Un retraité qui se transforme en meurtrier aguerri, en commandant malchanceux et en braconnier bourru aux allures de nain de jardin. Dans son dernier thriller, « La Sainte Paix », le Québécois d’adoption André Marois mélange comédie de situation et humour noir. Une lecture savoureuse.
Jacqueline et Madeleine, deux veuves sans histoire, habitent de part et d’autre de la Mastigouche, une rivière québécoise, dans un coin de nature préservé. Leur quotidien se déroule paisiblement entre baignades dans la rivière et observation des animaux sauvages, jusqu’au jour où Madeleine annonce son intention de vendre sa maison, pour raisons de santé. Impensable pour Jacqueline qui ne veut pas de nouveaux propriétaires. Pour préserver sa « paix sainte », la septuagénaire va trouver une solution pour le moins radicale.
Un tueur inhabituel
Pour empêcher la vente, Jacqueline a une idée de génie : tuer Madeleine et déguiser le meurtre en suicide. Au Canada, la loi impose de signaler toute mort violente lors de la vente d’un bien immobilier. Jacqueline compte là-dessus pour freiner l’enthousiasme des familles avec « enfants, chiens et 4×4 » qui souhaiteraient acheter un chalet à la campagne.
Jacqueline est un personnage ordinaire dans une situation extraordinaire. Ça m’a beaucoup amusé d’en faire une tueuse, mais il fallait que ce soit plausible
Sauf que tuer quelqu’un quand on a plus de soixante-dix ans, quand on a mal partout et qu’on est de constitution assez fragile n’est pas une tâche facile. Jacqueline se prépare donc avec soin. Elle réfléchit à la méthode, à la matière, aux détails pour ne pas se compromettre. Elle s’amuse même à déjouer les futurs interrogatoires en se mettant dans la peau du commandant en charge de l’enquête.
Livre des quatre saisons
Dans « La Sainte Paix », André Marois réussit tout un tour de force. Jacqueline est peut-être psychopathe, mais elle est aussi très attachante. Pas de radio ni de télévision pour cet ancien présentateur de Radio-Canada. Ce qu’elle préfère, c’est observer la nature et ses changements.
L’herbe du petit pré en face est devenue jaune. Les asclépiades lâchaient leurs soies au vent. Les colibris se sont dirigés vers le sud avec les monarques et les oies sauvages
Sous la plume d’André Marois, la nature est à la fois impressionnante et fragile : tempêtes de neige, attaques de hiboux, mais aussi braconnage illégal. Dans la région de Mastigouche, il n’y a pas que des cadavres humains ; les sacs contenant des têtes et des carcasses de cerfs abondent partout. Ce massacre de masse soulèvera également cette question existentielle pour le sergent-détective Steve Mazenc : tuer un être humain ou un animal n’est-il pas la même chose ?
Richesse de la langue
Né en banlieue parisienne, André Marois s’est installé au Québec il y a trente-deux ans. L’auteur dit avoir enrichi son argot parisien de nouveaux mots savoureux comme marcheur (trotteur pour bébé), un ronfleur (une personne rusée) ou bibites (les moustiques). “Il faut exploiter cette richesse du langage”, affirme le romancier dans le podcast littéraire QWERTZ du 15 avril. “Encore plus lorsqu’il s’agit d’un roman noir où il y a beaucoup de dialogues.”
André Marois s’amuse aussi avec les titres de ses chapitres, qui ne sont pas numérotés, mais font référence à des films, des chansons ou des jeux de mots : « Il était une fois dans l’Est », « C’est super pour toi » ou encore « Les idiots gelés ».
Entre jeux de mots et comédie de situation, « La Sainte Paix » a beau être un thriller, le rire sacré n’est jamais loin.
Sarah Clément/mh
André Marois, « La Sainte Paix », éditions Héliotrope noir, avril 2024.
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