La véritable nature – polluée – de l’eau en bouteille en plastique
Au vu des messages relayés par les publicités, l’eau en bouteille – provenant directement des montagnes – serait plus naturelle et meilleure pour la santé que l’eau du robinet. Puisées dans des nappes souterraines profondes, ces eaux de Source naturelles et minérales seraient moins polluées, permettant ainsi aux industriels de les vendre en moyenne 100 fois plus cher que l’eau du robinet.
L’eau en bouteille est-elle meilleure pour la santé ? Rien n’est moins sûr. Chaque année, plusieurs études montrent de nouveaux aspects de la contamination de l’eau en bouteille : 78 % des eaux minérales en bouteille analysées en 2022 par l’association Agir pour l’Environnement étaient contaminées par des microplastiques.[1]. Ces contaminations proviennent de l’emballage, qu’il s’agisse de la bouteille ou du bouchon, mais aussi des procédés de traitement que subit l’eau avant la mise en bouteille. Aux microplastiques (particules de moins de 5 millimètres) s’ajoutent désormais les nanoplastiques (moins d’un micromètre) : selon l’étude réalisée par des chercheurs de l’Université de Columbia [2], chaque litre d’eau en bouteille contient des centaines de milliers de particules de plastique, dont 90 % de nanoplastiques. Un taux qui représente jusqu’à 100 fois plus de microparticules que celles enregistrées jusqu’à présent.
À cette pollution plastique de l’eau en bouteille s’ajoute une contamination microbiologique. Un rapport de l’Inspection générale interministérielle du secteur social (IGAS) rendu en 2022 et révélé publiquement par une enquête de France Info et Le Monde [3]estime qu’au moins 30 % des marques françaises d’eaux de Source et d’eaux minérales utilisent traitements non conformes pour masquer la présence de contamination microbiologique et chimique (résidus de pesticides, PFAS, etc.). Une note de l’Anses, remise au gouvernement en octobre 2023, fait état de ces contaminations régulières sur de nombreux puits du groupe Nestlé, et estime que les non-conformités détectées « ne devraient pas conduire à la production d’eau en bouteille ». Il est clair que les sources contaminées ne doivent plus être exploitées pour produire de l’eau minérale naturelle.
Des coûts sanitaires et environnementaux importants
Dans son principe même, la mise en bouteille d’eau est une aberration environnementale, à plusieurs niveaux :
- Pour certaines entreprises privées, cela impliquemonopoliser la propriété commune au détriment des usages vitaux (eau potable, eau destinée à produire notre alimentation, eau permettant la survie de la biodiversité). En période de sécheresse et de restrictions, les fabricants continuent volontiers de pomper les eaux souterraines, sans aucune restriction.
- Cette ressource naturelle commune est ensuite conditionnée dans du plastique, qui sera, au mieux, recyclé avec perte de matière et émissions de particules plastiques, ou au pire, brûlé, enfoui ou jeté dans la nature. Cet emballage plastique contribue à contaminer immédiatement cette eau, par un processus de dégradation au contact de l’eau.
- Enfin, il s’agit de transporter une ressource locale sur des centaines ou des milliers de kilomètres (via les exportations mondiales) avec des émissions considérables de gaz à effet de serre. Selon l’ADEME, l’eau du robinet émet 2 000 fois moins de CO2 que l’eau en bouteille. [4].
À ces coûts environnementaux, s’ajoutent des coûts sanitaires : l’exposition aux microplastiques est soupçonnée d’avoir de nombreux effets à long terme (cancers, diabète, problèmes neurologiques, respiratoires et cardiovasculaires…). Si les connaissances sur l’impact des nanoplastiques sur la santé sont encore limitées, les chercheurs soulignent néanmoins que ces particules sont suffisamment petites pour pénétrer dans le système sanguin et se retrouver dans les organes. Si des études complémentaires et plus précises doivent être menées pour déterminer les liens entre pollution micro et nanoplastique et santé humaine, les premiers résultats sont déjà très inquiétants, et le principe de précaution devrait prévaloir.
Et tout ça, pour quoi faire ? Il ne faut pas oublier que l’eau en bouteille est avant tout une véritable manne financière pour les industriels. 14,7 milliards de bouteilles sont vendues en France chaque année, toutes boissons confondues, soit environ 220 par Français. [4]. L’eau représente le contenu de 8,4 milliards de ces bouteillessoit près de 60% d’entre eux [5]. Au total, selon l’IGAS, l’eau en bouteille représente un marché colossal de 2 milliards d’euros chaque année.
Quelles alternatives à l’eau en bouteille plastique ?
Que dit le règlement ?
La loi AGEC de 2020 fixe un objectif de réduction de 50 % des bouteilles en plastique entre 2018 et 2030, ce qui nécessite de passer de 14,6 à 7,3 milliards d’unités commercialisées. Cette loi prévoit également l’interdiction des plastiques à usage unique d’ici 2040.
Attention aux fausses bonnes idées qui se multiplient ! De nouveaux emballages à usage unique font leur apparition sur le marché des eaux minérales et des eaux de Source, sous couvert de « déplastification » des pratiques : emballages TetraPakⓇ ou encore canettes en aluminium par exemple. L’impact environnemental de ces emballages est tout aussi problématique que celui du plastique, en raison du gaspillage de ressources qu’ils représentent, de l’énergie dont ils ont besoin (pour leur production, leur gestion, leur éventuel recyclage, etc.), et, parfois, d’éternels polluants. nécessaires à leur fabrication. Le vrai souci réside dans l’usage unique de cet emballage, jeté après une seule utilisation.
