« Har-eman », un spectacle pour lever les tabous sur les troubles mentaux

« Har-eman », un spectacle pour lever les tabous sur les troubles mentaux
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Amaia Hennebutte ne recule pas devant son plaisir. « Un grand soleil bouillonne en moi. C’est notre première séance de travail pour le spectacle et j’en suis ravie”, a annoncé la comédienne à la quinzaine de personnes qui ont franchi la porte du Cafecito, 19, rue des Basques, à Bayonne.

Ce jeudi après-midi, le bar communautaire, créé pour favoriser l’inclusion des personnes en situation de fragilité mentale, accueille la compagnie Kiribil et son atelier théâtre. Les participants, directement touchés par les maladies mentales, se réunissent chaque semaine pour monter un spectacle. Celui-ci prendra la forme d’un défilé, le 8 juin, entre la place des halles et l’hôtel de ville, mêlant musique, danse et sketches théâtraux. Son nom : « Har-eman » (1), un jeu de mots en basque pour évoquer le lien, la relation à l’autre.

Après de longs mois à aborder ce projet à travers le travail de la voix, de la gestuelle et même des arts visuels, l’atelier entre dans le vif du sujet. « Nous allons commencer à construire notre spectacle. Mais avant tout, quelle est votre météo intérieure ? », demande Amaia Hennebutte, tout sourire. Pour Dominique ou Solenne, deux participantes assidues, la tendance est bonne. « Il fait toujours beau quand on vient ici », constate Solenne, 34 ans. Pour cet Angloye, atteint d’une maladie génétique appelée syndrome de l’X fragile, le rendez-vous hebdomadaire est comme une bouffée d’air frais.

des points de suture

Ce jour-là, le barreau communautaire recevait un groupe soigné à l’Ehpad Etxea à Anglet, ainsi que d’autres visiteurs, comme Solenne, Dominique, Daniel et Tristan, qui ne sont rattachés à aucune structure. « Ils vivent souvent isolés, d’où l’importance d’un lieu comme Cafecito qui leur permet de rompre avec la solitude. Pour certains, ce lieu est même bien ancré dans leur quotidien», explique Camille Desneux, employée à temps partiel d’Elkarlana Lagunak.

C’est à cette association que l’on doit l’ouverture du Cafecito, en mars 2023. L’idée est née du constat qu’à Bayonne, il n’existait pas d’espace d’accueil, à la sortie de l’hôpital, par ailleurs chaleureux et convivial, basé sur sur le modèle de ces associations non médicales qui fleurissent dans certaines métropoles.


Seul sur scène, Tristan, l’un des participants à l’atelier théâtre, passe d’une vanne à l’autre.

Nicolas Mollo

Cathy, la cinquantaine, a traversé les rues de Bayonne en poussant son déambulateur pour venir ici. Pour elle, la météo est plutôt mitigée. « Je voulais venir la semaine dernière, j’étais en pleine forme. Au lieu de cela, j’ai eu trois points de suture », soupire-t-elle. Sa gorge se serre au souvenir des crampes qui provoquent une douleur intense et paralysent ses jambes. Les mauvaises chutes font malheureusement partie de son quotidien. «C’est formidable que vous soyez ici aujourd’hui», insiste Amaia Hennebutte.

« Par le jeu du corps et de la voix, nous essayons de reconnecter ces personnes à leur âme créatrice »

Le directeur artistique ne cherche pas à jouer au « contre-psy ». « Je ne connais rien aux troubles mentaux, mais ça m’intéresse », avoue modestement celle qui a mené plusieurs projets dans des Ehpad et travaille avec Cafecito depuis son ouverture. Elle considère l’art comme une thérapie. « Par le jeu du corps, de la voix, nous essayons de reconnecter ces personnes à leur âme créatrice », explique-t-elle.

claquer

« C’est une manière de rendre l’art et la culture accessibles à ceux qui, spontanément, ne franchiraient pas la porte d’un cours de théâtre. Pour certains, cela peut être une aide pour se remettre sur pied, en complément des soins », souligne Camille Desneux. Le personnel permanent est aux premières loges pour mesurer les effets de ces ateliers. Son visage s’illumine lorsqu’il voit les usagers du lieu improviser et se mettre en scène, sans cacher leurs problèmes de mémoire ni leur difficulté à parler. Certains veulent profiter du salon comme d’une tribune.

Seul sur scène, Tristan passe d’une valve à l’autre. Le benjamin du groupe a choisi l’humour mordant pour se moquer d’une société qui « continue de stigmatiser les personnes atteintes de troubles mentaux ». Dominique, de son côté, déclame sous forme de slam un texte qu’elle peaufine seule chez elle depuis des semaines. L’enseignant à la retraite souffre de bipolarité. Son monologue évoque le chaos et la souffrance : « La dépression qui pulvérise tout » et l’amène à « errer du frigo au canapé ».

Au fond de la salle, Cathy, debout sur ses jambes, ne veut rien rater. Lorsque Dominique s’assoit dans le public, elle dit « c’est ultra puissant, bravo ». Dominique raconte qu’elle a toujours eu la « manie » d’aller au café, pour tenter de calmer ses angoisses. « J’ai essayé de ressentir une présence humaine, mais je finis toujours par partir sans avoir échangé un mot. J’avais peur de déranger”, témoigne la sexagénaire au regard malicieux.

Ce jour-là, à Cafecito, la honte a disparu. Comme si l’élan retrouvé sur scène avait mis le mal aux abois. « Ici, je me sens écoutée et respectée », glisse-t-elle.

(1) Les impératifs « har » et « eman » signifient « prendre » et « donner ».

 
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