Mort de Maurizio Pollini, un jeu d’excellence au service du piano

Mort de Maurizio Pollini, un jeu d’excellence au service du piano
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Fort de sa perfection numérique à nul autre pareil, le virtuose lombard a cherché dans le respect de la partition une ouverture vers la poésie.

La Scala de Milan a annoncé le décès d’un grand pianiste. Si Maurizio Pollini, qui vient de disparaître à l’âge de 82 ans, trône sur l’Olympe des géants du piano, ce n’est peut-être pas pour de bonnes raisons. Parce qu’il avait une technique transcendante, on voulait le réduire à un virtuose, alors même qu’il ne s’intéressait qu’à la substance la plus profonde de la musique. Parce que son jeu était sobre et sans pathos, on le disait froid, même s’il ne visait rien d’autre qu’un idéal presque spirituel de respect de la partition. Parce qu’il aimait la création, on le qualifiait de moderne, même s’il abordait la musique contemporaine dans une perspective classique. Ces paradoxes qu’il traversait, ce timide a failli ne pas s’en remettre !

Né le 5 janvier 1942, fils d’un architecte milanais, Maurizio Pollini s’est formé dans sa ville natale avant de tenter sa chance dans les compétitions internationales. A Genève, en 1957, il remporte un deuxième prix, le premier revenant à sa contemporaine Martha Argerich : on ne peut rêver de tempéraments plus différents, entre l’intellectuel lombard et l’instinct latino-américain, même si tous deux auront la même méfiance envers -vis la grisaille de la carrière et de la notoriété. En 1960, il remporte le fameux premier prix du concours Chopin de Varsovie, cinq ans avant Argerich. Président du jury, l’immense Arthur Rubinstein a déclaré : « Il joue déjà mieux que n’importe lequel d’entre nous ! » Affirmation ambiguë, comme le souligne Alain Lompech dans son ouvrage Les grands pianistes du XXe sièclecar on peut y voir un compliment grandiose autant qu’une restriction, soulignant ce qui a fasciné le public et le jury : la perfection numérique et formelle de son jeu, à une époque où cette exactitude technique n’était pas forcément la règle chez les pianistes.

Alors que les salles et les orchestres les plus prestigieux s’ouvrent à lui, et qu’EMI lui fait enregistrer Chopin, il arrête tout pendant un an, pour méditer, apprendre, nourrir intellectuellement et spirituellement une machine numérique pas comme les autres. En proie à une crise de confiance, il consulte son grand aîné Arturo Benedetti Michelangeli, afin de mettre en harmonie ses doigts, son cerveau et son cœur. Certains reprocheront au maître d’avoir accentué le penchant de Pollini vers une certaine distance. Cependant, lorsque nous lui parlions, les mots expressivité et poésie étaient ceux qui revenaient le plus souvent, bien plus que ceux de forme ou de structure. “ Voilà pour les clichésil nous a dit. Si quelqu’un dit que je suis rigoureux, c’est un compliment. Il faut être fidèle au texte. Mais ceci n’est qu’un point de départ pour développer une interprétation libre. Les artistes que j’admire, Cortot, Casals, Furtwängler, étaient libres. »

De retour, il lance sa carrière, sans faire de concessions. Proche de la gauche italienne, il joue la musique d’avant-garde de son ami Luigi Nono, communiste engagé, et se produit dans les usines avec son complice de toujours, Claudio Abbado, le chef d’orchestre avec lequel il joue le plus. Ces deux chercheurs partagent leurs idéaux. Autre rencontre surprenante : le vénérable Karl Böhm, héritier de la tradition viennoise, s’est pris d’affection pour ce jeune musicien qui plaçait le compositeur avant sa propre gloire. Chez Deutsche Grammophon, Pollini a enregistré Chopin mais aussi Boulez, Beethoven, mais aussi Schönberg. On le verra donner à Pleyel un programme Stockhausen-Brahms, en commençant par le premier pour forcer le public bourgeois à s’ouvrir à la modernité avant de revenir à plus de confort. Il l’a toujours dit : ce n’est pas par obligation ou par intérêt cérébral qu’il est attiré par la modernité, c’est par plaisir ! Pour lui, il n’y a pas de rupture entre Beethoven et Boulez : « 2e Sonate de Boulez a presque soixante ans et on dirait qu’il a été composé hier ! Malgré son apparence intellectuelle, elle possède une très forte dimension sensuelle et expressive. Dans ses sonates, Beethoven joue sur des changements de registre extrêmes, il coupe les thèmes, fragmente le discours, ne se répète pas : ces partis-pris sont la base de la sonate de Boulez ! »

À mesure qu’il grandissait, son son clair s’assombrissait quelque peu, et à mesure que ses doigts perdaient un peu d’acuité, son jeu devenait plus libre, au risque parfois d’arrondir les coins. Il est vrai qu’il ne s’est pas reconnu dans certains de ses enregistrements de la première période, comme le Études de Chopin qu’il trouvait trop percutant, trop articulé. Ce qui l’a attiré vers le piano, c’est la polyphonie, c’est pourquoi il s’est également intéressé à la direction d’orchestre, à laquelle il s’est brièvement essayé, en enregistrant même l’opéra. La Donna del Lago de Rossini, avant de céder cette corde à son arc. Sans doute était-il trop introverti et réservé à ce métier de communication qu’est le management. Ses incursions dans la musique de chambre, avec le Quatuor Italiano ou plus tard le Quatuor Hagen, restent en revanche exemplaires et intemporelles.

Ces dernières années, la santé de ce gros fumeur et traqueur (les deux vont sans doute de pair) s’était sensiblement fragilisée, l’amenant à annuler de nombreux concerts en 2022 et 2023. Sans oublier cette triste soirée de juin 2023 au Royal Festival. Hall de Londres où, victime d’un trou de mémoire, il partit en coulisses chercher une partition dont il ne parvenait pas à assembler et à tourner les pages, un moment de solitude laissant le public désemparé par le désarroi de ce grand maître. Mais ce que l’on retiendra, ce sont ces récitals annuels qu’André Furno organisait à la salle Pleyel, puis au Châtelet et à la Philharmonie de Paris, dans sa série Piano Quatre Étoiles qui n’a jamais aussi bien porté son nom. Un maître de la parole maîtrisée, qui jouait les classiques comme s’ils étaient modernes, et les modernes comme s’ils étaient classiques.

 
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