C’est votre deuxième film avec Guillaume Senez. Vous avez été très impliqué dans la préparation de «Une pièce manquante ». Était-ce important pour vous de retravailler avec lui ?
Bien entendu, Guillaume est assez unique dans sa méthode de travail. Il possède une version dialoguée de l’intégralité de son film, qu’il ne nous donne pas. En improvisant, il amène chaque acteur à resserrer, en supprimant des mots, en privilégiant des mots clés, pour finalement arriver approximativement aux dialogues qu’il avait écrits au préalable. Cette façon de travailler est assez géniale et assez unique. Cela crée beaucoup de liberté, beaucoup de spontanéité, beaucoup d’écoute entre nous. Guillaume peut m’emmener où il veut, je serai toujours prêt à le suivre, car j’adore cette méthode.
mouetteJe répétais tous les jours et j’étais bon dans cette langue. Je trouve ça fou de faire semblant de parler japonais.
Cette recherche d’instinct et de spontanéité correspond-elle à l’acteur que vous êtes ?
Je l’aime! J’ai remarqué que lorsque le texte est trop écrit, ce n’est pas forcément là où je suis le plus à l’aise. Par exemple, dans les films d’époque, il y a un exercice de mise en bouche, il faut monopoliser le texte. Je n’ai jamais fait de films à Alexandrins… Après, quand on avance, on essaie de s’amuser un peu plus avec les choses qu’on n’a jamais faites. Mais j’aime vraiment l’instinct. J’aime beaucoup les silences….
Ce n’est pas aussi simple d’improviser en japonais… Comment avez-vous travaillé la langue ?
C’est purement phonétique. Comme j’aime cette langue, cette culture, j’ai essayé de trouver des petits mots à ajouter pour bousculer un peu le rythme, voire surprendre mon interlocuteur. Le danger est que tous les passages en français étaient dans cette méthode d’improvisation et que les japonais nous installent un peu plus. Et puis j’ai senti que Guillaume aimait ça. Dès que je pouvais mettre un mot cohérent dans l’instant, qui pouvait casser la répétition, je ne m’en privais pas. C’était vraiment génial. J’étais heureux de pouvoir jeter des petites choses comme ça. Sinon, oui, c’était très phonétique, mais avec beaucoup de plaisir. Je m’étais donné du temps. J’ai répété tous les jours pendant quatre mois et j’étais bon dans cette langue. Je trouve ça magnifique, fou de se faire passer pour japonais.
« Nos combats », radiographie d’un monde du travail en pleine transformation
Vous avez passé pas mal de temps à Tokyo pour le tournage. Avez-vous ressenti ce que votre personnage pourrait ressentir en tant qu’étranger au Japon ?
Oui, mais ça ne m’a jamais dérangé. Aller au Japon pour une période déterminée, trois mois, six mois, un an, je pense que c’est juste amusant. Ma place était rêvée. J’ai passé ma vie à vélo, sillonnant les rues de Tokyo. C’était juste du bonheur. Les gens sont adorables. Par contre, lorsqu’il s’agit de travailler, d’avoir une situation, une vie de famille, il y a clairement une législation vraiment différente, des problèmes administratifs… Là, on peut rencontrer des complications.
mouetteJ’ai toujours aimé le Japon. J’ai moi-même fait de la calligraphie japonaise.
Votre personnage vit au Japon depuis 10 ans. Comment vous êtes-vous mis à sa place, alors que vous connaissez moins bien la culture que lui ?
Dès les premiers jours de tournage, j’ai dit aux producteurs, qui ont vu les images et eu un peu de recul sur ce qu’on faisait : je ne veux pas que ça ait l’air touristique. Je veux qu’on sente que ça fait 10 ans que ça existe, que ce n’est pas du folklore. C’est sa vie. Comment on joue à ça ? Cela impliquait nécessairement un travail sur la langue. Mais aussi par le fait que j’ai toujours aimé le Japon. J’ai moi-même fait de la calligraphie japonaise. Il y avait donc une familiarité. L’amour que nous portons à la culture fait que nous essaierons de travailler du mieux possible. C’est aussi ce qui fait que, sur l’image, nous semblons être là depuis 10 ans. Je suis arrivé un peu avant le début du tournage. J’ai passé ma vie à errer dans les rues, à faire des magasins, à aller au marché. Dès lors que je pouvais avoir le même rapport au pays que quelqu’un qui y vit, je l’ai privilégié.
