Ombres et lumière chinoises

Ombres et lumière chinoises

Publié aujourd’hui à 13h02

Longtemps convoité par Visions du Réel pour son Prix d’honneur, le cinéaste Jia Zhang-ke est le parfait lauréat en vue d’un événement qui promeut tous les moyens cinématographiques capables d’éclairer le réel. Le Chinois de 53 ans, Lion d’or à Venise pour « Still Life » en 2006 et prix du scénario à Cannes pour « A Touch of Sin » en 2013, utilise à la fois la fiction et le documentaire, parfois les deux. en même temps, comme dans « 24 City », de construire une œuvre palpitante où la beauté et la souffrance se croisent avec le destin de son pays.

Dans le cadre d’un festival à suivre jusqu’au 21 avril, rencontre à Nyon avec un auteur aux lunettes de soleil à n’en plus finir (même dans une cave mal éclairée) et qui sera une nouvelle fois en compétition à Cannes avec son long métrage « Capturé par les marées ».

Un jeune cinéaste d’aujourd’hui pourrait-il vivre le même parcours que vous ?

En Chine, chaque époque a son lot de problèmes à résoudre. J’ai près de 30 ans de carrière derrière moi et j’ai passé mon temps à trouver des solutions, d’une période à l’autre. Actuellement, je pense que les jeunes ont en tout cas une envie essentielle de s’exprimer et ils cherchent à le faire avec intensité. Par exemple, la période Covid ne les a pas arrêtés. Le cinéma chinois recommence à être présent sur la scène internationale, dans les festivals. L’industrie du cinéma reprend normalement.

Vous-même, qu’est-ce qui vous a poussé à choisir le cinéma dans votre jeunesse ?

Je pense que ma motivation initiale vient de mon expérience personnelle. J’ai grandi en Chine à une époque de réforme et d’ouverture qui a apporté des changements radicaux. Bien entendu, ce grand bouleversement a également représenté une certaine souffrance sur le plan personnel. Mon destin aurait pu être différent. J’ai vite compris que le cinéma pouvait me permettre d’exprimer ces changements radicaux, tant sur le plan personnel que sur celui du pays. En Chine, on parle souvent de la majorité silencieuse et, pour moi, le cinéma est peut-être le meilleur véhicule pour s’intéresser à ces laissés-pour-compte, pour les porter à l’écran. C’était aussi pour moi une manière d’exorciser la souffrance.

Vous êtes rapidement devenu un cinéaste d’envergure internationale. Est-ce que cela a changé votre façon de faire du cinéma ?

Quand j’ai tourné “Artisan Pickpocket” (ndlr : 1997), je ne connaissais absolument rien du monde extérieur, sauf par les romans ou les films. Mais je n’avais pas d’amis étrangers, par exemple. Plus tard, ce film a commencé à être projeté en France, en Corée, au Japon et même, plus tard, en Amérique latine. J’ai pu commencer à voyager et c’est devenu une chose très importante pour moi. Avant, je sentais que j’avais une vision 100% chinoise, liée à mon expérience. Tout d’un coup, j’ai eu accès à des points de vue différents sur les mêmes sujets. Petit à petit, cela m’a permis de me forger une nouvelle façon de penser, beaucoup plus riche. C’est le plus important. La renommée internationale n’est pas intéressante dans le sens de meilleures ventes de ses films mais dans la possibilité d’acquérir une conscience différente.

Quels ont été les films importants de votre jeunesse ?

Lorsque j’étudiais encore à l’Académie du cinéma de Pékin, les cinéastes qui m’ont le plus influencé étaient De Sica, Godard, Antonioni. Après, quand j’ai commencé à tourner, c’était plutôt les cinéastes de ma génération, comme Kore-eda, au Japon. La mondialisation est déjà en cours et, en même temps, il existe des particularités. Ces deux aspects simultanés ont créé une sorte de communion entre nous en tant que réalisateurs.

Peu de cinéastes sont capables de créer deux chefs-d’œuvre aussi différents que « A Touch of Sin », une fiction violente et politiquement chargée, et « I Wish I Knew », un documentaire nostalgique et poétique. Comment gérez-vous cette polarité entre fiction et documentaire ?

Il y a toujours la même motivation pour laquelle on se lance dans tel ou tel film. C’est le désir de comprendre la réalité des choses. Tout le monde le fait d’une manière différente. Je me demande quelle sera la meilleure façon de construire l’histoire. Je ne dis pas que je réussirai à obtenir cette vérité, mais en tout cas, c’est ma façon d’aborder une réalité. Par exemple, dans le cas de « I Wish I Knew », le documentaire convenait car les personnes dont je collectais les paroles étaient déjà très âgées. Il y avait une urgence. Pour « A Touch of Sin », la fiction m’a permis de me repositionner dans le temps, à partir du moment de… comment dire ? La scène du crime. L’imagination est peut-être le meilleur moyen de revenir à la réalité d’une époque révolue.

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Comme d’autres cinéastes, vous utilisez la figure archétypale de la pègre. Connaissez votre mafia, vous connaîtrez votre société ?

En Chine, la pègre n’est pas aussi organisée qu’elle peut l’être ailleurs. Mais ce qui m’intéresse, ayant, comme vous le dites, des personnages archétypaux issus de la pègre, c’est la manière dont ces individus gèrent les choses. Amplifié, exagéré… Cela met très en évidence les questions de pouvoir, de moralité, de profit personnel. Cela éclaire très efficacement ce qui est au cœur de la société chinoise.

Une perspective scorsésienne ?

C’est peut-être là qu’on se retrouve et qu’on voit que ce n’est pas si différent d’un pays à l’autre (rire).

Vos films sont remplis de personnages féminins très forts. Est-ce lié à une culture chinoise qui mettrait en avant les héroïnes ou est-ce une de vos spécificités ?

Dans la tradition, si l’on prend la littérature ou autre chose, on retrouve un monde extrêmement masculin. Les hommes mènent la danse. Moi-même, c’est en tant qu’homme que je me suis posé ces questions et c’était plus facile d’identifier les problèmes liés au caractère masculin – le goût du pouvoir, l’enrichissement, la compétition. Parallèlement, j’ai observé chez les femmes un caractère plus enclin à l’endurance, à la patience, aux convictions. Des qualités pour lesquelles j’ai beaucoup de respect. Simone de Beauvoir a exprimé le fait qu’on ne naît pas femme, mais qu’on le devient au contact de la vie. De la même manière, je n’ai pas tout de suite décrit les personnages féminins, mais c’est au fur et à mesure de ma vie que j’ai progressivement orienté ma caméra vers les personnages féminins.

Vous êtes un cinéaste très suggestif, mais avez-vous déjà eu des problèmes de censure dans votre pays ?

Les problèmes de censure ne sont pas récurrents, mais ils arrivent… J’avance dans un projet comme je pense qu’il faut et quand il y a un problème à ce niveau-là, il faut voir comment le résoudre. Et quand il n’y a aucun moyen de le résoudre, j’en paye le prix.

Merci à la traductrice Pascale Wei-Guinot.

Lausanne, Cinémathèque Suisse. Rétrospective Jia Zhang-ke, jusqu’au 30 avril. Projection de « A Touch of Sin », le 17 avril (20h30, en présence du réalisateur, à guichets fermés). www.cinematheque.ch

Boris Senff travaille dans la section culturelle depuis 1995. Il écrit sur la musique, la photographie, le théâtre, le cinéma, la littérature, l’architecture, les beaux-arts.Plus d’informations @Sibernoff

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