Gérard Meudal, originaire de Perros-Guirec, traduit Salman Rushdie depuis 15 ans

Gérard Meudal, originaire de Perros-Guirec, traduit Salman Rushdie depuis 15 ans
Gérard Meudal, originaire de Perros-Guirec, traduit Salman Rushdie depuis 15 ans

Son nom ne vous dit probablement rien, mais Bernard Meudal est à l’origine des sept derniers livres (en français) de l’un des écrivains les plus célèbres au monde. Fils d’un facteur à Perros-Guirec et d’une mère originaire de Plougrescant, il devient le traducteur attitré de Salman Rushdie.

Un rôle que l’ancien collaborateur de Libération et du Monde a choisi d’assumer, malgré la fatwa de mort lancée par l’ayatollah Khomeini contre l’écrivain, suite à la publication des « Versets sataniques » en 1988. Et la récente tentative d’assassinatpar l’auteur américano-britannique en 2022.

Gérard Meudal, comment le fils d’un facteur breton est devenu traducteur de monuments littéraires ?

Je vais essayer de résumer un peu sinon ça risque d’être trop long (rires). J’ai étudié à Rostrenen et suis allé au lycée Ernest Renan à Saint-Brieuc, puis j’ai rejoint Henri IV à Paris. Avec les études littéraires, il n’y a pas beaucoup d’opportunités autres que l’enseignement. Je me suis donc retrouvé professeur de français en région parisienne. Mais j’ai collaboré ici et là avec des revues littéraires et, un beau jour, on m’a proposé de travailler au journal Libération comme critique littéraire, avant de rejoindre Le Monde des livres.

En parallèle, j’ai commencé par traduire grâce à Pierrick Masquart, un ami d’Erquy. Un jour, il m’a passé un livre de l’auteur irlandais Joseph O’Connor. Je l’ai trouvé tellement bon que je me suis dit qu’il fallait absolument le traduire pour le lectorat français. Le recueil de nouvelles a plutôt bien fonctionné et l’éditeur a décidé d’acheter tous les livres d’O’Connor, avec un certain succès.

Depuis, la traduction est devenue mon violon Ingres. On m’a alors proposé des auteurs de plus en plus connus.

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Salman Rushdie, qui a perdu son œil droit lors de l’attaque, porte des lunettes à verres noirs. (Timothy A. Clary/AFP)

Jusqu’à Salman Rushdie et Paul Auster !

J’ai rencontré le premier en tant que journaliste, en 1983, à l’occasion de la sortie de son livre « Les Enfants de Minuit » (Stock, 1983). Bien plus tard, il dut changer de traducteur alors même qu’il était publié chez Plon. Dans cette maison d’édition se trouvait l’éditeur Ivan Nabokov, le petit-neveu de l’écrivain Valdimir Nabokov. Un homme au talent et à la culture incroyables. C’est lui qui a insisté pour que je traduise Salman Rushdie. J’ai ainsi pu traduire « L’Enchanteresse de Florence », un livre publié en 2008. Puis, au fil du temps, nous avons noué une belle amitié, à tel point qu’il a fini par me recommander à son défunt ami Paul Auster.

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L’écrivain américain Paul Auster (ici en septembre 2017) est décédé le 1er mai 2024 à l’âge de 77 ans. Bernard Meudal a traduit un de ses romans, « 4 3 2 1 ». (EPA-EFE/JPGANDUL)

Depuis le début de votre collaboration en 2008, Salman Rushdie a changé deux fois d’éditeur. Pourtant, il vous a gardé comme traducteur. Comment expliquez-vous cette fidélité ?

La première traduction la laissa cependant un peu perplexe. Mais il ne m’a rien dit de particulier. Après la sortie du deuxième livre, il m’a pris à part en marge d’un rendez-vous au Théâtre de la Colline à Paris et m’a dit : « Écoute, je pensais pouvoir juger une traduction française (Salman Rushdie parle le langue de Molière). Mais ce n’est finalement pas le cas. J’ai fait lire votre traduction par des amis parfaitement bilingues qui m’ont dit qu’elle était impeccable. Alors je te fais confiance. »

Comment décrivez-vous son style littéraire ?

J’adore son incroyable inventivité. Il invente des histoires qui peuvent paraître farfelues mais qui sont en réalité des contes. Des contes pour adultes en quelque sorte. C’est là son côté fabuleux. Mais en même temps, il aborde à merveille l’un des grands sujets de notre époque : l’immigration. N’oubliez pas qu’il n’y a pas si longtemps, les gens voyageaient très peu. Je ne pense pas que ma mère soit jamais allée dans un pays étranger par exemple. Mais il y a désormais un mouvement généralisé. Les gens sont beaucoup plus mobiles mais n’ont pas les mêmes liens avec leur lieu d’origine. Et il traite ce thème de l’immigration de manière extraordinaire. Tous ses personnages sont des immigrés, lui-même en est un d’ailleurs.

Votre nom apparaît sur chacun des livres aux côtés de celui de Salman Rushdie. Certains de ses traducteurs ont déjà été tués ou victimes de tentatives d’assassinat dans les années 90. Avez-vous déjà eu peur pour votre vie, vous aussi ?

J’ai commencé à le traduire 19 ans après la fatwa. Je considérais cela comme une histoire ancienne, tout comme Rushdie. Il s’est trompé. Je n’ai donc pas pensé qu’il était utile de prendre un pseudonyme parce que je pensais que ce n’était pas nécessaire et que je n’avais aucune raison de le cacher. J’en suis même plutôt fier. Je trouve que le traduire fait un travail utile.

D’ailleurs, prendre désormais un pseudonyme ne servirait plus à rien. Alors autant continuer et quoi qu’il arrive.

Son dernier livre que vous avez traduit (« Le Couteau », Gallimard) concerne la tentative de meurtre de l’écrivain le 12 août 2022, lors d’une conférence dans l’État de New York. Vous souvenez-vous de cette attaque ?

J’étais en vacances dans le Berry quand c’est arrivé. J’ai entendu la nouvelle à la radio. J’étais dévasté parce que j’étais convaincu, d’après le peu d’informations dont nous disposions, qu’il n’allait pas survivre. Il y a quelque chose de miraculeux dans sa survie. Et même dans sa convalescence car il est plutôt en forme.

Je ne pouvais pas communiquer avec lui car je n’avais pas les coordonnées de sa famille. Mais j’ai continué à lui envoyer des messages et, un beau jour, il était assez ragaillardi pour me répondre. Nous avons ensuite repris nos bonnes vieilles habitudes. Quand je termine une traduction, je parle beaucoup avec lui.

Pouvez-vous nous interpréter l’épigraphe de ce dernier livre, tirée d’un texte de Samuel Beckett : « Nous sommes différents, nous ne sommes plus ce que nous étions avant la calamité d’hier » ?

Il parle en fait de deux calamités qui lui sont arrivées : cette tentative de meurtre et son âge. Il a presque 77 ans et est conscient que ses œuvres les plus importantes sont derrière lui. Il a écrit 22 livres et, comme il le dit ironiquement, il n’en écrira pas 22 de plus. Il faut donc se demander un instant ce que nous allons faire du temps qui nous reste. Et dans son cas, c’est cette seconde chance qui lui a été donnée, car, une fois de plus, il a été abandonné mort par tout le monde.

 
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