Comment avez-vous noué le lien avec Mei Cirne-Masuki, la jeune actrice qui incarne votre fille ?
La grande chance, c’est que nous avons tourné en chronologie. Ce qui était assez fou, c’est que cette relation très intense, qui est un peu le cœur du film, en termes de journée de travail, ce n’était pas grand-chose. A peine entrée dans le vif du sujet, elle partait déjà trois jours plus tard… Au début, on se reniflait, on s’observait. Puis les mots arrivent. Puis il y a ce voyage qu’elle provoque, puis on repart avec une grande scène d’émotion. Mais je ne veux pas avoir le recul sur ce dont le réalisateur a besoin à chaque étape. J’essaie juste de vivre l’instant présent avec cette jeune fille qui vit à Paris, à un kilomètre de chez moi. Elle parle français mais, par son tempérament, elle était tellement loin de moi. Était-ce de la timidité parce qu’elle n’était pas actrice ? Elle s’est ouverte petit à petit, très légèrement. Je préférais vraiment ça, plutôt qu’un gamin trop moderne qui m’aurait regardé et dit : « Connaissez-vous la boulangerie du quartier ? C’est cool.” Elle n’était pas du tout là-dedans. Ça ne me faisait vraiment pas de mal de me dire que je n’avais pas vu cette fille depuis 10 ans et qu’elle était si proche de moi…
“La Nuit se traîne”, un premier film avec Romain Duris qui se démarque dans le paysage belge
Il n’y a pas si longtemps, vous jouiez dans un autre film belge : «La nuit traîne“ de Michiel Blanchart… Quel est votre rapport au cinéma belge ? Est-ce une autre industrie ?
Non, j’ai juste l’impression de travailler dans une industrie plus cool. Ce n’est pas du bootlicking. J’ai fait plusieurs tournages en Belgique, pour des films qui ne sont pas censés se dérouler en Belgique. Je connais pas mal les équipes belges et je les aime beaucoup. Il y a une générosité dans le travail et une manière d’être détendu. J’ai rarement ressenti de la tension et de la pression sur le plateau ici. À chaque fois, j’avais des vibrations assez folles. J’ai même filmé juste après les attentats de Bruxelles. La ville a été bouclée. Même dans cette ambiance, le travail était privilégié. On s’est dit qu’on avait la chance de pouvoir faire de l’art et qu’il fallait en profiter…
Vous avez tourné votre premier film, Le jeune périlIl y a 30 ans… Quel regard portez-vous sur cette carrière qui a débuté un peu par hasard, par un casting sauvage ?
Je peignais… J’ai toujours des rêves, sinon je me disais : détends-toi. Mais je suis toujours dans le funk. J’ai toujours de l’appétit. Comme si je venais de commencer. Je ne perds jamais cet état d’esprit selon lequel cela pourrait se terminer demain. Je peux me dire : calme-toi, repose-toi, mais ça ne me fait aucun effet. Je suis toujours nerveux, insatiable. J’en veux toujours plus. Je ne peux même pas te dire quoi. Mais de toute façon, ça brûle et c’est tant mieux.
A l’époque, vous imaginiez-vous devenir une star du cinéma français ?
Je ne me vois pas du tout comme ça. J’avance projet après projet, en essayant de faire le mieux possible. Tout cet aspect star, étant arrivé à quelque chose, je n’ai absolument aucun avis là-dessus. Parfois, cela pourrait calmer quelque chose qui me ronge. Être content de soi, des progrès que l’on a réalisés, ce ne sont pas mes valeurs. Peut-être que je vous dirai ça dans 20 ans… D’ailleurs, je ne sais pas si c’est quelque chose qu’on acquiert avec l’âge. C’est plutôt une question de tempérament.
Êtes-vous toujours aussi nerveux avant un tournage ?
Je l’ai peut-être, mais j’utilise des expériences où j’ai dû avoir beaucoup plus de trac pour me calmer. Tu te souviens quand tu as fait ce film avec Ridley Scott (Tout l’argent du monde en 2017, NDLR)que tu ne parlais pas très bien anglais, que tu devais prendre un accent italien… Tu te souviens ? Il y avait cinq caméras, 200 figurants. Vous avez paniqué, mais vous avez tiré. Nous savons que le trac est ennuyeux, mais ce n’est pas un mauvais pressentiment. Cela signifie que nous sommes passionnés.