« Le corps est un produit à la fois biologique et social »

« Le corps est un produit à la fois biologique et social »
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En matière de recherche en santé et de soins aux patients, pourquoi est-il important de combiner biologie et sociologie ?

Muriel Darmon
: Le corps est un produit à la fois biologique et social. On s’en rend compte dans les services de santé : les patients ne se présentent jamais en couches séparées aux médecins, distinguant ce qui est biologique (hormones, chromosomes, etc.) de leurs conditions de vie et habitudes sociales ! Il est donc nécessaire de travailler dans un dialogue interdisciplinaire, entre biologie et sociologie – et plus généralement sciences sociales.

Carina Prip-Buus
: Cela s’applique également à la recherche en santé. Encore trop souvent, certaines équipes de biologie se concentrent exclusivement sur l’étude des individus masculins, extrapolant leurs résultats aux individus féminins. Or, on sait que le sexe biologique – tout comme le genre social – détermine en partie l’état de santé et qu’on ne peut donc l’ignorer au nom d’un « universel masculin ».

De ce point de vue, la France est en retard au niveau européen, alors que les pouvoirs publics d’un bon nombre de pays européens (Allemagne, Suède, Italie et Pays-Bas par exemple) ont su mettre en place des actions qui tiennent compte de la influence du genre et du sexe sur la santé. Réussir la transition de la recherche fondamentale aux patients par les politiques publiques implique donc toutes les communautés de santé, y compris les biologistes, les médecins et les sociologues.

Cette formation – qui prenait la forme d’une école thématique de cinq jours – visait notamment à rapprocher vos deux communautés. Quels ont été leurs points de friction jusqu’à présent ? Cette semaine a-t-elle facilité la rencontre et le dialogue entre eux ?

M. D : Chacune des deux disciplines portait des idées préconçues envers l’autre. Par exemple, certains biologistes percevaient la sociologie comme aveugle aux dimensions biologiques de la santé, tandis que certains sociologues jugeaient la biologie trop fermée aux dimensions sociales ou voulant expliquer tous les comportements par la physiologie ou la génétique. Les deux disciplines n’avaient pas non plus les mêmes habitudes en termes de pratiques de recherche ou de publication des résultats. Il fallait surtout éviter de renouveler entre nous l’opposition artificielle entre genre et sexe.

CP-B : Dès le début de l’école thématique – et même dès sa conception, un peu plus d’un an avant – le ton et les principes étaient donnés : il n’était pas question de partir des a priori que l’on avait sur l’autre communauté et, sur au contraire, il fallait rester curieux de l’autre. Tout le monde était conscient de l’importance des aspects biologiques et sociaux et de ce que nous devions apprendre les uns des autres. A la fin de cette semaine, la quarantaine de participants ont pu construire une véritable confiance scientifique.

Comment, concrètement, la biologie et la sociologie de la santé peuvent-elles se rencontrer ?

M. D : Travailler le béton était important pour l’école. Les cinq jours que nous avons suivis étaient chacun définis par des objets spécifiques. Parmi elles, les maladies cardiovasculaires comme les crises cardiaques et les accidents vasculaires cérébraux, qui touchent davantage les hommes que les femmes mais dont les femmes meurent plus et se rétablissent moins bien. Pour comprendre les effets du sexe et du genre sur ces inégalités face à la maladie, il faut notamment prendre en compte la socialisation de genre.de la personne, c’est-à-dire la façon dont la société nous construit en tant que femme ou homme. On se rend en effet compte que le temps mis pour arriver aux urgences est jusqu’à trois fois plus long pour les femmes que pour les hommes, et pour cause : si les femmes sont de très bons témoins des crises cardiaques et des accidents vasculaires cérébraux de leur conjoint, les hommes, avec un une culture médicale moins bonne et une relation moins bienveillante, le sont moins envers leurs partenaires. À cela s’ajoute le fait que les femmes ont tendance à minimiser et à tergiverser leur propre douleur ou que celle-ci peut être faussement attribuée, par les femmes victimes ou par d’autres, à des causes psychologiques en cas de crise cardiaque ou d’accident vasculaire cérébral.

CP-B : Le statut hormonal de la femme — qu’elles soient ménopausées ou non — joue également un rôle dans la survenue de crises cardiaques. On observe qu’elles sont moins touchées que les hommes avant la ménopause, mais qu’elles rattrapent leur retard par la suite. Il en va de même pour la stéatose hépatique non alcoolique, plus connue sous le nom de « stéatose hépatique », qui se traduit par une accumulation de graisses en dehors du tissu adipeux, notamment au niveau du foie, ce qui, à terme, peut conduire à une fibrose, voire à une fibrose. cirrhose puis cancer du foie. Avant la ménopause, les femmes ont une meilleure capacité à stocker les graisses, mais cette protection disparaît par la suite et le risque d’inflammation du foie devient similaire à celui des hommes, d’où l’importance de sensibiliser les deux populations.

M. D : L’un des facteurs de risque de cette maladie est l’obésité. Toutefois, l’obésité est extrêmement variable selon les classes sociales. Bref, le social agira sur l’obésité, qui elle-même agit sur la maladie, si bien qu’on finit par ne plus distinguer le social du biologique.

Quelle suite donner à cette école thématique ?

CP-B : Nous souhaitons désormais élargir ce dialogue pour toucher un plus grand nombre de laboratoires. Pour ce faire, nous réfléchissons à organiser des journées thématiques sur certains sujets communs. La première d’entre elles est déjà programmée le jeudi 12 décembre 2024, à l’Institut Cochin à Paris, et portera sur le vieillissement, sujet à la croisée du biologique et du social. Cet événement sera une nouvelle fois l’occasion pour chaque discipline de s’instruire et d’apprendre au contact des uns et des autres.

M. D : Les membres du comité scientifique de l’école thématique avaient également proposé la tenue de séances d’enseignement dans l’enseignement supérieur réalisées conjointement par des biologistes et des sociologues. De telles séances seraient particulièrement bénéfiques dans les études de médecine et pourraient déboucher, par exemple, sur des cours autour de la médecine du sexe/médecine du genre. Une première expérimentation est déjà prévue pour la rentrée prochaine dans le Master 2 « Biocoeur » de l’Université Paris Saclay et de l’Université Paris-Est Créteil-Val-de-Marne. Plus généralement, nous espérons que la dynamique que révèle notre initiative pourra se poursuivre et s’amplifier.

 
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