La seule alternative viable d’un point de vue sanitaire et environnemental : un eau du robinet de bonne qualité. Bien qu’elle soit présente sur tout le territoire, l’eau du robinet n’est pas exempte de contamination. Libérée de la contamination plastique des bouteilles plastiques elles-mêmes, l’eau du robinet est également en proie à une contamination chimique (présence de polluants chimiques, de résidus de pesticides et de PFAS, comme pour l’eau des bouteilles plastiques). Selon une enquête France Info de septembre 2024 [6]sur 89 échantillons d’eau du robinet, 43 % contenaient des PFAS. Contrairement à l’eau en bouteille, l’eau du robinet a cependant le mérite d’être contrôlée sur plus de 70 paramètres, en toute transparence, par les Agences Régionales de Santé, et non par des entreprises dont le seul objectif est de faire du profit, coûte que coûte.
Les demandes de Zero Waste France
Pour lutter contre la pollution plastique des bouteilles d’eau
Pour sortir du plastique à usage unique d’ici 2040, comme le prévoit la loi AGEC, il faut préciser les étapes intermédiaires et contraindre progressivement les industriels à réduire leur production de plastique à la Source. Pour cela, Zero Waste France propose de :
- mettre en œuvre rapidement les premières interdictions, pour commencer à réduire la pollution plastique liée à l’embouteillage de l’eau et changer les pratiques de consommation de bouteilles à usage unique. L’interdiction de commercialisation sur le marché français de petites bouteilles d’eau en plastique (moins de 50 cl), actuellement en débat, va notamment dans ce sens ;
- interdire progressivement l’usage unique et le transfert vers d’autres matériaux, pour limiter le gaspillage de nouvelles ressources, notamment dans les secteurs du papier et carton, de l’aluminium et des alternatives « bio-sourcées ».
Pour une répartition et une qualité de l’eau plus justes
Pour que l’eau du robinet devienne incontestablement la meilleure alternative à l’eau en bouteille plastique, il est essentiel poursuivre une politique publique de l’eau ambitieuseavec des moyens financiers adéquats. Malgré le lancement en 2023 par le gouvernement d’un Plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau, les 53 actions répertoriées sont loin d’être suffisantes pour résoudre à la fois les enjeux de préservation, de distribution et de distribution. amélioration de la qualité de l’eau.
Concernant la qualité de l’eau du robinet, Zero Waste France insiste sur la nécessité de prendre des mesures pour :
- renforcer les normes et méthodes de surveillance de la qualité de l’eau, comme le demandent nos partenaires Surfrider Fondation Europe et le Bureau Européen de l’Environnement ;
- ne plus dissimuler le non-respect de la loi par les industriels – comme ce fut le cas dans l’affaire Nestlé-Waters, selon les révélations du Monde et de France Info ;
- bannir les PFAS, ou « polluants éternels », ainsi que les bisphénols, responsables d’une partie de cette pollution des eaux ;
- préparer une nécessaire transformation du modèle agricole extensif basé sur l’utilisation de pesticides, pour réduire la pollution chimique des eaux.
De manière générale, plusieurs associations, dont Zero Waste France, ont appelé lors d’une tribune de juin 2023 [7] repenser nos usages de l’eau et sa distribution à la lumière de nouvelles réalités : sécheresses, inondations, pollutions multiples, etc. Véritable sujet de justice sociale, il est central de mettre en œuvre une politique ambitieuse permettant une répartition juste et durable de la ressource en eau. Premièrement, faire en sorte que les dérogations aux restrictions d’usage de l’eau ne soient plus accordées pour des usages non essentiels (piscines, golfs, etc.) ou qui ne permettent pas de nourrir directement les populations. Plus généralement, il s’agit de choisir entre un modèle d’agriculture intensive et destructrice (prélèvements excessifs et méga-bassins) et une agriculture paysanne, nourrissante et performante en eau.
Enfin, à l’approche de la cinquième session de négociations du traité international contre la pollution plastique, Zero Waste France est signataire, avec une centaine d’organisations, d’unappel à stopper l’expansion des plastiques à usage unique, en particulier des bouteilles en plastiquequi en plus de constituer une Source de pollution majeure, constituent un véritable obstacle à l’accès de tous à l’eau. En effet, selon une étude de l’Université des Nations Unies, le marché de l’eau en bouteille connaît une croissance exponentielle – 73 % au cours de la dernière décennie. Cependant, cette expansion, outre la pollution plastique générée, compromet directement les efforts visant à garantir un accès universel à l’eau potable et détourne les investissements nécessaires au développement des systèmes publics d’approvisionnement en eau.
Lire l’appel (en anglais)
Sources :
[1] Etude exclusive : 78% des eaux en bouteille analysées contaminées par des microplastiques | Agir pour l’environnement, 20 juillet 2022
[2] Imagerie chimique rapide de particules uniques de nanoplastiques par microscopie SRS, PNAS, janvier 2024
[3] ENQUÊTE FRANCEINFO, Plusieurs producteurs d’eau en bouteille ont filtré illégalement leur eau pour cacher une contamination, 30 janvier 2024
[4] Consignes de réutilisation et de recyclage des bouteilles de boissons, ADEME, 2021.
[5] Eau en bouteille | Impact CO₂, ADEME
[6] ENQUÊTE. Eau du robinet : la carte de France des contaminations aux polluants éternels, France Info, 19 septembre 2024
[7] TRIBUNE. « Boire ou gaspiller, il faut choisir » : face au réchauffement climatique, les associations écologistes appellent à « repenser en urgence nos usages de l’eau », France Info, 5 juin 2023