Pourquoi la France est désormais menacée par la dengue, la fièvre de Crimée-Congo et le chikungunya

Pourquoi la France est désormais menacée par la dengue, la fièvre de Crimée-Congo et le chikungunya
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Chargé de formuler des recommandations sur la politique de santé du gouvernement, Covars s’est penché sur les maladies susceptibles de représenter un risque élevé en France à l’horizon 2030. Et le spectre est large…

Quelles sont les nouvelles menaces qui pèsent sur nous à court terme et comment s’y préparer ? C’est le sens de l’avis publié le 9 avril par le Comité de surveillance et d’anticipation des risques sanitaires (Covars), intitulé « Évaluation des risques de situations exceptionnelles majeures pour la santé humaine en France au cours des années 2025-2030 ».

La vigilance se porte « principalement » sur les « zoonoses », qui se transmettent des animaux à l’homme, et les « arbovirus », transmis notamment par les moustiques. Avec une certitude : au-delà des impacts déjà observés des pics de chaleur et de la multiplication des événements « extrêmes » (inondations, sécheresses, tempêtes…), le changement climatique va changer la donne, comme l’explique l’écologiste. Patrick Giraudoux, professeur émérite à l’Université de Franche-Comté et membre du Covars.

Vous dites que le réchauffement climatique va provoquer une multiplication des vecteurs de maladies. Pour quoi ?

Pour une raison simple : les périodes de conditions favorables à certains vecteurs vont s’allonger. Prenons l’exemple des moustiques. Jusqu’à présent, en hiver, ils sont au repos, et la durée de la saison estivale ne leur permet que quelques cycles de reproduction. S’il fait chaud de plus en plus tard, ces cycles se multiplient mécaniquement. Vous faites « x2, puis « x2 », puis à nouveau « x2 », et vous avez une exponentielle qui s’établit…

À terme, nous risquons d’avoir des populations de moustiques beaucoup plus importantes, donc beaucoup plus de piqûres et des risques accrus de transmission de maladies.

Ce qui nous inquiète le plus en ce moment, c’est la dengue. Alors qu’il s’agissait auparavant d’une maladie tropicale, on constate désormais des cas indigènes dans le sud-ouest et le sud-est de la France – un phénomène également facilité par l’augmentation des déplacements.

Patrick Giraudoux (écologiste, membre de Covars)

Il existe également le chikungunya, transmis par le moustique tigre. Il est possible que la métropole soit confrontée à une épidémie majeure, semblable à celle qui a déjà frappé La Réunion. Il en va de même pour le virus Zika, largement répandu en Amérique du Sud.

Pour la même raison, les tiques, qui sont entre autres vecteurs de la borréliose de Lyme, vont elles aussi se multiplier dans des proportions importantes.

Photo Nicolas Barraud

Faut-il aussi craindre l’arrivée de nouvelles espèces, pas encore implantées sur notre sol ?

En effet, avec ces nouvelles conditions, certaines espèces pourront se déplacer plus au nord, jusqu’à coloniser notre territoire. C’est le cas par exemple de la tique « Hyalomma », porteuse d’un virus assez grave pour la santé humaine, qui provoque la fièvre de Crimée-Congo. Son impact a déjà été confirmé en Espagne. Elle est désormais arrivée au nord des Pyrénées et va, selon toute vraisemblance, remonter dans la vallée du Rhône et s’étendre à tout le territoire. Nous avons donc à la fois une nouvelle espèce et une nouvelle maladie.

Il faut ajouter à cela le fait que certaines espèces, indépendamment du réchauffement climatique, parviennent à s’adapter à des conditions qui ne leur étaient pas initialement favorables. C’est le cas du moustique tigre, qui a pu progressivement envahir l’Europe.

D’un autre côté, la qualité de l’air que nous respirons devrait continuer à se détériorer, tout comme la qualité de l’eau…

Concernant l’air, la vigilance se porte entre autres sur l’ozone dont la concentration augmente avec l’ensoleillement – ​​d’où les pics que l’on observe très souvent en été, dans les grandes villes. C’est problématique car c’est un oxydant qui potentialise les infections respiratoires.

Quant à l’eau, à mesure qu’elle se raréfie, elle deviendra également plus concentrée. Conséquence : la concentration de polluants chimiques et d’organismes pathogènes va inévitablement augmenter, au point de rendre certains dépôts imbuvables.

