveau l’actualité à partir de janvier 2024, lorsqu’il quitte la mer Rouge pour se rendre dans le golfe d’Aden. Il se positionne alors à une centaine de kilomètres des côtes de Djibouti et entame son étrange ballet maritime.

A quoi peut bien servir un tel vaisseau espion ? “En fonction de leur équipement, ces navires sont censés pouvoir intercepter les communications en mer, cartographier l’espace sous-marin et obtenir et relayer des informations précises sur la position et les mouvements d’autres navires”, explique Basil Germond, spécialiste des questions de sécurité internationale et maritime à Université de Lancaster.

C’est cette dernière fonction qui, dans le cas du Behshad, inquiète les Etats-Unis et d’autres pays soucieux de la sécurité du trafic maritime en mer Rouge. “L’arrivée de ce bateau dans le golfe d’Aden a coïncidé avec une forte augmentation des attaques contre des navires dans cette zone”, note le Financial Times.

Il y en a eu plus d’une trentaine depuis début janvier, dénombrés https://twitter.com/detresfa_/status/1764890056161149149/photo/1, spécialisée dans l’analyse des incidents maritimes à partir de données publiques. Surtout, ce n’est qu’à partir de janvier que des navires ont été touchés par des missiles houthis. Auparavant, le groupe armé pro-iranien réservait ce type d’attaque à des cibles situées en mer Rouge.

Autrement dit, Behshad est soupçonné de sillonner la zone à la recherche de cibles potentielles pour les Houthis et de leur envoyer des données de géolocalisation afin qu’ils puissent frapper juste. Mais attention, « corrélation ne signifie pas nécessairement causalité », souligne Dirk Siebels. Il se peut que les Houthis aient simplement décidé qu’il était temps d’aller au-delà de la mer Rouge. « Il y a suffisamment de petits navires dans cette région qui peuvent servir de relais d’informations », précise l’expert en Risk Intelligence.

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Il reconnaît néanmoins que l’hypothèse d’un navire espion appelé à la rescousse pour ouvrir les portes du golfe d’Aden aux frappes des Houthis est crédible. En mer Rouge, « les Houthis contrôlent suffisamment de terres [sur les côtes, NDLR] avoir des informations précises pour cibler les navires», explique Dirk Siebels. Il leur suffit d’installer des postes d’observation à des endroits stratégiques.

Mais « dans le golfe d’Aden, ils étaient aveugles », assure Shahin Modarres. Pour ce spécialiste, tout est une question de précision. Le groupe armé yéménite pourrait bien tenter de frapper des navires sur la base d’informations plus approximatives fournies par d’autres sources, comme d’autres navires marchands « amis ». Cependant, ils ne disposent peut-être pas de réserves suffisantes de missiles ou de drones pour se permettre de ne pas en être sûrs à 100 %.

À cet égard, le petit apport informationnel d’un navire espion « peut s’avérer central dans la stratégie d’extension des frappes des Houthis », explique Shahin Modarres. Cela peut aussi être un pion important dans la stratégie iranienne. Téhéran tente en effet de résoudre une équation qui semble impossible : le pays « veut obtenir une sorte de supériorité maritime dans ce domaine sans disposer d’une flotte militaire puissante », résume Shahin Modarres. Et l’association entre un navire espion et des Houthis armés de missiles peut être très efficace.

Frapper Behshad, c’est comme frapper l’Iran

Les États-Unis et leurs alliés doivent encore laisser cela se produire. Et c’est là un autre avantage d’un navire espion déguisé en simple cargo commercial : “il est juridiquement très difficile de faire quoi que ce soit contre un tel navire qui, sur le papier, a toute cette activité plus légitime”, constate Basile Germond.

L’autre option serait de le détruire. Mais c’est très risqué : “les navires qui battent pavillon d’un pays sont considérés comme des extensions de leur territoire national”, souligne Basile Germond. Une frappe américaine contre Behshad équivaudrait à une attaque sur le sol iranien. “Le risque d’une escalade des tensions dans la région serait alors réel”, estime l’expert de l’université de Lancaster.

La probable cyberattaque américaine illustre aussi les hésitations de Washington. “Elle n’a pas causé de dommages irréparables à Behshad”, souligne Shahin Modarres.

Surtout, cela suffirait-il à ramener le trafic maritime commercial dans la région aux niveaux d’avant-guerre entre Israël et le Hamas ? “Les Houthis peuvent encore frapper en mer Rouge, donc pouvoir dire que le passage par le golfe d’Aden est probablement plus sûr grâce à la destruction d’un tel navire ne suffira peut-être pas à restaurer la confiance”, estime Dirk Siebels. Le Behshad pose donc un véritable casse-tête sécuritaire.

 
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