Pouvoir tester des médicaments sur des modèles miniatures de foies, de reins, de cœurs, d’intestins et même de cerveaux humains n’est plus de la science-fiction. Depuis une dizaine d’années, les organoïdes ouvrent la voie à de nouvelles applications et invitent dans le même temps les chercheurs à relever de nouveaux défis.
Imiter les structures et les fonctions
Ils sont parfois appelés « mini-orgues », par souci de simplification et de compréhension. Un nom « erroné et excessif »prévient Nathalie Vergnolle, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et pharmacologue de formation. “Il ne s’agit pas d’organes à part entière, mais plutôt de structures cellulaires tridimensionnelles qui reproduisent une partie des qualités fonctionnelles et structurelles d’un organe”, précise-t-elle. Le point de départ ? Cellules souches prélevées directement sur l’organe à partir duquel on souhaite produire l’organoïde, ou cellules souches pluripotentes induites (IPS), issues de tissus matures, reprogrammées et capables de se différencier en tous les types cellulaires possibles. « Les cellules sont ensuite cultivées dans des milieux spécifiques, le plus souvent dans un matrigel qui contient un ensemble d’éléments, comme des facteurs de croissance, où elles prolifèrent, s’auto-assemblent et se différencient. »poursuit le chercheur, également directeur de l’Institut de recherche en santé digestive de Toulouse (Haute-Garonne), où sont fabriqués les organoïdes humains de l’intestin, de la vessie, du foie, de la trompe et de l’épididyme.
Ces assemblages cellulaires en 3D, dont les plus grands mesurent à peine quelques millimètres, reproduisent certaines fonctions de l’organe originel. Certains, pas tous. « Un foie humain a environ 40 fonctions connues. On ne les trouve jamais entièrement dans un organoïde hépatique. De plus, lorsque l’on décrit un organoïde, il faut toujours préciser quelles fonctions il est capable de reproduire »souligne Jean-Luc Galzi, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui a piloté la création du réseau national de recherche sur les organoïdes. Des fonctions plus complexes sont obtenues en combinant plusieurs organoïdes entre eux – on parle alors d’« assembloïdes » – ou en les disposant sur des supports qui permettent de mimer un système de vascularisation ou d’innervation artificielle, des contraintes mécaniques, etc. Ces « organoïdes sur puce » font l’objet d’un programme de financement annoncé dans le cadre du plan France 2030, au titre des programmes prioritaires de recherche et d’équipements (PEPR) – de l’ordre de 48 millions d’euros.
Potentiel révolutionnaire
Par rapport à ceux d’autres modèles de recherche, les avantages des organoïdes sont nombreux. « Ce sont principalement des structures formées à partir de cellules humainesdétaille Nathalie Vergnolle. Ils correspondent à des modèles physiologiques ou pathologiques, selon le type de cellules initiales. » Les structures organoïdes pathologiques présentent plusieurs intérêts. Ils permettent ainsi de comprendre les mécanismes impliqués dans la survenue de maladies ou de réaliser des tests pharmacologiques à visée prédictive. Le modèle le plus développé à ce jour est celui des tumoroïdes, formés à partir de cellules cancéreuses. « Cette étape est déjà en partie franchie. Les tumeurs créées à partir de cellules prélevées par biopsie peuvent servir d’outils prédictifs de la réponse du patient à une approche thérapeutique particulière et ainsi orienter le meilleur choix de traitement anticancéreux. explique Nathalie Vergnolle.
En recherche fondamentale, les organoïdes sont déjà utilisés pour identifier les cibles potentielles d’une nouvelle molécule ou pour tester ses toxicités. Dans le cadre du développement d’un candidat médicament, les études sont principalement menées sur les organoïdes du foie, des reins et du cœur, c’est-à-dire les organes où les toxicités des médicaments sont principalement révélées. « Ces applications se limitent aux domaines pour lesquels nous disposons déjà de suffisamment d’informations sur la pharmacocinétique et la pharmacodynamique de la molécule. C’est-à-dire quand on sait déjà dans quels organes des toxicités sont susceptibles d’apparaître »ajoute Jean-Luc Galzi.
