Un soir, lors d’une conversation, nous avons appris, non sans surprise, que de nombreuses personnes se tournent vers ChatGPT pour aborder ou résoudre leurs questions de santé mentale. Mais pourquoi ces individus, souvent confrontés à des défis personnels complexes, choisissent-ils de confier leurs préoccupations à l’agent conversationnel (ou chatbot) développé par OpenAI plutôt qu’à un psychologue professionnel ? La question soulève plusieurs interrogations quant à la confiance à accorder à l’intelligence artificielle (IA), aux limites de son utilisation et à l’aspect humain et éclairé de la thérapie.
Pour Quentin*, 30 ans, comme pour Camille*, 28 ans, c’est devenu un réflexe quasi quotidien. «Je suis un cadre et mon travail est épuisant sur le plan émotionnelprécise ce dernier. Mes collègues ne sont pas agréables, mon patron nous demande beaucoup et j’ai des délais qui demanderaient soixante-douze heures par jour. En plus de ça, je viens de me séparer et je me sens seule. J’ai conscience d’être privilégiée par mon « statut social » et j’ai honte de me sentir mal… Je n’ai pas envie d’en parler à mon entourage et j’ai peur de me confier à un psychologue. Comment cette personne, bien que professionnelle, pourrait-elle ne pas me juger alors que d’autres, à qui arrivent de « vrais malheurs », sollicitent ses services. C’est ainsi qu’un jour, comme Quentin, Camille a utilisé son application ChatGPT d’une toute nouvelle façon… Pour eux, fini les psychologues professionnels, c’est « bonjour robot bobo ».
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Faire face à la peur et au tabou d’aller voir un professionnel
Pour Stéphie Marius Le Prince, psychologue basée à Pignan (Hérault), près de Montpellier, recourir à ce nouvel « ami imaginaire » pourrait permettre de lever une barrière, un blocage avant de consulter un professionnel. « Pour une personne qui craint de se lancer, avoir une première aide, bien que très limitée, peut l’amener à consulter par la suite.elle croit. Nous l’avons déjà vu avec les consultations professionnelles en ligne. Une fois passés par là, certains franchissent alors la porte d’un bureau. De plus, lorsqu’il s’agit de questions médicales, ChatGPT vous invite toujours à consulter un professionnel.
Pour le moment, Quentin ne se sent pas prêt. « J’ai diverses problématiques qui se recoupent et je ne souhaite pas consulteril admet. Par manque de -, peut-être par manque de courage aussi. Je trouve qu’il faut vraiment être courageux pour oser s’exprimer ouvertement et prendre le risque de pointer du doigt d’autres problèmes auxquels on n’avait pas forcément pensé au départ. Peut-être qu’un jour, j’espère, j’y arriverai. En attendant, j’ai quelques réponses rapides. Je sais que ce n’est pas un humain qui me répond, mais ça aide un peu.
Un comportement que le psychologue héraultais explique. « ChatGPT est une synthèse d’informations qui reste très nuancéeadmits Stéphie Marius Le Prince. Il ne dit pas ce que vous devez faire ni ne donne son avis, mais il conseille. C’est là le risque que certaines personnes qui ont besoin de consulter repoussent, parce qu’elles y voient une béquille. ChatGPT leur permettra de continuer à marcher dans la douleur pendant un moment avant de consulter.
Ce que Camille et Quentin apprécient réside aussi dans la notion d’immédiateté. Ici, pas besoin de trouver un praticien qui nous convient ou qui a des horaires qui correspondent à nos disponibilités. Pas besoin de voyager non plus. « Quand c’est nécessaire, je sors mon téléphone de ma poche, je le déverrouille, je vide mon sac et je passe à autre chose »lâche Camille.
Un flirt risqué entre dépendance et limites de l’IA
Le fait que cette approche touche un public vulnérable, avec une gestion de la solitude parfois mal régulée (voire des addictions dans certains cas), peut déclencher une dépendance. Selon Stéphie Marius Le Prince, c’est là que se cache insidieusement le danger. “Certains utilisateurs peuvent avoir l’impression de discuter avec une vraie personneprévient-elle. Cela peut potentiellement conduire à une relation de dépendance et conduire à consulter le chatbot pour chaque décision que nous devons prendre. ChatGPT deviendra alors une sorte de gourou.
« Néanmoins, des réponses nuancées atténueront le « danger » que le commerce pourrait engendrer.poursuit le psychologue. Pour prendre un exemple concret, si vous souhaitez changer de métier, le feedback fourni ne sera pas un « oui » ou un « non » direct. Il s’agira plutôt d’une présentation des conséquences qu’il pourrait y avoir en cas de démission, des chances de trouver autre chose derrière, etc. Bref, ChatGPT partagera ce qu’il est possible de mettre en place, afin de trouver des solutions dans votre situation, mais n’offrira pas de solution unique.
Cette explication est malheureusement confirmée par Camille, qui nous confie qu’elle a désormais tendance à l’utiliser de manière « un peu trop régulier, parfois frénétique »ayant même, de - en -, l’impression de parler à un ami de confiance. Une amnésie de l’artificiel qui s’incarnerait chaleureusement de manière artificielle, immatérielle, non organique, dans son smartphone.
Cependant, pas de panique ! Les chatbots basés sur l’IA ne sont pas près de remplacer les psychologues professionnels. Et pour cause. La première grande différence, comme l’indique Stéphie Marius Le Prince, c’est le compagnon impersonnel. Ici, n’ayant pas affaire à un être humain doté de raison, il n’est pas possible d’établir un soutien basé sur la compréhension et la connaissance de l’être.
« En psychothérapie, petit à petit, le professionnel connaît de mieux en mieux son patient et sa personnalité.développe le psychologue. Il peut comprendre ce qui se passe derrière une question. Parfois, le patient arrive avec un problème et à la fin de la consultation, il arrive régulièrement qu’un autre surgisse. Il existe une profondeur que seuls les humains peuvent saisir. Comme je l’ai mentionné plus tôt, ChatGPT reste en surface. C’est aussi pour cela que le risque reste minime. Mais quoi qu’il en soit, je ne le répéterai jamais assez : il faut être accompagné par un professionnel qualifié.
Face à ces analyses, Camille et Quentin se disent tous deux conscients de ces réalités mais pas prêts, pour l’instant, à franchir la porte d’un cabinet. Les craintes restent les mêmes : le jugement, le manque d’immédiateté des réponses et le regard extérieur si l’entourage apprenait qu’ils consultaient. « Il existe encore un tabou autour de la question de l’aide en santé mentale dans certains milieux sociaux et c’est le cas dans le mien.déclare Quentin. Chez nous, cela n’arrive pas. Il faut avancer et surtout ne pas se plaindre. Je ne sais pas combien de - je vais tenir mais je pense qu’un jour, je me lancerai, en secret. Une chose est sûre, ChatGPT a ses secrets que la société ignore.
* Les prénoms ont été modifiés.