« Les premiers jours » : film-poème

« Les premiers jours » : film-poème
« Les premiers jours » : film-poème

C’est rare, n’est-ce pas, au cinéma qu’il fasse noir et que pendant de longues minutes, voire pendant tout le film, on ne comprenne pas ce qu’on voit. Cela crée d’abord une attention particulière, tous les sens en réception optimale pour comprendre quelque chose, puis dans le meilleur des cas, on abandonne cette réception au profit d’une autre, qui relève plus de la poésie que de la poésie. avec le discours. C’est ce qui se passe à l’avenir Les premiers joursun film de Stéphane Breton.

Au début, nous voyons un homme, plongé dans l’eau jusqu’à la taille, remontant de la mer ce qui ressemble à première vue à des filets de pêche vers un rivage rocheux. Un pêcheur donc sur une côte un peu sauvage, c’est ce qu’on se dit, mais on s’aperçoit vite que ce qu’il arrache laborieusement, ce sont d’immenses algues vertes et blanches. Fin de séquence. On regarde ce qui semble être un contrechamp : des chiens errant sur une plage très sombre, dominée par des montagnes absolument désertiques – le mouvement des animaux est ralenti, et c’est à ce moment qu’on perçoit une autre distorsion, sonore qui-cela : le son qui émane du paysage, comme les éclaboussures, les bouillonnements, les murmures et les craquements, n’est probablement pas réel. Le film continue, et on reprend quelques éléments ici et là: ce que l’on regarde, c’est une communauté hispanophone, probablement originaire d’Amérique du Sud, qui vit sur cette plage, dans des petites cabanes faites de bric-à-brac, entre des décharges, des épaves de voitures, avec cette tâche principale qui consiste à pêcher, tirer puis mettre en balles de gigantesques touffes d’algues. On ne les entend jamais, souvent ils sont trop loin, le bruit de leurs mouvements et des quelques dialogues échangés littéralement recouverts par le son du film, comme un brouillage permanent, une sorte de partition un peu bruitée, un peu électronique.

Genèse ou apocalypse

Stéphane Breton est réalisateur et ethnologue, il filme seul, et en l’occurrence filmé seul cette communauté dont on apprend qu’elle est argentine. Le film est ensuite monté au plus près d’une bande-son réalisée avec un musicien, Jean-Christophe Desnous, et son intérêt réside en grande partie dans ce qui se passe entre le son et l’image, cette étrangeté qui s’approfondit. Cela ressemble un peu aux films documentaires de Werner Herzog, ou à ceux plus récemment, du duo formé par Verena Paravel et Lucien Castaing Taylor – Léviathan notamment, pour lequel ils avaient embarqué à bord d’un chalutier et réalisé un documentaire mouvementé, au niveau de la mer. On retrouve dans Les premiers jours cette capacité à s’affranchir de la forme documentaire classique pour montrer des images nouvelles, qu’on a l’impression de n’avoir jamais vues.

Mais plus surprenant, il rappelle aussi constamment des films beaucoup plus standardisés, notamment les gros blockbusters du moment – Mad Max d’abord avec ces plans de déserts jonchés de pièces métalliques, et aussi Dune : les algues lourdes que collectent les personnages du film de Stéphane Breton, en les accrochant parfois à un pick-up, ressemblent absolument aux fameux vers des sables de l’univers de Jodorowsky, harponnés par les héros pour se déplacer dans le désert. Ils apparaissent à la fois comme des fardeaux et sur le dos comme de grandes capes héroïques. Une sorte de lieu mythologique se construit ainsi dans l’image, où les hommes apparaissent comme Sisyphe ou Prométhée, un univers dont on ne sait jamais s’il est d’apocalypse ou de genèse, si l’on regarde les premiers ou les derniers jours de l’humanité.

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