Les tests sur les organoïdes visent également à élargir les indications thérapeutiques de médicaments déjà approuvés. Illustration tangible avec l’un des traitements contre la mucoviscidose développé par le laboratoire Vertex, le VX-770 : « Les molécules sont développées et testées le plus souvent chez des patients présentant la mutation la plus fréquente du gène CFTR, responsable de la maladie. En observant les effets d’un de ses médicaments sur un organoïde formé à partir des cellules d’une personne présentant une autre mutation, le laboratoire a pu prouver son efficacité et a obtenu l’autorisation d’utilisation pour ce sujet donné »» éclaire l’expert du CNRS, membre du comité de pilotage du groupe de recherche sur les organoïdes.
-Cette méthodologie pourrait ouvrir la voie à un nouveau type d’essais cliniques, comme l’envisage Nathalie Vergnolle : « A ce jour, les molécules que nous souhaitons tester sont proposées à des cohortes de patients sélectionnés. Il est possible d’imaginer des études cliniques avec une approche similaire dans un premier temps, la sélection d’une population de patients chez qui des cellules seraient simplement prélevées afin de créer des organoïdes. Les tests seraient alors réalisés sur ces structures cellulaires, in vitro. » Un avenir pas encore pleinement réalisé, puisque la fiabilité et la reproductibilité des protocoles restent à travailler.
Avantages et limites
Le développement exponentiel de la recherche clinique sur les organoïdes soulève de nombreuses questions. Peuvent-ils remplacer les modèles de recherche existants, notamment les expérimentations animales ? A ce sujet, la Food and Drug Administration, l’agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux, a ouvert une brèche en autorisant la mise sur le marché de médicaments testés sur des organoïdes, sans nécessairement passer par des tests réglementaires sur les animaux. Cette démarche n’a pas été franchie en France, ni en Europe. « Selon moi, on ne peut pas opposer les deux modèles, ils sont complémentairesanalyses de Jean-Luc Galzi. Un organoïde ne pourra jamais remplacer un organisme entier. On ne peut pas reproduire exactement les interactions entre différents organes, l’innervation, la vascularisation, l’impact du système immunitaire, etc. » Il apparaît cependant que la recherche clinique sur les organoïdes est utile pour prédire certaines toxicités hépatiques chez l’homme, avec une meilleure fiabilité que le modèle animal. Ces conclusions ont été révélées par une étude réalisée aux Etats-Unis sur 11 molécules testées sur des « foies sur puce » et publiée fin 2022 dans la revue Médecine de la communication*.
Si l’on souhaite développer les recherches pharmacologiques impliquant les organoïdes, l’autre défi majeur à relever réside dans leur reproductibilité. « Il n’est déjà pas facile pour un seul chercheur d’obtenir systématiquement des organoïdes ayant les mêmes propriétés, en raison de paramètres cachés qui restent encore à comprendre. Les différences peuvent donc être très importantes d’un laboratoire à l’autre, d’autant que les méthodes de fabrication ne sont pas du tout standardisées.reconnaît Jean-Luc Galzi.
Selon lui, les organoïdes mettent en lumière un enjeu éthique majeur, celui du consentement donné par les patients. « Il est possible de former ces structures à partir de cellules IPS et, potentiellement, de réaliser n’importe quoi : un organoïde hépatique ou rénal, mais aussi des gamètes, des embryons, etc. Il faut réaliser un travail important pour que le consentement recueilli soit véritablement éclairé, et pleinement informer de toutes les possibilités d’utilisation des cellules collectées, dans un cadre réglementaire strict et scrupuleusement respecté. conclut le chercheur.
* Ewart L., Apostolou A., Briggs SA et al, « Évaluation des performances et analyse économique d’un Liver-Chip humain pour une toxicologie prédictive », Commun. Méd. 2, 154 (2022), urls.fr/jG-d1U.
Se souvenir
- Les organoïdes sont des structures cellulaires 3D auto-organisées, formées à partir de cellules souches prélevées sur des sujets sains ou malades.
- Ils présentent plusieurs intérêts dans la recherche sur les médicaments : visée prédictive de la réponse aux traitements, tests de toxicité, recherche de cibles pour de nouvelles molécules, etc.
- Parmi les enjeux de ce nouveau domaine de recherche figurent la standardisation des procédés de fabrication et un meilleur encadrement du recueil du consentement éclairé des sujets.