pour l’essayiste Dominique Simonnet, le film est « une métaphore de l’opposition totale entre deux camps »

Après Ex-Machina (2015) et Annihilation (2018), Le réalisateur britannique Alex Garland continue dans la science-fiction avec Guerre civile, un film qui imagine dans un futur proche une Amérique en feu et en sang, déchirée par une guerre civile. Le film sort dans les salles françaises le 17 avril.

Embarqués à bord d’un véhicule blindé, Ellie (Kirsten Dunst) et Joël (Nick Offerman), deux reporters de guerre aguerris, espèrent réaliser la dernière interview d’un président dictatorial menacé par les « forces de l’Ouest », emmenées par le Texas et la Californie. Sammy (Stephen McKinley Henderson), un vieux vétéran en fin de carrière, et Jessie (Cailee Spaeny), une très jeune photographe, font également partie du voyage.

Le film, très spectaculaire, met en scène des images de guerre que l’on a l’habitude de voir ailleurs sur la planète, sur les paysages des Etats-Unis. Un tel scénario est-il crédible ? Franceinfo Culture a posé la question à Dominique Simonnet, journaliste, écrivain et essayiste, auteur avec Nicole Bacharan de l’essai Les grands jours qui ont changé Amérique (Poche, 2022).

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Dominique Simonnet, essayiste, auteur de « Les grands jours qui ont changé l’Amérique » (Pocket, 2022). (Capture d’écran Franceinfo TV)

Franceinfo Culture : le scénario de Guerre civile est-ce plausible ? Une guerre civile est-elle imaginable dans un avenir proche sur le sol américain ?
Dominique Simonnet :
Je pense que c’est avant tout un scénario qui exprime la peur. C’est d’ailleurs un thème qui revient régulièrement ces derniers temps, notamment dans les livres, qui soulignent l’importante fracture qui sépare aujourd’hui la société américaine. Mais là, on est clairement dans un film catastrophe, dans un film de fiction. Je pense que c’est plutôt une métaphore de l’opposition totale entre deux camps politiques incompatibles. Trump traite ses adversaires de « vermine », une rhétorique qui évoque Hitler, il promet un « bain de sang », parle de « vengeance ». Le débat politique a atteint un niveau de violence verbale sans précédent, même si le phénomène n’est pas nouveau aux Etats-Unis.

Il y a aussi des signes inquiétants dans l’action de certains responsables républicains, comme au Texas par exemple, qui ne respecte pas la loi fédérale en refusant de retirer le mur à la frontière avec le Mexique… L’élection de Biden est toujours contestée par certains, qui continuent de dire que l’élection leur a été volée et qui remettent en question la légitimité du président. Mais pour l’instant, la violence reste verbale.

L’approche de l’élection renforce-t-elle cette peur qui s’exprime dans la fiction ?
Nous avons deux scénarios possibles, et tous deux peuvent effectivement susciter des craintes. Si Trump est élu, il aura déjà annoncé des mesures très concrètes. Il ne cache pas ses intentions qui se manifestent à travers le « Projet 2025 », qui prévoit des réformes radicales, notamment en matière électorale. Il annonce aussi des purges dans l’administration par exemple… Et dans le cas où il n’est pas élu, il dit : « Je ne peux pas perdre ». Ce qui peut être interprété comme « je gagnerai les élections », mais aussi comme « je ne peux pas accepter de perdre ». Les Américains vivent dans le spectre de l’attaque du Capitole, donc oui, c’est une peur.

Il y a aussi le problème des armes, est-ce un élément qui pourrait laisser penser que la situation dérive vers un conflit interne de type guérilla ?
Il y a près de 400 millions d’armes en circulation aux États-Unis. C’est un pays fondé sur la lutte. La lutte contre l’adversité, avec toute cette tradition cowboy. Alors effectivement, il peut y avoir un risque, mais encore une fois, pour le moment, la violence reste verbale.

Pouvons-nous imaginer une nouvelle guerre civile ?
Ce qui se passe aujourd’hui n’a rien à voir avec la guerre civile, qui a fait 600 000 morts et qui a opposé le Sud et le Nord, et deux systèmes très différents et incompatibles, avec d’un côté le Sud des champs de coton, rural, esclavagiste. , et de l’autre, le Nord, industriel, développé. Aujourd’hui, le scénario d’un conflit géographique n’est pas réaliste. On pourrait imaginer que tel soit le cas en regardant la carte électorale qui montre des zones rouges et des zones bleues clairement délimitées. Mais en réalité, c’est une illusion. Si l’on regarde la carte électorale au niveau des pixels, on se rend compte qu’en réalité le découpage est très fractionnaire. Il y a des pixels rouges et des pixels bleus absolument partout dans le pays. La fracture n’est pas géographique. Il convient également de noter qu’au maximum 30 % des Américains participent à cette opposition violente. 70 % d’entre eux ne veulent ni de Trump ni de Biden et auraient aimé d’autres candidats à l’élection présidentielle. C’est la « troisième Amérique », et elle est majoritaire. Et enfin, la diversité du peuple américain fait qu’il est très attaché à la nation, à l’idée de nation, au drapeau, aux valeurs communes, à la liberté. Ils ont une réelle volonté de cohérence et se retrouvent toujours autour du « rêve américain ». Tous ces éléments constituent des garde-fous.

Le cinéma américain a toujours mis en scène des conflits, selon l’histoire, avec l’Union soviétique, avec le monde arabe, avec la Chine… Cette fois, c’est un ennemi intérieur qui est mis en scène, est-ce là un signe d’une menace réelle ?
Les Américains ont une incroyable capacité à décrire leur histoire et leurs peurs dans la fiction. C’est un peu une manière d’exorciser les démons. Cela a commencé avec les westerns, qui montrent l’identité américaine dans sa forme la plus pure et dans lesquels sont représentées leurs valeurs morales fondamentales.

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Kirsten Dunst dans le film

Kirsten Dunst dans le film « Civil War » d’Alex Garland, sorti le 17 avril 2024. (MURRAY FERME)

Le cinéma a toujours été une sorte de catharsis, qui permet de digérer les traumatismes, comme la guerre du Vietnam par exemple. Le cinéma aborde également des questions de politique intérieure, comme l’affaire du Watergate en 2007. Les hommes du président. Les Américains ont cette capacité à digérer ce qui s’est passé, et à intégrer assez rapidement les éléments de leur histoire dans la fiction.

Et concernant le film « Civil War », est-ce aussi une manière d’absorber un présent inquiétant ?
Concernant ce film en particulier, je pense qu’il s’inscrit dans ce même mouvement de mise en fiction des peurs et des angoisses afin de les exorciser, de les apaiser. C’est peut-être aussi une manière d’avertir, un appel à retrouver un peu de raison et de sagesse en montrant le pire. Mais je crois que, même si des forces de désintégration existent et sont particulièrement alimentées aujourd’hui, il existe des forces de résistance très fortes autour de l’attachement à la fédération, à la nation et aux valeurs communes. ce qui rend ce scénario peu probable. Le pire est toujours possible et le film exprime cette peur que se déclenche une spirale dans laquelle les événements s’enchaînent jusqu’au point où l’on ne contrôle plus rien. Mais pour moi, encore une fois, on n’en est pas là. Je pense que les Américains sont conscients que c’est la fédération et la nation qui leur garantissent les conditions de paix, de sécurité, qui leur assurent leurs droits et leur liberté. Avec ce film catastrophe, c’est la fonction salutaire du cinéma hollywoodien qui s’exprime, en montrant ce qui pourrait arriver, une Amérique en guerre, des villes détruites… Comme un avertissement.

 
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