Les passeurs de mémoire contre l’effacement

À quelles brutalités sont-ils confrontés ? Comment préservent-ils leur identité menacée et gardent-ils le lien avec la terre de leurs ancêtres ? Quelles solutions voient-ils à ce conflit ?

Effacement est le mot qui revient sur toutes les lèvres. Pour Joudie Kalla, chef et auteur gastronomique de 47 ans basée à Londres, la plus grande violence est d’entendre ça “nous n’existons pas”. Idem selon Hala Saleh, cadre dans une start-up et brodeuse de 45 ans, basée à Seattle, aux Etats-Unis. « Les tentatives visant à effacer notre existence, notre histoire, notre héritage et notre humanité sont parmi les choses les plus difficiles à supporter. » Quant à Basma Al-Sharif, artiste et cinéaste de 41 ans, nomade entre plusieurs villes d’Europe et du Moyen-Orient, elle estime que le plus dur dans la vie est « la mesure dans laquelle le monde n’accorde pas la même valeur à nos vies, nous fait taire, nous ignore et délégitimise notre lutte. L’art n’est pas de l’activisme, mais il offre la possibilité de réfléchir, de problématiser et de poétiser. Cela montre la richesse et la diversité de qui nous sommes et rend d’autant plus difficile notre effacement.

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Faire vivre le patrimoine immatériel

Hala Saleh évoque un traumatisme générationnel qui impacte le quotidien de chaque Palestinien. « Et ce d’autant plus que les causes n’ont pas disparu. Nous vivons toujours aux côtés d’une entité et d’un groupe de personnes qui continuent de nettoyer ethniquement notre peuple par le génocide, les déplacements forcés et le déni de notre identité. « Trouver un équilibre entre cette dure réalité et la tentation de mener une vie normale est un défi qui semble parfois insurmontable »souligne celle qui a longtemps caché ses origines jugées « problématiques », avant de les clamer haut et fort de diverses manières, et notamment en se lançant dans la broderie. « J’ai donc commencé à porter des robes traditionnelles chaque fois que j’avais envie de canaliser l’énergie de mes ancêtres et de passer des heures à cuisiner les plats de mon enfance pour mes proches et mes amis. Ces dernières années, j’ai appris le tatreez, une technique de broderie palestinienne qui est en fait bien plus que cela. C’est un artisanat qui raconte qui nous sommes, mais aussi l’expression concrète de notre lien avec notre terroir puisque chaque région a ses propres motifs. J’ai récemment commencé à faire découvrir à des groupes de personnes ce savoir-faire ancestral et en même temps à les sensibiliser à l’histoire et à l’identité palestiniennes.

La brodeuse Hala Saleh n’hésite plus à affirmer son identité palestinienne, notamment en portant des robes traditionnelles. (Crédit photo : archives personnelles Hala Saleh)

Bien que résidant également à des milliers de kilomètres de la terre de ses ancêtres, l’auteur de livres culinaires (Baladi, La Palestine sur une assiette) Joudie Kalla dit que ses racines vivent en elle, « comme des graines qui continuent de pousser ». « L’éloignement n’enlève pas le sentiment d’appartenance. La Palestine est dans notre sang, nos cœurs et nos esprits »assure celle qui, à travers ses œuvres, veille à la sauvegarde de recettes millénaires transmises de génération en génération. « Entretenir notre patrimoine immatériel vivre à travers la cuisine et la culture est une manière de garder cette mémoire vivante. En ces temps de guerre, elle se mobilise en collectant des fonds pour des œuvres caritatives et « dénonçant les horreurs commises par le régime sioniste ».

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Ni immigrant, ni réfugié, ni exilé

Le travail de la plasticienne Basma Al-Sharif, nominé pour le prix Aware qui sera décerné en mars, aborde la question du retour, revendication omniprésente au sein de la diaspora. Elle croit avoir “chance et malheur” avoir une carte d’identité à Gaza, où elle s’est rendue fréquemment tout au long de sa vie : « Je n’ai pas l’impression d’appartenir à un autre pays que la Palestine. Je ne suis ni immigrant, ni réfugié, ni exilé. Je suis obligé d’être un invité dans d’autres pays qui vous traitent comme si vous n’en faisiez pas partie, même si vous parlez parfaitement leur langue et avez leur passeport.

Cette artiste, née dans une famille comptant de nombreuses personnes impliquées comme universitaires ou résistants, considère la lutte comme partie intégrante de sa vie. Pour elle, « Si nous démantelons cette force d’occupation, si nous donnons à chacun le droit d’y vivre, alors la violence cessera comme elle l’a fait dans toutes les luttes coloniales et les mouvements de libération nationale. La résistance violente est le résultat d’une oppression violente.

Selon sa compatriote Joudie Kalla, la sortie de crise passe nécessairement par une intervention internationale. « Israël provoque un carnage qui doit cesser ! Doivent-ils faire aux autres ce que les nazis leur ont fait ? La communauté sioniste a perdu la guerre médiatique et toute crédibilité. La Palestine est sur les lèvres du monde entier.

GHADIR HANI

Le refus du désespoir

Palestine : les trafiquants de mémoire contre l’effacement

Ghadir Hani, militant pacifiste, pleure et serre dans ses bras son collègue lors de la cérémonie funéraire de son amie Vivian Silver, tuée dans les attentats du 7 octobre (Crédit photo : Yahel Gazit / Middle East Images via AFP)

Sa présence a été remarquée aux funérailles de Vivian Silver, la fondatrice canado-israélienne de Women Wage Peace (mouvement féministe et pacifiste créé en 1994), tuée lors des attentats du 7 octobre. Ce jour-là, en guise de mot d’adieu à son amie, elle a déclaré : , avec des sanglots dans la gorge : « Vous avez dit que l’obscurité n’est repoussée que par la lumière, comme j’aurais aimé que vous soyez là pour apporter la lumière et l’espoir comme vous l’avez toujours fait (…) Ma chère Vivian, si vous m’entendez, je veux vous dire que le Hamas n’a pas tué votre rêve.”

Né à Saint-Jean-d’Acre il y a quarante-six ans, ce militant actif dans le dialogue interreligieux est membre depuis sept ans de Debout Ensemble, une organisation de gauche judéo-arabe fondée en 2015. Palestinien de nationalité israélienne, elle a rejoint ce mouvement parce qu’elle croit en « un militantisme partagé » qui, selon elle, “C’est la meilleure solution”. « Les Juifs ne peuvent pas faire campagne pour moi sans moi, j’ai dû les rejoindre », confie-t-elle. Malgré l’enlisement de la guerre, ce quadragénaire n’a jamais perdu confiance en la paix. Grâce à un militantisme pacifique, elle espère voir les Palestiniens vivre et se déplacer librement et voir la fin de l’occupation afin que les deux peuples puissent « vivre ensemble et en toute sécurité sur cette terre »prédit celui qui refuse de « tomber dans le piège du désespoir et de la haine ».

Voir le dossier du mois : Les femmes palestiniennes, passionarias malgré elles

 
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