Une vaste étude d’un registre danois montre que le risque d’événements hémorragiques est doublé lorsqu’un AINS est prescrit à un patient prenant un anticoagulant oral pour une thromboembolie veineuse. Une association à éviter !
Le risque hémorragique associé à l’utilisation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) chez les patients traités par anticoagulants oraux pour une thromboembolie veineuse (TEV) n’est pas clairement établi.
Incertitudes et questions actuelles
Les AVK et les anticoagulants oraux directs (AOD) actuellement disponibles augmentent le risque hémorragique, le plus souvent digestif, les hémorragies intracérébrales étant beaucoup plus rares mais plus souvent mortelles. Leur gravité est variable, mais leur survenue est le plus souvent problématique. Leur association avec les AINS est généralement déconseillée, même en cas d’incertitude sur le risque hémorragique.
Il faut en effet reconnaître que les études convaincantes sont à la fois rares et limitées, portant sur un petit nombre de personnes exposées le plus souvent à un AOD particulier, comme le rivaroxaban.
Compte tenu de leur mécanisme d’action, les AINS prescrits au long cours en population générale sont indéniablement à l’origine d’accidents hémorragiques, le plus souvent digestifs. Ces accidents seraient quatre fois plus fréquents que chez les sujets non exposés, indépendamment de toute association avec des anticoagulants.
Des questions restent en suspens : associés aux AINS, les AOD sont-ils moins souvent impliqués dans ces accidents hémorragiques que les AVK, selon certaines hypothèses populaires ? Dans le cas de la TEV, quelle est l’ampleur du risque hémorragique ? Quelles sont les complications hémorragiques les plus fréquemment provoquées par l’association d’un anticoagulant et d’un AINS ? Quels sont les AINS les plus « dangereux » ?
Une étude rétrospective danoise d’un registre : plus de 50 000 cas de TEV
Une étude de cohorte rétrospective nationale menée au Danemark peut répondre à la plupart de ces questions. ont été inclus 51 794 patients souffrant de TEV avérée et traités par anticoagulants oraux entre 1est Janvier 2012 et 31 décembre 2022, tous identifiés à partir de registres nationaux connus pour leur rigueur. L’identification de la prescription d’AINS a été effectuée à l’aide du registre des prescriptions danois.
Durant la période d’étude, les épisodes hémorragiques nécessitant une hospitalisation ont été comptabilisés dans les groupes exposés ou non aux AINS. Les données ont été traitées à l’aide du modèle à risques proportionnels de Cox, avec des ajustements tenant compte de la plupart des facteurs de confusion potentiels.
La fréquence des événements hémorragiques pour 100 sujets-années a été estimée à 3,5 [IC 95 %, 3,4-3,7] dans le groupe non exposé, contre 6,3 [5,1-7,9] dans le groupe exposé, ce qui conduit à un rapport de risque ajusté (aHR) de 2,09 [1,67-2,62] pour toutes les classes pharmacologiques. Les chiffres varient quelque peu d’un médicament à l’autre : respectivement 1,79 [1,36-2,36] pour l’ibuprofène, 3h30 [1,82-5,97] pour le diclofénac et 4.10 [2,13-7,91] pour le naproxène. En fait, l’ibuprofène serait l’AINS potentiellement le moins impliqué dans le risque hémorragique.
Le risque d’hémorragie intracrânienne est apparu particulièrement élevé dans le groupe AINS, le HRa correspondant étant estimé à 3,22. [1,69-6,14]devant les hémorragies digestives (2,24 [1,61–3,11]), hémoptysie et hémorragie thoracique (1,36 [0,67-2,77]), hématurie (1,57 [0,98-2,51]). Le risque d’anémie par saignement, quant à lui, est apparu presque trois fois plus élevé dans le groupe exposé (HRa = 2,99 [1]).
Les résultats se sont révélés indépendants du type d’anticoagulant (AOD contreAVK) et les manifestations de TEV, qu’il s’agisse d’une thrombose veineuse profonde ou d’une embolie pulmonaire.
Il vaudrait mieux s’en passer !
Cette étude, qui porte sur plus de 50 000 participants souffrant de TEV, est néanmoins rétrospective, mais la fiabilité des bases de données médicales dans un pays comme le Danemark permet de relativiser cette limite. Sans surprise, l’association anticoagulants/AINS, peu encouragée dans la pratique médicale actuelle, doublerait le risque hémorragique. Contre toute attente, les hémorragies intracérébrales de mauvais pronostic arrivent en tête, de peu devant les hémorragies digestives.
L’ibuprofène serait l’AINS qui expose le moins au risque hémorragique, sous réserve d’une marge d’erreur importante dans les estimations. Le naproxène, quant à lui, serait le pire sur ce point. Par ailleurs, aucune différence significative n’a été mise en évidence entre AVK et DOAC en termes de risque hémorragique encouru lorsqu’un AINS était inclus dans la prescription.
En conclusion, dans le cas d’une TEV traitée par n’importe quel anticoagulant, l’attitude la plus sage est de se passer le plus possible d’AINS.