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Avec quelles conséquences ?

Si vous avez une bactérie par mètre cube, le risque d’être contaminé – par exemple par Escherichia coli – est faible. Si vous en avez des milliers, le risque devient élevé. En revanche, dans certaines conditions très dégradées, les populations seront poussées à aller chercher de l’eau là où elle n’est pas potable, faute d’alternative. On pourrait alors assister à des épidémies de choléra, notamment outre-mer.

L’effondrement de la biodiversité peut-il aussi être un facteur d’incertitude, voire de risques accrus pour notre santé ?

C’est un point essentiel, souvent sous-estimé et mal compris. Dans un écosystème, il existe des milliers, voire des centaines de milliers d’espèces. Si vous en supprimez un seul, ce ne sera pas évident. Cependant, cette disparition laissera une niche écologique vide. Les espèces qui lui étaient auparavant en compétition vont donc élargir leur périmètre et prendre la place laissée vacante. On les appelle espèces opportunistes.

Prenons l’exemple simplifié d’un système à sept espèces. Vous en retirez trois. Imaginons que l’une des espèces restantes en profite pour étendre sa portée et augmenter sa biomasse en termes de population. La conséquence est un appauvrissement de la biodiversité : les mêmes espèces, relativement homogènes sur le plan génétique, vont prendre le dessus sur les autres.

Il suffit alors de l’émergence d’un microbe quelconque pour que nous disposions d’un « magnifique » incubateur de virus, de bactéries, etc. Le mécanisme est le même qu’il s’agisse de plantes ou d’animaux.

Patrick Giraudoux (écologiste, membre de Covars)

Photo Renaud Baldassin

Dans le cas des agrosystèmes, la même espèce est souvent cultivée, très monoclonale et donc peu diversifiée, pour des raisons évidentes de productivité. Une espèce de ce type sera très vulnérable aux parasites, champignons et autres insectes nuisibles. Pour contrer cette fragilité, l’agriculture conventionnelle a recours aux produits phytosanitaires, avec tous les problèmes de santé publique que cela pose.

Une biodiversité appauvrie est donc bien plus difficile à gérer qu’un environnement très diversifié. L’ensemble devient extrêmement variable et sensible à toute perturbation extérieure, qu’il s’agisse des changements de température, de la sécheresse ou des maladies.

L’influence croissante de l’Homme sur la nature risque-t-elle d’aggraver la situation ?

C’est une certitude. Si l’on considère la biomasse, ou le poids de tous les mammifères à l’échelle planétaire, nous, les humains, représentons 36 %, et nos animaux domestiques, 60 %. 96% de cette biomasse est donc composée d’une vingtaine d’espèces. Les 4 % restants sont des mammifères sauvages, qui comptent pas moins de 6 500 espèces !

La structure même de ce système est propice aux pandémies : des animaux sauvages, on passe facilement aux animaux domestiques, qui jouent le rôle d’incubateurs, puis aux humains, dont la biomasse est absolument considérable.

Face à ces multiples signaux d’alerte, notre dispositif d’alerte et de prévention est-il suffisant ?

C’est tout l’enjeu que pose l’avis rendu par Covars, qui préconise d’être bien plus proactif que ce qui se fait aujourd’hui. Il va falloir réfléchir à améliorer ce qui existe déjà, face à des situations finalement assez prévisibles.

Certaines choses fonctionnent bien, mais compte tenu du nombre et de l’ampleur des changements à venir, il va falloir se préparer beaucoup plus à l’avance, pour éviter de réagir en cas d’incendie à la maison.

Patrick Giraudoux (écologiste, membre de Covars)

De ce point de vue, le Covid était une sorte de répétition générale. Il s’agit d’un virus pathogène, certes, mais le taux de mortalité n’est pas si élevé – environ dix fois plus élevé que celui des grippes saisonnières, qui, sans être négligeable bien sûr, reste bien inférieur. que pour certains virus tropicaux.

Nous devons donc prendre la menace très au sérieux et nous y préparer. La question n’est pas de savoir s’il y aura des pandémies en France dans un avenir proche – il y en aura, c’est certain – mais d’être prêt quand elles arriveront.

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Propos recueillis par Stéphane Barnoin

 
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