Pour cette série, Devoir vous emmène dans les coulisses des grands reportages de ses journalistes en 2024. Chaque semaine, Félix Pedneault réalise plusieurs courtes vidéos qui résument les moments clés de l’actualité à destination des plus jeunes publics sur des plateformes comme TikTok, X ou YouTube. Voici l’approche derrière cette avancée en terres inexplorées.
De nos jours, on ne peut plus ignorer l’influence qu’ont les plateformes numériques de courtes vidéos sur le discours ambiant.
Plusieurs controverses apparues dans les médias grand public ont pour origine TikTok. On peut penser au mouvement masculiniste, dont les courtes vidéos, croquées par ces influenceurs à partir d’entretiens plus longs en podcast, voyagent à toute vitesse grâce aux algorithmes qui favorisent la viralité de ce type de contenus.
Dès la naissance de ce type de format flash lors de la pandémie de COVID-19, il m’est apparu que le média brillait par son absence sur ces plateformes.
En 2024, près de 15 millions de Canadiens utiliseraient TikTok et 70 % d’entre eux auraient moins de 40 ans, selon des statistiques relevées par plusieurs firmes de marketing canadiennes, mais difficiles à sourcer. Le temps moyen passé par jour sur ces plateformes varie facilement de 50 minutes à plus d’une heure, selon l’étude de marché que vous consultez.
Changer la méthode traditionnelle
Pour moi, la possibilité de toucher un très large public et la nécessité de trouver des informations véridiques dans le flux incessant de vidéos envoyées sur ces plateformes imposaient aux journalistes de maîtriser ce nouveau format. Et ce n’était pas facile !
Sur TikTok et YouTube, l’authenticité et la complicité avec l’auditeur priment. Pour ne pas se démarquer dans cet environnement numérique, il faut laisser les vestes et les cravates aux vestiaires et se débarrasser du ton stentorien auquel les présentateurs de journaux télévisés nous ont habitués.
Le plus gros obstacle à mes yeux reste cependant le temps. La courte durée des vidéos, ainsi que la durée d’attention moyenne en chute libre de leurs utilisateurs (une étude Microsoft la situe à huit secondes), nous obligent à nous réinventer constamment. Il faut trouver des situations dynamiques – parfois en commençant à expliquer une actualité par son côté le plus accrocheur, plutôt que par l’essentiel de ce qu’il y a à comprendre.
Il faut rédiger efficacement avec des phrases courtes, des idées claires et simples, le tout en prenant soin de ne pas lésiner sur les raccourcis, de ne pas évacuer la nuance d’une nouvelle importante.
Malheureusement, toutes les histoires ne peuvent pas être résumées en moins d’une minute ! Il ne rendrait pas justice à la complexité de certaines questions de les résumer en si peu de temps.
Je me retrouve donc parfois confronté à ce genre de dilemme : faut-il parler de la crise diplomatique entre l’Inde et le Canada dans ce format ? J’ai fini par être d’accord avec mon chef de division sur le fait qu’il valait mieux prendre plus de temps pour en parler, au moins 90 secondes, même si cela pouvait nuire à la viralité de la vidéo.
Cela n’est pas sans rappeler le format du bulletin radio, où un lecteur d’informations enchaîne les informations dans un laps de temps assez serré. La différence, encore une fois, réside dans le ton de la vidéo et dans le choix des mots, où il faut éviter de paraître froid ou désincarné.
Le nouveau reporter de terrain
Pour photographier ce genre de capsule, rien de plus simple : armez-vous de votre smartphone et d’un support, trouvez un endroit éclairé, et racontez votre histoire.
Sur le terrain, il faut être débrouillard et polyvalent. Je prends moi-même les images avec mon téléphone portable pendant que je mène les interviews. Bien que plus difficile, cette façon de faire a ses avantages : en l’absence d’une véritable caméra pointée sur eux, les téléphones portables étant bien plus courants et subtils, les gens sont plus à l’aise. Ils deviennent plus chauds et leurs langues se délient.
Par exemple, des sans-abri de la rue Notre-Dame, à Montréal, m’ont laissé visiter leur camp armé de mon téléphone cellulaire, où les chaînes de télévision locales se tenaient en retrait et braquaient leurs caméras sur le site.
En matière de subtilité, le téléphone mobile n’a pas d’égal. Peu de temps après l’adoption d’une loi restreignant la vente de vapes aromatisées, j’ai pu filmer l’intégralité d’une transaction dans un magasin qui revendait des vapes illégales avec mon téléphone portable. Si j’étais entré avec un appareil photo, j’aurais tout simplement été expulsé, mais la présence d’un téléphone portable dans ma main n’a éveillé aucun soupçon.
Ce matériel peut ensuite être directement monté dans une courte vidéo verticale et diffusé au plus grand nombre.
Une formule prête à se répandre ?
Les journalistes, tant de terrain que de rédaction, sont appelés à devenir plus polyvalents grâce à ce format. Un texte peut être retranscrit en une courte vidéo, et vice versa. Déjà, dans plusieurs médias, j’observe cette tendance à « délivrer du contenu » sur plus d’une plateforme en adaptant le sujet d’un reportage au format d’une courte vidéo.
L’actualité purement vidéo courte n’échappe pas non plus aux médias étrangers, comme en France où la chaîne Brut se démarque.
Le travail des journalistes palestiniens lors de l’offensive des troupes israéliennes dans la bande de Gaza démontre la pertinence d’un tel format. Lauréate d’un Emmy Award pour son travail documentant la vie des réfugiés palestiniens, la journaliste et militante Bisan Owda a pu montrer une perspective unique sur la guerre à Gaza à travers ses courtes vidéos. Ils ont été vus des millions de fois sur TikTok et Instagram.
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